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Full text of "Mémoires de l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras"

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MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE D'ARRAS 


L'Académie laisse à chacun des auteurs des travaux insérés dans 
les volumes de ses Mémoires, la responsabilité de ses opinions, tant 
pour le fond que pour la forme. 


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Imprimerie Ronaro-CourTiN, place du Wetz-d'Amain, n° 7. 


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M. D. CCC. LXXIX. 


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I 


LECTURES FAITES DANS LES SÉANCES HEBDOMADAIRES 


NOTICE NÉCROLOGIQUE 


de 


M. FRANGÇOIS-MAURICE COLIN 


MEMBRE RÉSIDANT DE L’ACADÉMIE D’ARRAS 


Par M. C. le GENTIL 


Membre résidant 


+ 


e Comme je me suis fait de l’accomplirksement du 
» devoir une obligation de toute ma vie, je dois accepter 
» les charges honorables qui me sont offertos, sane me 
» laisser arrêter ni par les sacrifices, ni par les difi- 
» cultés.» {1er août 1837). 


» Je renouvelle devant vous l'engagement de con- 
» sacrer tous mes sojus, toutes mes facultés, de me vouer 
° tout entier à la prospérité de la Cité, au service de 
» mes concitoyeus. » (7 décembre 1840). 
(M. Coin.) 


MESSIEURS, 


Lorsque, frappé comme par une sorte de coup de 
foudre, mourut presque subitement, dans la nuit du 28 
au 29 décembre 1878, l'honorable Monsieur FRANÇoOISs- 
Maurice COLIN, Officier de la Légion d'honneur, 
ancien Maire de cette ville, ancien Chancelier de son 
Académie, ancien Président du Tribunal de Commerce, 
ancien Président des sections réunies de la Commission 
du Musée, Président de la Chambre de Commerce, Censeur 
de la succursale de la Banque de France, Membre de la 


_ 


dominission départementale des Monuments Historiques du 
Pas-de-Calais et de plusieurs Sociétés savantes, qui, à tous 
«es litres et à bien d’autres, était si populaire et si aimé 
parmi nous; ce fut à Arras un regret unanime. Chacun 
Sefñlait, éh effet, qu’en lui était tombé, non-seulement 
1e plus vrai type des enfants de notre vieil Arras, mais 
encore, ainsi que, traduisant la pensée de tous, l’a fort 
bien dit M. Paris, « le premier Bourgeois de la Cité. » 

Oui, le premier Bourgeois de la Cité, qu’il chérissait 
dans ses personnes autant que dans ses choses, et pour 
Jaquelle il s'était, sans ménagement aucun, dépensé, 
prodigué, depuis plus de quarante ans, avec un zèle, 
une énergie et un désintéressement que rien n'avait pu 
Affaiblir. | 

L’émotion douloureuse ressentie à la mort de M. Colin 
s’est particulièrement produite au sein de l'Académie, 
où il siégeait depuis 1831. Vous avez en conséquence 
désiré, Messieurs, qu'une Notice nécrologique perpé- 
tuât dans vos Mémoires le souvenir de ce regrettable 
Collègue, et vous avez daigné me charger de la rédiger. 
Puissent les lignes qui vont suivre ne pas trop trahir 
votre confiance, et rappeler suffisamment la mâle figure 


de celui que vous ne voulez pas laisser tomber dans 
l'oubli. | | | 


Issu d’une ancienne famille bourgeoise de cette ville, 
comme le prouvent les Registres aux Bourgeois, Monsieur 
François-Adrien-Joseph Colin était un homme remar- 
quable. 

Né le 18 février 1747 dans la paroisse Saint-Géry (1), 
pourvu d'un office de Procureur postulant près le 
Conseil d'Artois, par Lettres-Patentes du 31 décembre 
1775, enregistrées au quatrième Registre aux Provisions 
de ce Conseil (2), admis à la prestation de serment le 
10 janvier suivant, il exerça son ministère près celte 
grande Compagnie Parlementaire jusqu’en septembre 
1790, époque de sa suppression. 

Ses sentiments bien connus le firent incarcérer 
comme suspect, le 17 ventôse an II (7 mars 1794), 
d’abord à l’Abbatiale, ensuite à l'Hôtel-Dieu, « que l’on 
venait de transformer en prison pour les mâles. » (3) Ulté- 
rieurement élargi le 3 fructidor suivant (20 août) (4), il 
fonda une importante maison de commerce, rue du 
Saumon, section B, n° 69, dans l’ancien hôtel de Gomme- 
court, qu'il quitta pour aller habiter, rue Saint-Gérv, dite 
alors de l'Egalité, section À, n° 280, l'hôtel de Grandval, 
appartenant toujours à la famille. 

Nommé Juge au Tribunal de Commerce le 15 thermi- 


(1) Voir l'acte de baptème du 19 de ce mois, aux Registres de 
Catholicité de lu paroisse Saint-Géry. 

(2) 20 série, folio 219, verso, 11 février 1776. 

(3) Arrété de Le Bon. 

(4) Décret du 18 thermidor. 


RS SE + 
… . 


410 — 


dor an VIII, il fut réinvesti dans ces fonctions les 15 ger- 
minal an X, 15 floréal an XII, 15 avril 1806, et promu 
à la Présidence le 15 avril 1810 (1). 

Nommé également membre du Conseil Municipal vers 
la fin de l’Empire, il devint Conseiller de Préfecture en 
1815 et Académicien en 1817, lors de la reconstitution 
de notre Société savante par le Préfet Malouet (2). 

Le goût très-prononcé de M. Colin pour les livres, les 
manuscrits, les médailles, les pierres gravées, les 
tableaux, les antiquités et les curiosités locales lui avait 
valu cette dernière distinction. | 

De son mariage, contracté en septembre 1788, avec 
Mademoiselle Marie-Josèphe Coulon, étaient, entre autres 
enfants, nés: le 23 pluviôse an VII, Monsieur Jacques-Henri 
Colin qui, successivement Avocat et Juge-suppléant près 
le Tribunal Civil d'Arras, et notre Collègue à l’Académie 
depuis 1840, est le savant numismate, l’ardent entomo- 
logiste et l’infatigable botaniste dont l'autorité ne se 
trouve contestée par aucun amateur; et le 7 germinal 
an VIII (28 mars 1800) (3), M. Françors-Maunrice 
COLIN, l’homme considérable que nous allons 
étudier, et qui se recommanda, moins encore par les 
talents, que par ce qui, rare de lous temps, disparaît de 
plus en plus et menace de devenir introuvable : /e 
caractère. 


(1) Registre aux délibérations du Tribunal de Commerce. 

(2) Arrêté du 7 mai. 

(3) L'acte de naissance fut reçu par « Grimbert, administrateur 
municipal, officier public élu pour constater les naissances. » Et la 
déclaration faite par M. Thilloy et Mme Marie-Charlotte Quarré, veuve 
de M. Louis de Hangest, 


: — 11 — 


Le caractère, c'est-à-dire la qualité virile entre toutes, 
qui seule constilue l’'hommé fort et de bonne trempe ; 
qui à elle seule le fait, en dépit des passions, des 
Opinions et des partis, respecter par tous, en lui assurant, 
quelque part qu'il se trouve, une situation nette, un 
franc-parler, un front haut et un rôie prépondérant ; 
résultat auquel n'a jamais atteint, et que ne donnera 
jamais, le plus grand savoir-faire, doublé de la plus 
merveilleuse habileté. 

Après avoir ébauché à Paris, dans l’Institution Sa- 
bouret, les cours qu'il suivit ensuite avec distinction 
au Lycée Charlemagne, M. Maurice Colin, se sentant 
une aptitude innée et une vocation particulière pour le 
Commerce, vint se placer sous la direction de son pèére, 
dont il reprit, en 1825 (1), la suite des affaires auxquelles 
il imprima un nouvel essor: si bien qu'il s'était mis, 
comme considération et importance, en tête des négo- 
ciants d'Arras, lorsqu'en 1834, cent trois suffrages, sur 
cent soixante-trois votes exprimés dans sa section, 
l’appelèrent au Conseil Municipal où, sauf un intervalle 
de peu d'années, il devait rester jusqu'en 1878. 

Enumérer et apprécier ce qu'a fait dans ce Conseil 
M. Colin, pendant cette longue période, exigerait un 
travail de longue haleine, comportant plusieurs volumes 
et constituant l'histoire municipale d'Arras ; il n’est pas 
en effet une question de quelqu importance, qu'il n'ait 
travaillée, discutée, élucidée, soit dans les séances du 
Conseil, soit dans les nombreuses Commissions dont il 
a fait partie et qui, fréquemment, le désignaient comme 


(1) M. François-Adrien-Joseph Colin est décédé le 14 février 1825. 


— 149 — 


Rapporteur ; peu de difficultés dont il se soit désin- 
téressé, pas de mesures sérieusement utiles dont il 
n'ait pris l'initiative. 

Cette tâche étant essentiellement incompatible avec 
le cadre restreint d’une simple Notice, nous nous 
bornerons à donner un aperçu de l'existence adminis- 
trative de M. Colin. 

La rectitude de ses idées, la sagacité de ses appré- 
ciations, la solidité de ses discussions, toujours précises 
ct sans phrases, ne tardèrent pas à frapper ses Collègues 
qui, l'ayant entendu développer sa manière de voir, 
notamment à propos de la Réouverture de la porte 
St-Michel, du Tracé du chemin de fer de Paris à Lille en 
passant par Arras, de la Révision du tarif de l'octroi, et 
montrer la même compétence dans les différentes 
matières par lui traitées, l’élurent, en séance du 29 mars 
1837, membre des Commissions chargées de faire 
ressortir lutilité de la direction par Arras du chemin de 
fer précité; de s'occuper de l'examen du projet d’éclai- 
rage de la ville par le gaz; et de l'examen du projet de 
prolongement de la rue St-Nicaise. 

Ce qu'avait constaté lé Conseil Municipal avait égale- 
ment éveillé l'attention de l'Autorité supérieure. 

Depuis que 1789 à ouvert pour la France l’ère révolu- 
tionnaire dans laquelle nous nous agitons encore 
aujourd'hui, la vérité de la maxime Rara concordia 
fratrum, s'est accusée dans les assemblées délibérantes, 
non-seulement politiques, mais encore administratives. 
Du haut en bas de leur échelle, pour les grands centres 
surtout, il y a scission cl mésintelligence. Ce qui se 
produisait en une foule d’autres villes existait à Arras. 


* 


nn de 


Le Conseil Municipal, à la tête duquel se trouvaient 
comme Maire M. Dudouit, et comme Adjoints MM. de 
Retz et Nepveu, hommes bien intentionnés mais faibles, 
était profondément divisé. 

Les élections de 1837 ayant été mauvaises pour 
l'Administration, la Municipalité se retira; force fut 
donc de trouver un nouveau Maire. Et, cherchant un 
homme dans les rangs éclaircis des conservateurs, le 
Gouvernement jeta les veux sur M. Colin (1) ; il avait 
alors trente-sept ans. 

Après s'être assuré du concours de M. Pillain et de 
M. Wartelle de Retz, notre digne Collègue, qu'il désigna 
comme Adjoints, M. Colin, sans se dissimuler les diffi- 
cultés qu'il allait affronter, et sans sourciller devant elles, 
prit résolüment en main les rênes de l'administration. 

Le discours qu'il prononça au jour de son installation, 
et dans lequel il donna le programme de sa conduite 
future, indique que tout en offrant la paix, il s'attendait 
à la lutte et s’y préparait. 


« Messieurs, dit-il, nommé Membre du Conseil Muni- 
cipal, j'ai cru qu'il était de mon devoir de consacrer mes 
facultés à la défense des intérêts de cette Ville, et j'ai 
accepté le mandat qui m'était confié. 

» Aujourd’hui, le Roi me rend dépositaire de l’au- 
torité administrative, il me confère des fonctions qui 
dérivent de la confiance dont mes concitoyens m'ont 
honoré. Comme je me suis fait de l’accomplissement du 


devoir, une obligation de toute ma vie, je dois accepter 


(1) Ordonnance du 22 juillet 1837. 


[4 
4 


les charges honorables qui me sont offertes, sans me 
laisser arrêter, ni par les sacrifices, ni par les difficultés. 

» Ces difficultés sont tien grandes, maïs parfaitement 
uni et unanime d'intention avec mes honorables amis, 
Messieurs Pillain et Wartelle, nous pouvons espérer, avec 
le concours de nos Collègues du Conseil Municipal, de 
faire ce qui peut être utile aux habitants d'Arras, ce qui 


peut être bien et beau pour cette Ville où nous sommes. 


nés, où nous avons passé toute notre vie et qui est pour 
nous une Cité de prédilection. Nous portons à la Ville 
d'Arras, l'affection profonde que tout homme porte aux 
lieux qui l’ont vu naître, et autant nous désirons une 
plus grande somme d’honneur, de gloire, de bonheur 
pour la France, quand nous la mettons en regard des 
pays étrangers, autant nous désirons pour Arras une 
plus grande part d'honneur, de gloire, de bonheur, 
lorsque nous mettons notre Ville en comparaison avec les 
autres villes de France. 

» Ces sentiments, par cela même qu'ils sont naturels, 
vous sont garants du zèle avec lequel nous nous occupe- 
rons de toute la chose publique pour le bien et le repos 
de la Cité. 

» Nous veillerons à ce que l’ordre soit toujours main- 
tenu, à ce qu'il y ait sureté, tranquillité et justice pour 
tous. 

» Dans l'exécution des mesures conservatrices de la 
salubrité, nous nous éloignerons également d’une sévé- 
rité trop inflexible et d'une indulgence trop dangereuse. 

» L’Instruction, cette source du développement de 
l'intelligence qui nous permet d'apprécier ce que nous 
devons à Dieu en nous rendant palpables les vérités 


et 


consolantes de la religion, sera pour nous l’objet d’une 
sollicitude d'autant plus grande que nos institutions, éma- 
nant de la mémorable révolution de juillet, assurent au 
mérite le rang qui lui appartient, et que la science 
ouvre aujourd'hui la route la plus sûre pour arriver au 
succés. | 

» Le Commerce, qui change la position des hommes 
et souvent le destin des Etats en transportant le sceptre 
du pouvoir, là où il établit la puissance du Crédit ; le 
Commerce auquel je dois personnellement des habitudes 
de travail, d'ordre, d'économie, que je porterai dans 
l'administration, trouvera en nous des défenseurs éner- 
giques de tous ses intérêts. 

» Les Beaux-Arts auront notre appui, nous appellerons 
sur eux la protection du Roï qui, en calmant nos tem- 
pêtes politiques, a su réunir dans un musée immense 
tous les souvenirs des gloires françaises. 

» Les charges qui pèsent sur les habitants seront par- 
tagées avec une égalité parfaite; nous serions heureux de 
trouver les moyens de les diminuer, mais nous craignons 
de ne pouvoir les alléger autant que nous le voudrions, 
car en jetant un coup-d'œil sur les besoins de notre 
époque et sur les véritables intérêts de cette Ville, nous 
jugeons l’avenir chargé de mettre à exécution les grands 
travaux qui, à notre avis, devront bientôt se faire suc- 
cessivement à Arras. 

» Parmi ces travaux, nous remarquons en première 
ligne la reconstruction immédiate de notre Beffroi, 
l'érection d’une Eglise, la confection de bâtiments nou- 
veaux destinés à un Abattoir, à une Jauge, à un Poids 
public, la formation d’un Château d’eau pour une distri- 


— 16 — 


bution d'eau de fontaine dans toutela ville, l'établissement 
d'un matériel destiné à un éclairage par le gaz, l’ouver- 
ture d'une porte nouvelle actuellement utile, bientôt 
indispensable par suite de da confection d’un chemin de 
fer, chemin qui, nous devons l’espérer, passera entre la 
Ville et le faubourg Saint-Sauveur. » 


Cette lutte ne tarda pas à s'engager, car, à propos 
d'un point insignifiant, une escarmouche entre l’opposi- 
tion et le Maire eut lieu lors de la séance qui suivit celle 
de l'installation, et à partir de cette ouverture d’hosti- 
lités, M. Colin fut et resta bravement sur la brêche 
jusqu'à la révolution de 1848. 

Systématique et tracassière, ainsi que le démontrent 
à la dernière évidence les Registres aux délibérations 
du Conseil Municipal, la ligue formée contre M. Colin 
pour le harceler sans relâche, soit par empêchements 
au fond, soit par des chicanes de forme, en arriva à 
une acrimonie et à une violence qui dépassèrent toutes 
les bornes au cours de l’année 1840. 

Outrée de rencontrer une direction là où elle n'avait 
_ pour ainsi dire trouvé qu'obéissance, et de se voir en 
face de l’un de ces hommes qui, pratiquant la devise : 
« Fais ce que dois, advienne que pourra », se montrent 
d'autant plus opiniâtres que leur droiturè permet: moins 
de les entamer, elle voulut absolument lui arracher une 
démission. 

Mais, soutenu par son énergie personnelle, M. Colin, 
qui, du reste, avait fait reculer ses adversaires en leur 
proposant l'arbitrage non-accepté de l'Administration 


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17 — 


suspension et la place qu'il occupe peuvent servir à les 
reconnaitre {. | 

Après avoir reçu les premiers enseignements du chris- 
tianisme sous Constantin le Grand et ses successeurs, la 
Gaule-Belgique, souvent envahie et occupée par des 
hordes barbares, était retombée dans les ténèbres de l'ido- 
lâtrie. C'est seulement après la conversion de Clovis 
qu'elle devint chrétienne. Dès lors, la croix figura sur ses 
monnaies comme type du revers?. Il est permis de 
supposer qu'une partie des triens mérovingiens percés 
ou munis d’une bélière, ont été portés par les Francs 
comme amulettes sacrés 5. 


1. Les collections numismatiques renferment souvent de ces pièces ; 
on en voit plusieurs dans les ouvrages suivants : F. de Saulcy, Essai de 
classification des suites monétaires byzantines (pl. XV, no 9 et pl. XXI, 
no 2). — Sabatier, Monnaies byzantines (pl xLIV, n° 43, pl. xLvu, 
no À ct pl. L, no 6). 

La coutume de porter au cou des monnaies byzantines comme amu- 
lettes s'est continuée jusqu'à ce jour parmi quelques populations 
chrétiennes de la Turquie. 


2. Pendant près de douze siècles, la croix fut le type ordinaire du 
revers des monnaies royales et baronales de toute la France. 


3. C. A. Serrure, Observations archéologiques à propos de quel- 
ques monnaies inèdiles de Saint-Omer, p. 6. — Cependant des ob- 
jets semblables ont souvent orné des colliers, des bracelets et des 
boucles d'oreilles Les amulettes des gentils n'étaient pas disparus 
entièrement aux vi, vit et vie siècles. Le roi Childebert renouvela, 
en 554%, les édits des empereurs romains contre le paganisme et ses 
singulières pratiques. Dans une allocution que saint Eloi adressait aux 
habitants de la Flandre, il s'élevait contre leur habitude de porter des 
phylactères diaboliques. « Un chrétien, disait-il, ne suspend point 
d’amulettes au cou de l’homine ou d’un animal quelconque, quand 


2 


— 18 — 


Des pièces carlovingiennes ont reçu la même destina- 
tion ; mais elles sont beaucoup plus rares. Existait-il des 
médailles de dévotion sous la seconde race? On a bien 
avancé que Charlemagne portait au cou une médaille de 
la sainte Vierge, et que son fils, Louis le Débonnaire, 
avait suivi son exemple, mais nous ne trouvons pas 
la preuve de cette assertion. 

Un chroniqueur du commencement du xrrr° siècle, 
Robert, abbé du Mont-Saint-Michel, continuateur de la 
Chronique de Sigebert de Gembloux, est sans doute le 
premier qui ait parlé des médailles pieuses *. Ce qu'il 
rapporte en contemporain est assez curieux pour être 
rappelé, malgré le merveilleux de son récit. En l’an 1182, 
la sainte Vierge apparut, dit-il, à un charpentier travaillant 
dans une forêt, et lui remit une médaille {Sigillum), qui 
la représentait avec le Sauveur, et sur laquelle étaient 
marqués ces mots : Agnus Dei qui lollis peccata mundi, 
dona nobis pacem *. Marie lui ordonna en même temps 


même il le verrait faire et pratiquer par un clerc, quand même .on 
lui dirait que c’est une œuvre sainte et salutaire ; car Jésus n’a pas 
mis un remède dans ces choses, mais le diable y à mis son poison. » 
(V. Ed. Leglay, Histoire des Comtes de Flandre.) 

Le concile tenu en 748, par ordre de Carloman, à Leptines (Estines, 
en Hainaut), réprouve aussi l’usage des phylactères, « qui sont des 
inventions magiques. » (Schayes, La Belgique et les Pays-Bas, avant 
et pendant la domination romaine, t. n, pages 141, 144 et 147). 


1. Gergères, Le culte de Marie, p. 413. 


2. Sigeberti Gemblocensis cœnobitæ chronicon Paris, 1513. Aubert 
Le Mire a donné, en 1608, une nouvelle édition de cette chronique et 
de sa continuation. 


3. Dans sa préface du premier volume des Ordonnances des Rois 


__ 19 — 


de remettre cet objet sacré à l’évêque du Puy et de lui 
enjoindre, en son nom, de prêcher aux fidèles de sa pro- 
vince et des lieux voisins une guerre d’extermination 
contre les Routiers, bandes de pillards qui ravageaient 
alors la France. Le prélat devait recommander à chaque 
enrôlé de porter un petit capuchon blanc, où serait atta- 
chée, en signe de paix, une médaille de plomb semblable 
à celle qui était censée venir du Ciel; c'est ce qui fut fait. 
Une confrérie s'établit aussitôt sous le nom de Paciferi ; 
elle forma bien vite une armée considérable qui, l’année 
suivante, défit entièrement les ennemis de la paix ‘. 

Une de ces médailles a été retrouvée par M. Auguste 
Avmard, conservateur des Antiquités du Musée du Puy, 
qui l’a publiée?. C'est une plaque polygonale, avec 
oreille de suspension, représentan! l'antique Vierge du 
Puy assise sur un trône, ayant sur le genou gauche 
l'Enfant Jésus nimbé, qui lient de la senestre une croix 
en forme de sceptre. La légende porte bien : AGNUS DEI 
QUI TOLLIS PECGATA MUNDI DONA NOBIS PACEM. Nous donnons 
ci-après la figure de cette curiosité. 


de France, de Laurière rapporte les faits et reproduit même le 
passage de la chronique, qui y est relatif. — Dans son Discours histo- 
rique de Notre-Dame du Puy, le P. Oddo de Gissey explique autre- 
ment l'apparition supposée : Un jeune homine aurait été déguisé en 
Notre-Dame du Puy, par un chanoine, et se serait ainsi présenté, la 
nuit, dans l’église cathédrale, à ce charpentier, nommé Durand. 


1. Voir sur ce sujet, Arnaud, Histoire du Veluy, t. 1, p. 135. 


2. Notice sur lu Confrérie des Chaperons blanes, insérée dans le 
Congrès scientifique de France, 22° session, tenue au Puy.t.11, p.623. 


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Si cette médaille rentre dans la classe des signes de 
ralliement, il en était d’autres, à la même époque, dont le 
caractère était purement religieux. On a, sur les signes de 
pélerinage, uu ancien document fort important. Il établit 
qu’au xn° siècle, les pèlerins qui allaient visiter, dans la 
Basilique de Rome, les tombeaux de saint Pierre et de 
saint Paul, y achetaient des espèces de médailles à l'effigie 
de ces apôtres, destinées à augmenter leur piété et à té- 
moigner de l’accomplissementdeleur voyage. Par sa lettre 
du 15 des calendes de février 1198, le pape Innocent III 
abandonne aux chanoïnes de sa basilique, non-seule- 
ment le droit dont il a joui jusqu'ici, ainsi que ses prédé- 
cesseurs, de faire couler de ces enseignes, mais encore 
et surtout le profit devant résulter de la vente. Il défend, 
sous peine d’excommunication, à qui que ce soit, d'oser 
s’ingérer dans ces choses sans leur assentiment et.leur 
consentement formel ‘. Comme, parmi les pèlerins qui 


1. La lettre papale est insérée dans le Patrologiæ cursus com- 
pletus de l'édition de l’abbé Migne, t. cexiv, col. 490 et 491. 


— 9 — 


avaient entrepris le voyage de la ville éternelle, il s’en 
trouvait beaucoup de notre contrée, l’on doit admettre 
que ces pieux objets s'y répandirent assez vite. On peut 
supposer aussi que ce qui se praliquait à Rome fut suivi 
ailleurs pour d’autres pèlerinages. 

Le xr1° siècle fournirait facilement des exemples de 
l'emploi de médailles religieuses. L'Hôtel-Dieu du Puy 
fabriquait des médailles de pélerinage, en vertu d’une au- 
torisation épiscopale de 1210, confirmée par deux bulles 
d'Alexandre IV. Ce droit lui avait été concédé, avec 
peine d'excommunication contre les contrevenants". 

On sait quelle fut la profonde vénération du peuple 
pour la mémoire de Louis IX, que l’Église a mis au nom- 
bre des saints. Aprés la mort de ce prince, arrivée en 1270, 
beaucoup de ses monnaies furent trouées et portécs par 
les fidèles, qui les considéraient comme des reliques et 
leur attribuaient une vertu miraculeuse *. Cette pieuse 
pratique se répandit en France et dans les pays voisins, 
notamment en Flandre; elle contribua à propager d’autres 
objets de dévotion dont nous allons parler. 


1. M Aymard, notice déjà citée, 

2. Dans son Truité historique des monnoyes de France (édition 
d'Amsterdam, p. 176). Le Blanc rapporte, d’après Sponde, que les 
monnaies de saint Louis guérissaient les malades qui les portaient. 
ajoute : « De là vient peut-estre que la pluspart des monnoyes de 
ce saint roy sont trouécs, les malades les portant sans doute pendues 
à leur col ou à leurs bras, comme on y porte aujourd’huy les mé- 
dailles des saints. » La collection de monnaies de M. Dassy, de Meaux, 
dont le catalogue a été rédigé par MM. Rollin et Feuardent, renfermait, 
selon ces savants experts, trois deniers tournois de LouisIX, qui ont 
été portés comme reliques, et un gros tournois, au nom du même roi, 
mais de frappe postérieure, considèré comme pièce religieuse. 


__ 99 — 


Depuis le xrn° siècle jusqu’au milieu du xvi*, et même 
un peu au-delà, nous ne trouvons pas pour notre contrée 
de médailles religieuses proprement dites !. Les objets 
de dévolion qui en tenaient lieu étaient désignés sous 
les noms de signum, insignium, signe, enseigne, imaige ou 
image *. Ils ont un caraclère particulier qui les distingue 
des médailles; ce sont des espèces d'images métalliques 
ou des plaques de plusieurs formes, le plus souvent 
carrées ou octogones, avec crochets, oreilles, anneaux et 
trous. Presque toujours les enseignes sont unifaces, 
surtout quand elles sont en:argent et en cuivre ; failes 
pour être portées ostensiblement, comme des cocardes 
ou des décorations, elles visaient à l'effet. Les sujets 
qu'elles retracent sont ceux des médailles, mais ils sont 
trailés plus naïvement. 

Les médailles particulières qui ont Émis les èn- 
seignes, en différent sous plusieurs rapports; elles ont 


4. Nous ne considérons pas comme une exception une pièce 
d'argent de notre collection, retouchée au xive siècle, sur le revers 
d'une monnaie antique de Corinthe, pour figurer la résurrection du 
Rédempteur. 


9, Nous devons faire remarquer que ces expressions désignaient 
aussi d’autres objets de métal, tels que petites plaques, bijoux et 
figurines de. piété qui s’agrafaient à la coiffure ou se portaient au 
cou. Les mots signum et insiynum pour insignium se lisent sur 
d'anciennes plaques rondes du pèlerinage de saint Jean-Baptiste, 
d'Amiens. 


_ 93 — 


deux côtés el sont d'ordinaire plus petites, plus soignées 
et mieux composées ; ovales et quelquefois rondes, elles 
portent un anneau. | 

Mais revenons aux enseignes. En 1311, les religieux 
de Saint-Maximin, en Provence, faisaient couler des 
images de sainte Madeleine dans des moules en fer et en 
cuivre, appartenant à la sacristie du couvent. Ces moules 
étaient confiés à des marchands, chargés de fabriquer 
ces effigies de plomb et d’en vendre aux pèlerins qui 
affluaicnt à Saint-Maximin. Des maladies contagieuses 
ayant décimé la population, la piélé, exaltée par la 
crainte, fit tant rechercher ces enseignes, que d’autres 
fabricants ne craignirent pas de graver des moules, de 
couler de nouvelles images de plomb e: d'en vendre. 
C'était un grand préjudice pour les moines, aussi por- 
térent-ils plainte à l'autorité royale : en 1354, ils élaient 
maintenus dans leur possession, et défense élait faite 
de vendre de ces sortes d'images sans l’aulorisation 
du prieur du monastère ! j 

En 1379, les religieux de l’abbaye de Saint-Eloi, de 
Noyon, demandaient à être maintenus dans les immu- 
nités dont ils avaient toujours joui, pour la vente de 
signes de pélerinages aux fidèles qui se- rendaient en 
foule au tombeau de l'évêque monétaire *. Nous trou- 
vons. en 1397. la mention d'une ensaigne d’argent pou- 
vant valoir deux sols *. 


1. L'abbé Faillon, Histoire des inonuments inédits de l’apostolat 
de Marie-Madeleine. 


2. Jacques Le Vasseur, Annales de l’église cathèd. de Noyon, p. 495. 


3. Carpentier, continuateur de Du Cange. Glossariuin novum ad 
scriplores medti œvi., t. iv du supplément. 


94 — 


Le xv*”siècle fournit de nombreuses mentions d’en- 
seignes de pélerinage ‘. Sans parler de celles qui ren- 
trent dans notre cadre et dont nous parlerons dans Île 
cours de ce travail, nous citerons les suivantes, concer- 
nant: Notre-Dame de Halle en 1420, 1436, 1440 ct 
1441 ; Saint-Adrien de Grammont en 1438: Sainte-Cathe- 
rine de Fierbois en 1455: Notre-Dame de Rœux en 
1457 *. On doit supposer que l'origine des enseignes ou 


4. Les enseignes de plomb et d’étain étaient, au xve siècle, l’objet 
d’une industrie importante à Paris et ailleurs. Dans son ouvrage : 
Histoire et recherches de la ville de Paris (notes sur les comptes de 
la prévôté pour les années 1433 et 1434), Henri Sauval, qui vivait 
au milieu du xvue siècle, s'exprime ainsi: « Sçavoir ce que c'est 
qu'un biblotier ? c’est un faiseur et mouleur de petites images de 
plomb, qui se vendent aux pélérins et autres. » A la même époque, 
on appelait miraclier, le marchand de choses pieuses, notamment 
d’enseignes de vermeil, d'argent, de plomb et d’étain. (D’Arbois 
de Jubainville, Documents relatifs à la construction de la cathé- 
drale de Troyes). Dans les Règlements sur les arts ct métiers de 
Paris, recueillis par Etienne Boileau et publiés par Depping en 1837, 
on lit: « Quiconques veut estre ouvriers d’estain, c’est à savoir 
fesieres de miroirs d’estain, de fremœus d’estain, de souneites, 
de anèles d’estain, de mailles de plon, de méreaus de toutes 
manières et de toutes autres menues choseites appartenant à plon et 
à estain, il le peut estre franchement, et ouvrer de nuïz et de jours, 
se il li plaist et il en a mestier, et avoir tant de vallés comme il li 
plaira ». On voit par là qu’il devait exister à Paris une industrie de 
plombs, qui pouvait alimenter les grands pèlerinages, comme le fait 
judicieusement remarquer M Forgeais dans sa Collection de plombs 
historiés, 2e série, p. 75. 

2. De Laborde, Les Ducs de Bourgogne, preuves, passim. — 
Revue de la Numismatique belge, 1868, p. 75, article de M. de 
la Fons Mélicocq. 

Il existe une publication intéressante sur un grand nombre de 


gere 


imaiges religieuses du nord de la France est également 
bien reculée ; cependant les plus anciennes connues ne 
peuvent guère être attribuées qu'à la premiére moitié 
du xv° siècle. Beaucoup de signes ou de souvenirs de 
pélerinages affectent des formes bizarres ; ce sont des 
curiosités qui ne sauraient être prises pour des médailles 
religieuses, aussi n'ont-elles qu’un faible rapport avec 
la numismatique: elles forment une classe à part, qu’on 
pourrail désigner sous le nom d’Imagerie populaire. 
Nous ne comprendrons pas dans nos planches celles des 
enseignes de ce genre qui se rapportent à des localités 


curieux monuments de cette classe ; elle est intitulée : Collection de 
plombs historiés trouvés dans la Seine et recueillis par Arthur 
Forgeais; deuxième série: enscignes de pèlerinage. M. Chalon, 
directeur de la Revue de la Numismatique belge, y a rendu compte 
de ce travail (p. 101 du t. 4er de la 4 série) ; le savant et spirituel 
numismatiste n’a pas manqué d'exercer sa verve satirique et rail- 
leuse sur ces images métalliques, dont la plupart, il faut le dire, 
laissent trop à désirer sous bien des rapports. M. Didron, l'éditeur 
des Annales archéologiques, mentionnant à son tour cet ouvrage 
dans son recueil (année 1861, t. xx1, p. 52), n’a pas eu de termes 
assez dédaigneux pour ces pauvres plombs qu'il avait trouvés aussi 
laids que faux. C'était certainement aller trop loin. M. Garnier prit 
la défense de ces modestes monuments, dans sa Notice sur quelques 
enseignes de pèlerinaye en plomb concernant la Picardie (p. 36 et 
suiv.). Après avoir constaté leur authenticité, le docte Secrétaire 
perpétuel des Antiquaires de Picardie prouve que ces enseignes, 
quelqu'imparfaites et grossières qu’elles soient, ne sont pas cepen- 
dant dépourvues d'intérêt et indignes de la science historique. Aussi 
M. Forgeais a-t-il obtenu de l’Académie des Inscriptions deux récom- 
penses flatteuses pour ses recherches, dont l’ensemble forme un 
ouvrage vraiment précieux, suivant les termes mêmes du rapport 
présenté par M. de Saulcy. 


00 — 


du département du Pas-de-Galais : il nous suffira de les 
mentionner ; d’ailleurs, ces plombs excentriques sont 
assez rares pour nos contrées, où ils n’ont jamais joui 
d'une grande vogue ‘. En effet, malgré les actives re- 
cherches faites jusqu'ici, l’on n’en a découvert qu’une 
vingtaine, et dans ce nombre figurent, pour les trois 
quarts, ceux de Notre-Dame de Boulogne. Il convient 
aussi de faire remarquer que, comme plus de la moitié 
de ces images métalliques, décrites par M. Forgeais*, ont 
été trouvées à Paris, dans le lit de la Seine, on peut sup- 
poser qu'elles ont été fabriquées aussi bien pour le pêle- 
rinage de Notre-Dame de Boulogne-sur-Seine, que pour 
celui de Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer *, 

Il était cependant des enseignes d’un genre tout 
différent; ci-après nous en placerons une du xv° siècle, 
bien intéressante, trouvée récemment à Arras: elle est 
gravée en creux sur cuivre fort argenté et parait avoir 
été niellée autrefois. On y voit le corps inanimé d’un 
enfant emmailloté, déposé aux pieds de la Vierge, cou- 
ronnée et nimbée, assise sur un trône dont la partie 
supérieure est couverte d'ez voto. La Reine du ciel tient 
l'Enfant Jésus sur ses genoux ; de chaque côté, un ange 
vêtu d’une longue robe porte un chandelier. Ce gracieux 
ensemble laisse entrevoir la résurrection de l'être que 


4. L'usage de ces images métalliques s’est, jusqu’à ce jour, 
conservé en Espagne ; nous en avons vu de modernes, exposées 
° A 
en vente chez des orfèvres de Barcelone et de Tortose. 


2. Collection de plombs historiés, 2e série, p.77 et suiv. 


3. Rouyer, Notice historique sur quelques médailles de Notre- 
Dame de Boulogne, p. 17. — Forgeais, ouvrage cité ci-dessus, 
p. 12. — Garnier, Notice sur quelques enseignes de pèlerinage, p.11. 


97 


la mort a frappé si tôt. Notre enseigne se rapporte visi- 
blement au pélerinage d’un sanctuaire qui passait pour 
avoir été témoin du miracle. 


Fserene (où 
Gyreanoamemne-"26 ><", 


Ce qui caractérise les médailles religieuses, ce sont non- 
seulement leur forme et leur bélière, mais encore les 
sujels pieux qu'elles retracent, el qui se rattachent, soit à 
des pèlerinages renommés, soit àdes dévotions populaires. 
Quelque variées qu'elles soient, les formes des médailles 
de piété de nos contrées sont ordinairement assez sim- 
ples. jamais elles ne sont bizarres comme beaucoup 
de ces objets de dévotion trouvés dans la Seine. Elles 
sont rondes, ovales. carrées, losangées, octogones, en 
cœur ou disposées en niche. Le contour est quelquefois 
orné, dentelé, ou carré quadrilobé. Sur quelquesméduilles 
quatre globules extérieurs forment une croix ; sur d’au- 
tres, les mêmes grains, au nombre de dix, servaient de 
dizain. En général, dans les xv° et xvie siècles, les 
médailles de piété sont estampées, rondes ou carrées : 
dans le xvn°, elles sont ovales, rarement rondes ou 
octogones ; dans les xvirr® et xix°, elles sont ovales. 
La bélière est presque toujours adhérente à la médaille: 
si elle en a été détachée, elle v a laissé presque toujours 
quelque trace. 


_ 98 — 


Les médailles que nous publions offrent souvent pour 
type principal uae seule figure, quelquefois deux, rare- 
ment trois. Elles représentent le plus ordinairement la 
Divinité sous ses diverses apparences, la sainte Vierge 
sous ses différentes dénominations *, les saints et saintes 
particulièrement honorés dans les principaux pélerinages 
et dans les dévotions spéciales. Puis viennent les lé- 
gendes et inscriptions, les attributs et symboles, enfin 
les accessoires et particularités servant à fixer les attri- 
butions et à les justifier. On remarquera souvent que ce 
qui caractérise nos saints sur leurs médailles, c’est plutôt 
le souvenir d’un fait ou d’uue circonstance que l'expres- 
sion d’une idée abstraite. | 

C’est en notre siècle qu'ont été produites les plus belles 
médailles de piété ; le sentiment religieux qui les a ins- 
pirées, la dignité des sujets, l'élégance des types, le fini 
des détails et la sûreté de la frappe permettent souvent 


de les comparer à nos médailles historiques.? Mais 


4. On consultera, avec autant d'intérêt que de fruit, sur l’ancien- 
neté, l'importance et le nombre des médailles de la sainte Vierge, 
une dissertation de l’abbé Bourassé, le savant archcologue. Elle a 
pour titre: Numismala Mariana et a été insérée dans le Summa 
aurea B. V. Mariæ,t. v, p. 538 et suiv. de l’édition de l’abbé Migne. 


9. Les maisons Vachette, Robineau, Vincard, Naudin et Massonnet, 
de Paris, de mème que la maison Penin, de Lyon, ont produit une 
quantité considérable de médailles de piété répandues sur la surface 
du globe. Le plus grand nombre de ces médailles a été frappé à la 
Monnaie de Paris. 

Il est juste de dire que précédemment, notamment dans le 
xvuie siècle, des artistes de talent se sont distingués dans la gra- 
vure de ce genre de médailles; citons, entre autres, Philippe 
Roettiers, dont les coins particuliers sont conservés au dépôt de 
coins, poinçons et matrices de Bruxelles. 


_ 99 — 


cette perfection a été rarement atteinte pour les médailles 
qui font le sujet de cet ouvrage. Trop longtemps, ces 
petits monuments furent exécutés par des artistes sans 
talent ; orfèvres, fondeurs, potiers d’étain ou marchands 
ambulants, qui en faisaient le commerce. Ces fabricants 
plus ou moins habiles avaient surtout le lucre pour but, 
aussi, s’inquiélant peu de la vérité historique, ne cher- 
chaient-ils presque jamais à copier les statues vénérées 
qu'ils devaient reproduire. Ce qui pourrait expliquer une 
telle négligence sans l’excuser, c'était le bas prix de ces 
médailles ; pour que le débit en fût facile et assuré, il 
fallait qu’elles fussent d'une minime valeur*. Voilà pour- 


2. Nous devons à l’obligeante amitié de M. de Schodt, le docte 
secrétaire de la Société royale de Numismalique de Belgique, de 
précieux documents sur la fabrication et le prix des médailles reli- 
gieuses du milieu du xvr® siècle. Ces renseignements sont tirés 
d’un manuscrit flamand intitulé. Kercke-Boeck van O. L V, livre 
à l'usage de l’église Notre-Dame de Courtrai, et traduits ainsi: 
Paiement de médailles dorées et de médailles d'argent, de cuivre 
et d’étain, fournies à l’église pour être emportées par les pèlerins et 
les personnes dévotes. Le 7 novembre 1642, il a été livré 18 douzaines 
de médailles d'argent à 25 sous la douzaine, une douzaine à 50 sous 
et 10 douzaines de médailles d'argent à 15 sous. — Le 24 des mêmes 
mois et an, il a été payé à François Grognard, fondeur à Valen- 
ciennes, 29 douzaines de médailles à 4 sous la douzaine et 15 dou- 
zaines à 2 sous. — Le G juillet de l’année suivante, il a été payé 
13 grosses de médailles d’étain, venant de Lille, à 2 livres la grosse, 
port en sus, autre grosse de mêmes médailles au même prix et 7 dou- 
zaines de grandes, moyennes et petites médailles d'argent venant aussi 
de Lille, coûtant avec le port 17 livres 5 patards. — Enfin, le 98 sep- 
tembre 1543, il a été payé à Lille, 12 douzaines et demie de médailles 
d'argent à 5 livres la douzaine, 26 douzaines à 15 sous et 14 autres à 
25 sous. Voilà donc en moins de deux ans le nombre considérable de 
3,006 médailles pour une seule dévotion. 


90 — 


quoi les métaux employés ordinairement pour la fabri- 
cation, étaient les plus communs et les moins coûteux : 
c'étaient le cuivre, le plomb, l’étain ou un alliage de ces 
deux derniers métaux ‘. Les médailles de cette nature 
élaient surtout celles qui se distribuaient dans les pèle- 
rinages ou qui se vendaient à la porte des églises et des 
chapelles lors des neuvaines et pendant les fêtes consa- 
crées aux dévotions populaires. Il en est encore ainsi de 
nos jours. 

Les médailles d'argent, beaucoup moins nombreuses, 
étaient aussi vendues par les marchands spéciaux d'objets 
de pèlerinage, mais elles rentraient plus particul'ère- 
ment dans le commerce des orfévres et des marchands 
d’ornements d'église*. Quant aux médailles de vermeil et 
d’or, loujours si rares, c’étaient les orfévres et les mar- 
chands d’ornements qui les faisaient frapper, après com- 
mande. Le même mode de vente subsiste toujours our 
les médailles d'or, de vermeil et d'argent. 

La vente des médailles religieuses n’était pas toujours 
l'affaire exclusive des marchands qui les avaient com- 
mandées à des artistes plus ou moins expérimentés, s'ils 
ne les avaient faites eux-mêmes. Quelquefois, les chape- 
lains, les sacristains ou autres employés des lieux de 


4. Les médailles de plomb et d’étain étaient parfois dorées, aussi 
en retrouve-t-on avec des traces de dorure que le temps n’a pas 
encore effacées entièrement. C’est du reste ce que confirme cet 
extrait d'inventaire dressé, en 1567, chez le secrétaire du comte de 
Hornes : « Deux rondes médailles petites de plomb dorées, l’une de 
Notre-Seigneur et l’autre de Notre-Dame. » (Pinchart, Archives des 
Arts, Sciences et Lettres, t. 1, p. 185). 


2. Nous en verrons des exemples à l’article de Boulogne-s-Mer. 


pèlerinage ou de dévotion n'étaient pas étrangers à cette 
vente ; ils en reliraient un bon lucre dont ils profitaient, 
ou qui était employé à l'entretien et à l’embellissement 
des sanctuaires. Aussi gardaient-ils les moules et les coins 
pour se réserver le privilége de la vente el mieux s'assurer 
leur part dans le bénéfice qu’elle devait produire. Et si 
parfois il arrivail que, sans leur consentement, des mar- 
chands vendissent de nouvelles médailles, ils ne man- 
quaient pas de les entraver et d'arrêter la vente. De là, 
contestations et procès *. 

Il faut le reconnaître, il eût été désirable qu’une sur- 
veillance fût exercée activement sur ce commerce *. Une 
telle mesure aurait arrêté maintes fois le débit de tant de 


4. Voir notamment: Histoire des monuments inédits de l’apostolat 
de Maricé-Madeleine, par l'abbé Faillon. 

Des enseignes et des médailles d'or, de vermeil et d'argent 
furent quelquefois offertes aux rois, aux princes, aux prélats et 
aux personnages qui se rendaient à des pèlerinages, comme cela 
s’est pratiqué à Boulogne-sur-Mer et à Cambrai. (Voir pour cette 
dernière ville ses Mémoires de la Société d'émulation, année 
1823. p. 313, t. xxx1, p 270 de la première partie). Souvent des 
pièces du même genre, mais en cuivre, en étain et en plomb, 
étaient distribuées aux pèlerins moyennant une légère offrande, et 
même gratuitement. 


2. Une petite fraude à signaler : on se tromperait si l’on croyait 
que toutes les médailles relisieuses portant pour exergue ROMA ont 
été frappées dans la ville éternelle. Souvent les marchands y ont fait 
graver ce nom pour laisser supposer aux acheteurs trop crédules que 
ces pieux objets venaient de Rome mème et avaient été bénits par le 
père commun des chrétiens, On verra un exemple de ce singulier 
procédé sur une médaille du Calvaire d'Arras, au revers de Notre- 
Dame de Montserrat (n° 98), | 


90 


médailles grossières et de mauvais goût, trop défec- 
tueuses pour porter à la dévotion et surtout indignes du 
culte qu'elles devaient entretenir et propager. 

Il est facile de se faire une idée de la manière dont ce 
genre de commerce s’exerçait d'ordinaire autrefois, en 
se reportant à ce qui se pratique de nos jours dans les 
fêtes patronales, où figurent encore les étalages d'objets 
de piété. A la porte de l'église ou de la chapelle que 
fréquentaient les pélerins, étaient rangées les baraques 
et les échoppes des marchands que la fête avait attirés. 
Aux premières places étaient exposées avec symétrie 
des médailles spéciales au pélerinage, les bagues 
à sujets pieux, les chapelets, les images et les petits 
drapeaux triangulaires représentant le saint vénéré. 
Les nombreux visiteurs s’arrêtaient devant ce brillant 
étalage et ne manquaient pas d’y acheter, entre autres 
objets, des médailles qu'ils portaient sur eux ou qu'ils 
attachaient à leur chapeau, comme souvenirs de leur 
pélerinage. | 

Autrefois, presque toutes les médailles d’or, de ver- 
meil, d'argent et de cuivre se frappaient au marteau 
avec des coins en acier ; les autres se coulaient dans des 
moules de cuivre ou d’ardoise. 

Depuis la seconde moitié du xv° siècle jusqu au com- 
mencement du xvin°, beaucoup de ces médailles ont été 
frappées sur de minces feuilles de métal, comme les 
bractéates, dont elles se rapprochent assez par la forme. 
Souvent, les deux côtés ainsi estampés séparément 
étaient soudés, encastrés ou joints ensemble par les 
bords. Quelquefois, ils étaient réunis au moyen d’un 
léger cercle ou disque du même métal formant la tranche 


—9%— 
et ménageant un vide pour faire un petit reliquaire de la 
médaille ainsi composée !. 

Nous possédons deux moules en pierre d’ardoise, 
dans lesquels on fondait des médailles de plomb et 
d'étain. Ces matrices, trouvées près de Béthune, font voir 
comment le métal était conduit par des jets dans chaque 
forme. Les ronds qu'on y remarque sont des points de 
repère qui permetlaient de joindre exactement les deux 
côtés du moule. Ces matrices, comme celles publiées 
par M. Forgeais *, montrent que souvent on coulait à la 
fois plusieurs médailles différentes. La première, gravée 
sur les deux faces, prouve de plus que, pour activer 
le moulage, on superposait plusieurs moules dans les- 
quels on versait le métal fondu. Celte opération, dont on 
s'explique facilement la simplicité, étail faite sans doute 
par les vendeurs eux-mêmes, qui pouvaient ainsi fabri- 
quer, où ils se trouvaient, les médailles et autres objets 
de piété, selon leur débit. 

Quand parfois des médailles religieuses étaient des- 
tinées à des personnages, elles étaient en or, en vermeil 
ou en argent, et quelquefois elles élaient rehaussées 
d'un entourage, où s’enchassaient habilement des perles 
et des pierres précieuses 5. Souvent cel encadrement 


4. Dans ces espèces de reliquaires on trouve quelquefois, soit de 
tout petits morceaux de pain, de cire ou d’étoffe, soit des parcelles 
de reliques, soit même de la terre du lieu de pèlcrinage. 

2, Collection de plombs historiës trouvés dans la Seine, t. IV, 
p. 4kett. v, p. 251 et 253. 

3. Inventaire de Charles V, fol. 29. Voir aussi les comptes des 
ducs de Bourgogne aux Archives générales du Nord, à Lille, et 


3 


4 


était artistement exécuté en filigrane d’un métal pré- 
cieux, dont les filets, d’une finesse admirable et d’une 
extrême légèreté, s’enlaçaient et se contournaient gra- 
cieusement pour former un ensemble harmonieux, 
comme on en voit dans notre cabinet et dans celui de 
M. Delattre, de Cambrai. 

Comme :l sera plusieurs fois question, dans notre 
travail, de médaillons religieux, en forme de boîte, assez 
répandus aux xvi° et xvu° siècles, nous croyons pouvoir 
publier ici, d’après notre collection, un de ces objets, 
aussi curieux que compliqué. Il est en argent, ovale et à 
bélière ; il porte, d'un côté, le monogramme du Christ, 
el de l’autre, celui de sa mère. Il contient séparément : 
. 1° la sainte face, entourée de douze rayons ; ?° la Vierge 
et l'Enfant Jésus ; 3° un cornet de chasse avec chainette 
à laquelle est attachée une tout petite médaille en brac- 


les extraits qui en ont èté faits par M. de Laborde, pour son curieux 
travail, malheureusement inachevé : Les Ducs de Bourgogne. Loin 
de suivre ce luxe effréné de la maison de Bourgogne, Louis XI avait 
choisi le plomb pour la médaille fixée à son chapeau. 

Nous ne saurions partager l’opinion émise par M Forgeais dans sa 
Notice sur les plombs historiés trouvés dans la Seine, p. 5, touchant 
l'usage des trois enseignes de Gabrielle d’Estrées, estimées 
25,000 écus. La description détaillée de ces magnifiques objets, 
contenue en l'inventaire des bijoux de la célèbre maîtresse de 
Henri IV, démontre clairement que c’étaient des joyaux ou parures 
d’un caractère tout-à-fait mondain. On peut lire cette description 
dans l’ouvrage de M. le comte de Laborde: Notice des ëmaux du 
Louvre, 2e partie, glossaire, p. 262, 


0e 


téale, représentant saint Hubert entre les lettres $S H, 
ses iniliales. | 


Notre collection renferme un bon nombre de médailles 
religieuses, unifaces et assez grandes, des xv° el xvi° 
siècles, en cuivre où en plomb, trouées sur les bords ou 
munies d’une agrafe. Ces plaques, qui s’altachaient sur- 
tout au chapeau, servirent de signes de ralliement et de 
reconnaissance. Elles furent employées pour constater 
l'accomplissement de vœux, de devoirs pieux ou de 
peines à expier, mais elles étaient presque toujours des 
marques extérieures de dévotion ‘. On se rappelle la 
médaille ou l’image de plomb que Louis XI portait à son 
chapeau *. L’on sail aussi que l’exemple donné par le 


4. Les enseignes et médailles que les pèlerins rapportaient de 
leurs pérégrinations facilitèrent souvent leur retour ; montrées aux 
fidèles, elles leur inspiraient la charité. 

2. Philippe de Comines, Mémoires, livre second, chap. vit. Dans 
son Trésor des merveilles de T'ontainebleau, le père Daniel dit avoir 
vu, dans cette résidence royale, une petite image de plomb représen- 
tant la Vierge, que l’on tenait être celle que ce prince portait 
ordinairement à son chapeau. 

Dans son Histoire des Ducs de Bourgogne de lu Maison de Valois 
(Ge édition, t. vit, p. 18#), M. de Barante s'exprime ainsi, à l’année 


— 36 — 


superstitieux et rusé monarque fut bientôt suivi par ses 
sujets, et combien cette mode se répandit dans les cam- 
pagnes, où elle se maintint longtemps ‘. Pendant les 
troubles des Pays-Bas, en 1566, cet usage reprit une 
nouvelle faveur dans ces provinces ; il eut d’abord un 
caractère politique, mais il redevint et resta religieux * 


4483, touchant la piété de ce roi dévot pour les médailles reli- 
gieuses : «11 avait toujours eu une grande foi aux images bénites, et 
souvent en avait porté sur lui, cousues à son chapeau. Maintenant il 
en avait un plus grand nombre que jamais, et, selon sa fantaisie du 
moment, il avait dévotion tantôt à l’une, tantôt à l'autre. Il les 
baisait de temps en temps, ou bien se jetait à genoux et récitait 
soudainement une oraison adressée à quelqu’une de ces images... 
Presque toutes étaient de plomb ou d’étain, comme on les vendait au 
peuple. Les marchands colporteurs venaient lui en apporter, et une 
fois il donna cent-soixante livres à un petit mercier qui, dans 
sa balle, en avait une bénite à Aix-la-Chapelle. » 

4. Montfaucon, Monuments de la monarchie française, xve siè- 
cle, — Monteil, Histoire des Français des divers états, t. 11, chapitre 
intitulé : Le Cultivateur. On trouve dans les manuscrits un grand 
nombre de miniatures qui représentent des personnages avec une 
médaille au chapeau. 

2. Strada, Histoire de la guerre des Pays-Bas, t. 1, liv. v. — 
Van Loon, Histoire métallique des XVII provinces des Pays-Bas, 
t. 1, p. 84. 

Lors des troubles, les confédérés connus sous le nom de Gueux, 
avaient porté au cou par affectation et comme signe de ralliement, 
des médailles de cire ou de bois, puis de cuivre, d'argent et d'or, 
sur lesquelles on lisait: En tout fidelles au roy jusqu’à porter 
la besace. Pour combattre cette démonstration hostile, le duc 
d’Arschot, qui avait une grande vénération envers Notre-Dame 
de Halle, fit frapper des médailles d'argent en l'honneur de ce culte 
célèbre parmi les catholiques de la contrée. I] porta cette médaille à 
son chapeau comme preuve de son récent pèlerinage à cette dévo- 
tion ; son exemple fut bientôt suivi par ses gentilshommes et par de 
nobles Bruxellois. Le pape en ayant été informé par la gouvernante 
des Pays-Bas, approuva cette piété, bénit et consacra les médailles 


ap 


Aux xvau et xvir1° siècles, les médailles de dévotion, 
plus petites que les premières et d’un usage plus géné- 
ral, avaient deux types et une bélière. Les hommes 
pieux les allachaient bicu à leur chapeau par un cordon; 
mais ce n élait plus que comme des souvenirs de pèleri- 
nage, ou comme des objets de dévotion particulière. Les 
femmes, les jeunes filles et les enfants n’ont cessé d’en 
porter au cou et sur la poitrine. 

Rappelons encore quelques emplois des médailles re- 
ligieuses. Les fidèles en gardaient dans leur bourse, afin 
d’être souvent incités à la prière el à de bonnes œuvres ; 
ils en ornaient de petites boites de bois qu'ils portaient 
sur eux avec la même intention; ils en mettaient dans 
leurs constructions nouvelles et dans leur demeure pour 
y appeler la protection divine. Ils en ornaient les croix 
et reliquaires ‘; ils en mettaient au bas des chapelets, 
et quelquefois à chaeune de leurs dizaines de grains *.. 


dont elle était l’objet, et y attacha des indulgences. Dès lors, tous les 
catholiques de ces provinces portèrent des médailles de Notre-Dame 
de Halle ou d'autres dévotions. (Juste Lipse, Histoire de Notre-Dame 
de Halle. — Strada, Histoire de la guerre des Pays-Bas, t. x, 
Jiv. v. — Van Loon, Histoire métallique, t. 1, p. 84 à 87. — Derode, 
Histoire religieuse de la Flandre maritime, p. 1068). 

Dans les Mémoires de Pontus Payen, t. 1, p. 365, on lit qu’une 
médaille de la Vierge fut donnée à l’infortuné Lamoral, comte 
d'Esmont, décapité, en 1568, pour avoir entretenu des liaisons avec 
les confédérés. C'était sans doute une médaille de Notre-Dame 
de Halle. 


1. Nous avons admiré dans la trésorcrie de la cathédrale de Cologne 
un riche reliquaire cylindrique auquel sont appendues dix précieuses 
médailles de piété. 


2. Nous possédons trois de ces chapelets ainsi composés. 


__ 38 — 


Enfin ils en plaçaient comme ex-voto dans les chapelles. 
On retrouve encore de nos jours la plupart de ces pieuses 
pratiques. Dans les familles chrétiennes, vous voyez la 
médaille de la Vierge Marie, protectrice de la France, 
et celles de nos saints les plus vénérés *. 

Nous n'avons pas à parler ici des effets prodigieux attri- 
bués aux médailles de dévotion ; ce sujet a été traité, pour 
plusieurs d’entre elles, dans des ouvrages spéciaux *. 
Disons cependant un mot de la confiance et de la piété 
qu'inspirent encore ces médailles. C'est avec amour que 
la tendre mère passe sa médaille au cou de son jeune 
enfant ; c'est avec foi que le soldat sur le champ de 
bataille, et le marin dans les tempêtes et au milieu des 
écueils de l'Océan, portent celle que leur pauvre mère 
leur à remise à leur départ. 

La médaille religieuse la plus répandue depuis le 


1. Que de médailles religieuses furent dispersées et anéanties 
pendant la Terreur, quand, en 1793, la commune de Paris défendait, 
par arrêté, d'en vendre et même d’en montrer ; quand elle faisait 
brûler publiquement toutes les choses saintes que, dans sa fureur 
impie et sacrilège, elle appelait hochets de fanatisme ! Les nouveaux 
niveleurs eussent voulu aussi interdire la prière, comme le démontre 
une de leurs brochures : Grande dénonciation faite aux Jacobins 
dans la dernière séance contre les diseurs de chapelets, et découverte 
d'une conspiration universelle duns les palenôlres. 


2. Voir notamment : Notice historique sur l’origine et les efjets de 
la nouvelle médaille frappée en l'honneur de l’Immaculée-Concep- 
lion de la très-sainte Vierge, et généralement connue sous le nom de 
Médaille miraculeuse, — Aladel, La Médaille miraculeuse. — Le 
R. P. Dom Prosper Guéranger, abbé de Solesmes, Essai sur l’ori- 
gine, la signification et les priviléges de la Médaillelou Croix de 
saint Benoît, 


L: 40 — 


xvri° siècle jusqu à la Révolution fut celle de saint Benoit ; 
aussi en connail-on une infinilé de variétés. Nulle part 
celte médaille n’a été mieux accueillie que dans le nord 
de la France, si l’on en juge par le grand nombre 
d'exemplaires qu'on y trouve‘. La spécialilé de notre 
travail nous engage à rappeler, après beaucoup d’autres, 
le sens de lettres détachées qui se lisent sur la médaille, 
initiales à l'apparence si mystérieuse, que le vulgaire avait 
donné à celte pièce le nom de médaille des sorciers *. 
Voici quels sont ces caractères avec leur signification la- 
tune: [HS {lesus Hominum Salvator). VRSNSMV.SMQLIVB 
(Vade Retro, Satana; Nunquam Suade Mihi Vana. Sunt 
Mala Quæ Libas ; Ipse Venena Bibas). Sur la ligne perpen- 
diculaire de la croix sont les lettres: CSSML. /Crux Sacra 
Sit Mihi Lux). Sur la ligne horizontale : NDSMD. {Non 
Draco Sit Mihi Dux). Entre les branches de la croix : CSPB. 
(Cruz Sancti Patris Benedicti). 

Celles des médailles de saint Benoît qui, par leur 
style, leur fabrique et leur nombre, semblent appartenir 
à notre contrée, sont aux types suivants: Le religieux, 
nimbé, vu en buste à droite, est près d'un prie-Dieu sur 
lequel est un livre ouvert; il est en prières devant un 


1, Notre médaillier renferme plus de cent variétés de cette médaille, 
recueillies dans la contrée. 


2. Les cfjets et vertus de lu croix, où médaille du grand 
Palriurche saint Benoist.— Le Magasin Piltoresque, t. 1x, p. 92. — 
Le R. P. Dom Guéranger, ouvrage déjà cité. — L'abbé Coffinet, 
Médaille de saint Benoît, vulgairement el improprement appelée la 
Médaille des sorcicrs, notice insérée dans les Mémoires de la Société 
académique du département de l'Aube, t. XXIX, p. 258. 


ire 


crucifix au pied duquel on voitune mitre. La légende porte: 
S P BENEDICT VS. Souvent ce sujet est remplacé par les 
lettres IHS, qu'entoure une légende composée des ini- 
tiales des deux premiers vers transcrils ci-dessus. Le 
revers offre toujours la croix ancrée, avec les autres 


initiales. 


Au siécle dernier, jusquà la Révolution, d’autres 
médailles de piété trouvérent un débit considérable 
dans tout le nord de la France, notamment dans l’Ar- 
tois. Citons celles de saint Hubert, de saint Roch, dela 
sainte face, du saint suaire de Besançon, de Notre- 
Damc de Liesse, de Notre-Dame de Cambrai, de Notre- 
Dame de Bon-Secours et du Calvaire d'Arras. Notre siè- 
cle a aussi produit, pour ces dévotions, de nouvelles 
médailles qui se sont encore vendues à très grand nom- 
bre dans notre contrée ; ajoutons-y la Médaille miracu- 


= 


leuse, celles de Notre-Dame de Boulogne et celles du 
bienheureux Labre. 

Les médailles religieuses, surtout les plus anciennes, 
n'ont souvent qu'un côté; quelquefois elles en offrent 
deux semblables. Pour la classification de celles qui 
présentent deux faces différentes, il convient de dis- 
tinguer le droit, ou côté principal, du revers, qui n’en 
est ordinairement que le complément ou l'accessoire. 
Cependant, les deux sujets ayant parfois la même im- 
portance, chaque côté peut être pris également pour droit 
et revers; c’est ce qui arrive surtout quand la médaille 
a été fabriquée pour être vendue à deux pèlerinages. 
Sans motif de préférence, nous attribuerons la médaille 
à celle des deux dévotions qui se présentera la première 
dans l’ordre alphabétique. On observera que le ‘sujet 
principal n'est pas toujours celui qu’on supposerail. 
Citons pour exemple le type si répandu de Notre-Dame- 
de-Grâce de Cambrai; la médaille qui l’offre d’un côté 
ne doit pas appartenir à cette ville, si le sujet reproduit 
sur l’autre lui est tout-à-fait étranger. 

Nous avons adopté pour la classification des médailles 
de ce recueil, l’ordre alphabétique des lieux et une seule 
suite de numéros, ce qui facilitera beaucoup les re- 
cherches, sans nuire trop à l'ensemble. Chaque article 
sera précédé d’une notice succinte, où nous retracerons 
l'histoire du culte auquel les médailles se rapportent. 
Nous aurons soin de mentionner ce qui pourra servir à 
leur explication et à leur interprétation, et d'indiquer la 
bibliographie ct l'iconographie de toute dévotion spéciale. . 
Comme la plupart des médailles comprises dans notre 
travail sont de forme ovale et porlent une bélière, nous 


= 49, = 


nous dispenserons de noter ces particularités: donc 
l'absence d'indication sur la forme de la pièce signifiera 
qu’elle est ovale et à bélière. De même, les personnages 
figurés sur les médailles étant ordinairement représentés 
en pied, debout et de face, nous supposerons qu'ils sont 
ainsi disposés ; quand il en sera autrement, mention en 
sera fuite. Nous devons encore prévenir le lecteur que, 
s’il ne trouve point après la description de la médaille 
l'indication du cabinet où elle se trouve, c’est que nous 
la possédons. La plupart des médailles que nous allons 
publier ont été trouvées dans le département du Pas- 
de-Calais. Le plus grand nombre font partie de notre 
collection ; les autres nous ont été communiquées 
obligeamment par plusieurs amateurs, parmi lesquels 
nous aimons à nommer MM. Preux, Rigaux, Delattre et 
Faucheux. | 

En terminant cette introduction, nous prions nos lec- 
teurs d’être indulgents pour un travail qui ne peut être 
qu'un essai, maloré les longues recherches qu'il a 
nécessilées. 


ABLAIN-SAINT-NAZAIRE 


Médailles de saint Nazaire 


Nous commençons ce recueil par un lieu de pelerinage 
qui fournit une suite nombreuse de médailles de dé- 
votion. Assis au pied d’une colline, dans une vallée 
riante qu'arrosent les sources d’une rivière, le village 
d'Ablain-Saint-Nazaire n'avait anciennement qu'une pe- 
tite église; elle était placée sous le vocable de saint 
Nazaire, le diacre qui. sous Néron, reçut à Milan la 
palme du martyre'. Déjà le modeste monument était 
renommé pour son grand pélerinage, où l'on venait de 
toutes parts supplicr ce saint d'implorer la miséricorde 


4, Voir sur ce village, spécialement sur son église et sur le pèleri- 
nage de Saint-Nazaire, les notices ct opuscules ci-après : Le comte 
Achmet d'Héricourt, Ablain-Saint-Nazaire. — Le même auteur, 
Église d'Ablain-Suint-Nazaire. — Terninck, Souchez et Abluin- 
Saint-Nazaire. Notre brochure : Souvenirs métalliques du pèle- 
rinage d’Ablain-Saint-Nazaire. — La vie de saint Nuzare et 
de saint Gelse, marlyrs. — Vies de saint Nazuire et de saint Celse, 
martyrs au Ler siècle, honorés d’un culte spécial dans la paroisse 
d'Ablain-Saint-Nazaire. 


+ = 


divine pour la guérison de frénésies, d’autres maladies 
mentales et de violents maux de tête!. 

Sur l'emplacement de l’humble édifice s'élève majes- 
tueusement une église construite dans le style de la der- 
nière période ogivale. Ce monument, remarquable par 
ses belles proportions, par son architecture hardie et gra- 
cieuse, ainsi que par la richesse des détails, fut érigé, 
vers 1525, par Charles de Bourbon, seisneur de Carency, 
en mémoire de la guérison inespérée de sa fille, atteinte 
de folie’. L'un des autels latéraux, celui de saint 
Nazaire, où est exposée une partie du crâne du saint, a 
continué d’être visité par des milliers de pélerins; mais 
c’est toujours le 12 juin et pendant la neuvaine, com- 
mençant le 28 juillet, que l’affluence des fidèles est la 
plus grande. 

Il est à remarquer que les fous eux-mêmes élaient 
quelquefois amenés à l’église : les plus tranquilles pou- 
vaient se tenir sur le banc de pierre placé à l’intérieur de 
la tour; quant aux autres, ils étaient attachés à l’exlé- 
rieur, à l’aide d’anneaux qu’on y voit encore, ou mis dans 
une cage de fer. Nous trouvons de curieux détails sur un 


4. La vie de saint Nazare, p. 10. — Vies de saint Nazaire et 
de saint Celse, p. 17. Ces petits livres se sont vendus au lieu du 
pèlerinage ; le premier renferme des relations de prodiges et des 
oraisons en prose et en vers. 

2 A. d'Héricourt, Eglise d’Ablain-St-Nazaire, page 3. L'auteur 
nous à laissé dans sa notice une savante description de cet édifice. 

8. Au xve siècle et au xvIe, des testateurs ordonnèrent maintes fois 
des pèlerinages à l’église d’Ablain-St-Nazaire ; nous en trouvons des 
"exemples dans des testaments de 1474, 1480, 1508 et 1538, conservés 
aux Archives de la ville de Douai. 


= 


pélerinage fait en 1584, par un de ces malheureux. Dans 
l'espérance d'obtenir la guérison de Jean Clay, de La 
Bassée, atteint de démence furieuse, le magistrat de cette 
ville avait décidé que ce pauvre insensé serait conduit 
au pélerinage de Saint-Nazaire. Jean Clay y fut mené 
pour 50 sols, et installé dans une auberge, où se fit une 
consommation de 31 sols pour sa bienvenue. Mais déjà 
il avait été chargé de fers et mis dans la cage de Monsei- 
gneur Saint Nazaire; il y resta un mois, c'est-à-dire 
l’espace de trois neuvaines et quelques jours. De là, une 
dépense de 19 livres 16 sols pour soins, et de 22 livres 
pour nourriture. Quant aux frais du retour, ils ne furent 
que de 14 sols. Le curé, qui avait lu chaque jour l’Évan- 
gile, à l'intention du forcené, et avait atteslé l’accom- 
plissement de son pèlerinage, reçut pour ces causes 
24 sols. De son côté, le chapelain loucha 10 sols pour 
honoraires de messes qu'il avait célébrées le premier 
jour de chaque semaine. Enfin, le receveur de l’église 
perçut 4 livres pour droits ordinaires. C’est un total de 
0? livres 5 sols acquitté pour le pèlerinage de Jean Clay 
par la ville de La Bassée, suivant ses comptes muni- 
CIpaux. 

Sur toutes les médailles de ce pélerinage, saint 
Nazaire est représenté en diacre et nimbé. Il tient d’une 
main une palme rappelant avec son martyre, la victoire 
qu’il a remportée au prix de son sang'. Souvent il tient 


1. Quelquefois cette palme mal dessinée ou incomprise passe pour 
une forte branche de buis avec laquelle saint Nazaire semble 
asperger un suppliant agcnouillé. Souvent la palme a été prise pour 
des verges et baguettes, ce qui forme un contre-sens, car l’action du 
saint ne peut être que bienveillance et charité, 


— 46 — 


dans l’autre main, ouvert ou fermé, le livre de l’Évan- 
gile, allusion à ses fonctions diaconales. 

Les médailles du pélerinage de Saint-Nazaire connues 
jusqu'ici et décrites ci-après, sont au nombre de vingt- 
deux: la neuvième, trouvée dans le lit de la Seine, 
a fait partie de la collection de M. Arthur Forgeais, 
de Paris; les dix-septième et dix-neuvième se voient 
dans celle de M. Delattre. Les sept premières sont en 
cuivre, ainsi que les n° 16, 17 et 18 ; les n° 8 à 14 
inclusivement, le n° 20 et le n° ?1 sont en plomb; 
les n°“ 15 et 19 en argent et enfin le dernier est en 
alliage de nickel et de zinc. 

Nous assignons le milieu du xv° siècle à la première 
de ces médailles, le xvi° aux treize suivantes et le 
xvir aux n° 15 à 20 inclusivement. Le n° 21 appartient 
au xvin, enfin le dernier ne date que d’une vingtaine 
d’années. Voici la description de ces objets de piété : 


1. S. NAZARE . ES ABELUAI. Cette légende, la 
seule où se lise le nom d’Ablain-Saint-Nazaire, remplit 
trois côtés d'un encadrement au milieu duquel est 
placé le saint, vêtu de l'aube et de la dalmatique. Il 
lient d'une main la palme et de l’autre l'Évangile fermé; 
à gauche, est une figure agenouillée, derrière laquelle 
on voit des ceps ou un fragment de chaîne. Cette 
curieuse plaque est carrée ; elle a été estampée sur une 
mince feuille de cuivre jaune. Au bas, est indiquée 
la place du trou qui devait servir à l’attacher, mais qui 
a été maladroitement fait au-dessus de la tête du saint, 


2. Dans un double cercle, au-dessus duquel règnent 
des branches et des rosaces, est figuré saint Nazaire, 


DER De 


tenant à la main droite une branche dont le bas se ter- 
mine en fleur de lis et présentant l'Évangile de l’autre ; 
devant lui, un suppliant à genoux. Médaille ronde 
fragmentée, frappée sur une légère feuille de cuivre. 


3. Plaque de cuivre, découpée à jour, représentant, 
dans un cercle cordé, le diacre martyr, tenant d’une main 
le livre de l'Évangile et de l’autre une palme, devant 
un suppliant à genoux. La queue, en pointe longue et 
aiguë, qu'on voit de l’autre côté fait supposer que cet 
objet a été fixé à un cierge. 

4. S. NAZARE. Médaille à jour, entourée d’une tor- 
sade; la légende, entre deux cercles, est suivie de dix 
globules alternant avec des doubles points. Le saint 
diacre, qui tient l'Évangile, asperge avec une branche 
une figure agenouillée, placée à sa droite. 

9. Variété sans torsade et sans jour; ici les mains 
du suppliant paraissent altachées à un poteau placé 
devant lui. 


6. Le martyr, tourné à droite vers un suppliant à 
genoux, lient de la main droite des bagucites en faisceau 
et de l'autre l'Évangile. Cette petite médaille est, comme 
la suivante, frappée sur une mince feuille de cuivre. 
Nous en possédons trois exemplaires; sur le premier 
on remarque quatre petits trous qui ont s:rvi à atlacher 
cet objet de dévotion à une coiffure ou à un vêtement. 
Les deux autres, assemblés par un cercle avec anneau, 
forment ainsi un pelit reliquaire qui éiait porlé au cou". 


1. D'ordinaire ces sortes de boîtes contenaient des reliques, des 
parcelles d’étoffes ou du pain bénit On en a souvent trouvé dans la 
Morinie. 


ED ee 


7. Médaille dont le champ est pointillé; elle offre 
le même sujet, mais ici le diacre est posé en sens 
inverse ; le faisceau est dans sa main droite et l’Évan- 
gile dans l’autre. La figure agenouillée est aussi posée 
en sens inverse. 


8. Médaille-reliquaire sans revers. Saint Nazaire y est 
représenté ayant à sa droite une figure priant agenouillée; 
de l’autre côté, la lettre X2, initiale du saint. 


9. Plaque en carré long, dont les angles supérieurs sont 
arrondis, présentant ainsi la forme d’une niche. Les deux 
côtés sont ornés d’une bordure en torsade. Le droit nous 
montre saint Nazaire, tenant une branche au-dessus d’un 
suppliant agenouillé à sa droite. À sa gauche, ses initiales 
S. N superposées ; au-dessus, des ceps ou un fragment 
de chaîne. Revers: la Vierge, nimbée, tenant l'Enfant 
Jésus sur le bras droit; près d'elle, deux plantes; dans 
le haut, deux grandes fleurs renversées. Cette curiosité 
a été publiée par M. Forgeais, dans sa Collection de 
plombs hisloriés, 4° série, p. 205 à 208, et par le Père 
Cahier dans ses Caractéristiques des Saints, p. 789". 


10. Ce plomb a la même forme que le précédent, c'est 
aussi celle des quatre numéros suivants. Dans un enca- 
drement composé d’une torsade et d’un filet se trouve 


1. Après une assez longue discussion, M. Forgeais avait proposé de 
donner cette singulière plaque à saint Mathurin ; le Père Cahier ac- 
cepta et reproduisit cette attribution. Si ces deux estimables auteurs 
avaient connu les médailles déjà publiées du pèlerinage de Saint- 
Nazaire, ils ne se seraient certainement pas égarés ainsi. 

La découverte de cette plaque dans la Seine prouve combien cette 
dévotion était accréditée au loin. 


— 49 — 


saint Nazaire, portant aube et dalmatique; il est légère- 
ment incliné et tourné à gauche. Il tient en la main gau- 
che l'Évangile et asperge avec une branche un enfant aita- 
ché à un pilier, les mains derrière le dos. À. Dans un en- 
cadrement semblable, avec arcatures dans le haut, on lit 
l'inscription suivante disposée en trois lignes : S. NASSAR. 


11. Plomb un peu plus haut, comme les trois sui- 
vants; ici une simple torsade forme la bordure. C'est le 
même saint, se tenant du même côté, la tête droite; 
il touche avec une branche l’épaule d'un malheureux 
forcené attaché à un poteau par les mains fixées der- 
rière le dos. À. Dans un encadrement de grènetis avec 
filet, dont le haut porle intérieurement des ornements 
fleuris, on lit en trois lignes: - S- NASZAR. 


12. Autre plaque avec bordure cordée, dont le champ 
est occupé par le diacre martyr, placé à gauche, tenant 
une branche devant un fou presque nu, lié par derrière 
à une colonne légère. Le revers est copié sur celui du 
n° 11. | 

13. Variété de la plaque précédente, dont l'exécution 
est moins correcte et plus lourde. Il en est aussi de 
même du revers, cou.posé comme les deux précédents. 


14. Dans un encadrement avec grènetis et filet, le 
même type, beaucoup plus soigné et mieux dessiné. 
Le saint tient à la main droite une longue branche, et le 
fou est attaché à un double pilier. Le revers est encore 
le même, si ce n’est que l'inscription porte: S. NASSAR. 

15. Petite médaille, formée de deux côtés semblables, 
réunis par une soudure. Gest toujours le sujet ordi- 
paire. Le saint touche d’une branche l'épaule d’un for- 


4 


 — 


cené qui est à sa gauche et dont les mains sont liées 
derrière lui. Au-dessus, les initiales S. N. 


16. Médaille ronde, composée de deux légères feuilles 
de cuivre soudées ensemble; elle est d'une exécution 
remarquable et surpasse de beaucoup toutes celles que 
nous venons de décrire. Légende : S NAZARE. Le glo- 
rieux martyr tient de la main droite des branches et de 
l’autre l'Évangile ouvert; derrière lui, à sa droile, une 
petite figure ayant les mains jointes. À. Oslensoir à cy- 
lindre, richement orné. 


17. S: NAZAR. Saint Nazaire, lenant une palme et.le 
livre des Évangiles ; à sa gauche, un enfant agenouillé. 
Médaille estampée sur une frêle feuille de cuivre; elle 
n a pas de revers. 


18. Médaille octogone, faite de deux légères feuilles de 
cuivre. S - NAZARE. Le saint entre deux petites figures 
suppliantes, l'une de face, l'autre de profil. À. N'D 
DE GRACE : buste de la Vierge portant l'Enfant Jésus, 
imilation du type de Notre-Dame de Grâce de Cambrai. 


19. Autre médaille de forme oclogone, au type du 
droit de la précédente, avec la lésende S . NAZARE. 
À. Notre-Dame de Grâce, telle qu’elle est représentée 
sur beaucoup de médailles religieuses de Cambrai, 
d'après le tableau si vénéré de la cathédrale de cette 
ville. Médaille publiée par M. Robert dans son savant 
ouvrage : Numismatique de Cambrai, pl. xziv, n° 9; 
l'éminent numismatiste, qui reconnaît que cette pièce 
n'a pas été frappée pour Cambrai, ne la donne que 
comme exemple de la reproduction du type cambrésien. 


|. = 

20. Médaille assez mince, d'une facture bien maigre. 
L'anneau et trois globules extérieurs forment la croix. Le 
saint, placé dans un double cercle, tient l'Évangile ouvert 
et la palme devant un fou attaché à un poteau. À. SAINCT- 
NAZAR - PRIE : POVR NO, entre un double filet où règne 
un rang de points et un filet simple. Le centre est occupé 
par le monogramme moderne du Christ, surmonté d'une 
croix et séparé des trois clous de la Rédemption par une 
longue barre. 


21. SAINT NAZARE. Le martyr est représenté sur un 
plancher carrelé, tenant d'une main une palmeetde l'autre 
l'Évangile. À. Descente du Saint-Esprit, sous lequel se lil 
le mot CONSOLATEUR, épithète donnée souvent à la troi- 
sième personne du Verbe. Ce sujet est fort bien choisi 
pour l’objet du pélerinage. 

22. SAINT NAZAIRE. Le saint avec les mêmes attributs. 
À. L'inscription suivante en cinq lignes: SAINT NAZAIRE 
PRIEZ POUR NOUS. Cette médaille, de forme ronde, sans 
bélière, a été frappée, il y a peu d'années, à plusieurs 
milliers d'exemplaires, par les soins du curé actuel de 
la paroisse. . 

Les n° 1,10, 15, 19 et 21 ont été publiés dans nos Sou- 
venirs métalliques du pèlerinage d'Ablain-Saint-Nazaire. 


II 


AIRE-SUR-LA:-LYS 


Les comtes de Flandre Bauduin de Lille et Philippe 
d'Alsace, l’un fondateur, l’autre bienfaiteur de l’église 
collégiale de Saint-Pierre d’Aire, l'avaient enrichie de 
reliques de la vraie croix, de saint Adrien, de saint 
Pierre et de saint Jacques le Majeur. Dès l’an 1200, 
le pape Innocent IIT avait accordé des indulgences aux 
fidèles qui viendraient y honorer ces reliques ; aussi les 
pèlerins sy rendaient-ils en foule’. A ces reliques 
vénérées s’en joiguirent d’autres de saint Victor, de 
saint Jean-Baptiste et de saint Eloi, qui furent aussi 
l'objet d'un culte particulier. Enfin les fidèles y venaient 
encore implorer la protection de la Reine du ciel dans 


4. Arnould de Raisse, Hierogazophylacium belgicum, sive the- 
saurus Sacrarum reliquiarum Belgii. — Morand, Esquisse scéno- 
graphique et historique de l'église Suint-Pierre d’Aire-sur-la-Lys, 
p. 33. — L'abbé Van Drival, Trésor sacré de la cathédrale d'Arras; 
Histoire du chef de saint Jacques-le-Majeur. — Rouyer, Recherches 
historiques sur le chapitre et l’église collégiale de Saint-Pierre 
d’Aire-sur-la-Lys. 


son sanctuaire de Notre-Dame-Panetière'. En dernier 
lieu s'établit une dévotion à sainte Æliana, vierge mar- 
tyre. Nous avons seulement à nous occuper ici de celles 
de ces piétés dont nous connaissons des souvenirs 
métalliques et d’une médaille religieuse qui se rattache 
au siége d’Aire par Louis XIII. 


Médailles de saint Jacques Le Majeur 


Aire n’a pas eu de dévotion particulière plus renommée 
et plus suivie que son pélerinage célèbre en l’honneur 
de cet apôtre. Nous avons déjà dit qu'une relique de ce 
saint avail été donnée à la collégiale par Philippe d'Alsace. 
La possession de cette relique, consistant en la partie an- 
térieure du chef, fut la cause d'un différend fort animé 
entre ce comte et l’abbaye de Saint-Vaast d'Arras, que- 
relle qui dura de 1166 à 1172°. Cette relique si disputée, 
d’abord déposée dans une châsse, fut bientôt placée dans 
un reliquaire d'argent massif, représentant le buste du 
saint, posé sur un socle supporté par quatre anges. Elle 
fut ainsi exposée à la vénération du peuple dans la cha- 
pelle du saint, où l’on venait de tous côtés servir le glo- 
rieux apôtre. Mais la foule était plus grande encore le 
25 juillet, jour de saint Jacques, qui devint une fête 
communale. C’est alors que « le chapitre faisait dans la 


1. Rouyer, ouvrage cité ci-dessus, pages 181 et suivantes. 

2, Un grand nombre d’historiens ont rapporté ces démélés, entre 
autres Guiard des Moulins, Malbrancq, Gazet, Ferri de Locres, Bol- 
landus, Le Nain de Tillemont et, de nos jours, MM. Harbaville, Mo- 
rand, Rouyer et Van Drival. 


= bre 


ville une procession générale dans laquelle le reliquaire 
de saint Jacques était porté par deux chanoïnes. Les con- 
frères-pèlerins de saint Jacques assistaient à cette pro- 
cession avec leurs larges chapeaux et leurs bourdons; ils 
se faisaient précéder d’un des leurs, monté sur un cheval 
blanc, et portant un étendard, pour marque, disent les 
anciens mémoires, des vicloires remportées par saint 
Jacques sur les infidèles ‘. » 

Au xvr siècle, le chapitre faisait vendre à ce péleri- 
nage des enseignes ou médailles du saint, au profit de la 
fabrique de la collégiale. En 1526, Jacques de Favières, 
qu’on doit supposer orfévre à Aire. en avait frappé une 
douzaine en argent, et, en 1550, François de Favières, sans 
doute son fils, en avait fait deux douzaines de même mé- 
tal, à raison de neuf deniers la pièce. et trois autres dou- 
zaines en lailon, au prix d’un denier par médaille ?. Nous 
serions trop heureux de supposer que les deux plaques 
décrites ci-après, trouvées à Thérouanne et attribuées 
par nous au célèbre pèlerinage d’Aire, sont les médailles 
dont il vient d'être question. 


23. Très-grande et belle plaque ronde, fort mince, en 
cuivre estampé. Un large enca:lrement contient seize 
coquilles dont chacune est séparée par deux besants 
placés l’un au-dessus de l'autre. Dans le champ, on voit 
saint Jacques assis sur un large siége, entre deux fleurs. 
Il porte chapeau de pélerin et manteau; il tient de 
la main droite un bourdon auquel est attachée une 
panetière ; dans l’autre est l'Évangile. 


1. Rouyer, Recherches historiques, page 176. 
2. Comptes de la fabrique de l’église collégiale d’Aire, notamment 
ceux de 1526-27 et de 1550-51 (Rouyer, Recherches hist., p. 175). 


oo 


24. Aulre plaque ronde, uniface, frappée aussi sur 
une mince feuille de cuivre; elle représente le Christ 
en croix, ayant saint Roch à sa droite et saint Jacques à 
sa gauche, l’un et l’autre avec .leurs attributs ordi- 
naires. De chaque côté, une haute tige portant trois 
fleurs qui symbolisent la Trinité, et, vis-à-vis du titre de 
la croix, un croissant et une éloile. Par son style et sa 
fabrique celte enseigne appartient bien à la Morinie. Il 
en est de même de la précédente. 


Mrdailles de saint Jean-Baptiste 


La relique de ce saint possédée par la collégiale d’Aire 
y fut longtemps l’objet d’une vénéralion profonde et 
d'un culle particulier". Il en fut surtout ainsi après 
l'abantlon, en 1553, de l’abbaye de Saint-Jean-au-Mont- 
lez-Thérouanne, où le Précurseur était aussi honoré. 
Il v avait à Aïre un hôpital de Saint-Jean-Baptiste el 
il v exislail une confrérie de la décollation du saint, 
qui avait principalement pour but le soulagement des 
prisonniers. Les membres de cette association charitable 
portaient des médailles dislinctives en argent. On connait 
deux sortes de ces insignes appartenant, l'un, à la 
seconde moitié du xvn° siècle; l’autre, à là première du 
siècle suivant: elles offrent, d’un côté, la tête du Précur- 


4. Dans son Hierogazophylacium belyicum, Arnould de Raisse 
cite une partie du chef de saint Jean-Baptiste parmi les reliques et 
joyaux de la collégiale. Suivant une communication obligeante de 
M. le baron Dard, cette relique était très-révérée au xvie siècle et 
on y faisait des offrandes. 


EN Ne 


seur, entourée de rayons el penchée à droite sur un 
plat ; de l’autre, le nom gravé d’un confrère. Le premier 
de ces insignes, qui est rond et quelquefois entouré 
d'un cercle d’or avec bélière, porte en légende : La decol- 
lation de S. Jean Baptiste d'Aire. L'autre, plus grand, 
ovale et muni d’un anneau, a pour légende gravée: La 
conf. de la dec®. de S. Jean-Bt. a. Aire*. | 

Nous croyons pouvoir attribuer à la dévotion qui nous 
occupe plusieurs médailles unifaces, représentant la tête 
de saint Jean-Baptiste avec une longue chevelure et les 
yeux fermés, placée dans un bassin dont les bords sont 
plus ou moins ornés. À l'appui de notre opinion, que 
nous reconnaissons bien discutable, nous exposons les 
motifs ci-après: toules ces médailles, au nombre. de 
quinze, oni été trouvées dans les environs d’Aire, prin- 
cipalement à Thérouanne. Les trois premières, estampées 
dans la seconde moilié du xvi° siècle sur de minces 
lames de cuivre, se classent dans la Morinie par leur 
style et leur fabrique. Les neuf suivantes, aussi en 
cuivre, toutes munies d'une forte bélière, mais bien plus 
épaisses, ont entre elles une si grande affinité, qu'il 


4. Médaille publiée par M. Preux dans la Revue de la Numisma- 
tique belge, 1860, pl. xiv. 

2. Cette seconde médaille, plus rare que la première, est dans la 
collection de M. Deschamps de Pas. 

Au commencement du xvrie siècle, la confrérie avait créé, pour ses 
distributions de secours aux indigents, des méreaux particuliers 
dont le moule est conservé aux Archives municipales d’Aire. Au 
droit est la face de saint Jean-Baptiste entre les lettres IB, ses 
initiales ; au revers, une aigle éployée, armes de la ville ; au-dessous, 
une fleur de lis. 


serait difficile de les séparer ; il en est surtout ainsi des 
n° 30, 31, 32, 33 et 35, si peu différents l’un de l’autre. 
Remarquons, en passant, que le n° 29 doit appartenir 
au commencement du xvi° siècle, tandis que les huit 
autres sont de la premiére moitié du xvri°. Quant aux 
trois dernières médailles, qui sont d'argent et plus 
modernes, elles semblent avoir aussi une origine com- 
mune. Disons, enfin, que quatorze de nos médailles 
ne sauraient être attribuées à l’abbaye de Saint-Jean-au- 
Mont, puisqu'elles sont postérieures à l'abandon de 
ce monastère. 

Malgré les raisons que nous avons alléguées, une 
partie des médailles dont nous venons de parler pour- 
rait sans doute être revendiquée par Amiens, pour son 
célébre pélerinage de saint Jean-Baptiste. Nous laisse- 
rions facilement à ce culte les n°° 28, 29, 34, 37, 38 et 39, 
si l'on almettait que ces médailles ont pu se vendre 
aussi à Aire. Voici, du reste, la description de nos 
médailles, dont les douze premières sont rondes et les 
trois autres ovales : 

25. Tête de saint Jean-Baptiste dans un trés-large 
encadrement composé de lignes, de tresses, de neuf 
demi-cercles avec rosaces et de grènetis, le tout for- 
mant un riche ensemble. 


26. Tête plus grande dans un encadrement plus 
petit, formé de deux lignes circulaires enfermant seize 
pelits cercles avec trèfles, tous séparés par deux points. 


27. Tèle plus petite encadrée dans deux cercles occu- 
pés par des zigzags el des annelets. Collection de M. de 
Gournay, de Clarques. 


_ 58 — 


28. - SANUTE IOANES. Une fleur est au milieu de cette 
légende et une autre à la fin. Tête du saint un peu pen- 
chée à droite. Même collection. 


29. CAPVT' SANCTI IOANNIS. Cette légende, placée 
entre deux cercles, forme l’encadrement de la tête du 
saint, qu'entourent des rayons peu étendus. 


30. La face dans un encadrement de huit triangles 
que relèvent exlérieurement des lignes obliques. 


31. La même médaille n'ayant que sept triangles. 


32. Autre avec six triangles ; ici la tête, au lieu d’être 
de face, est tournée un peu à gauche. 


33. Variété, d’un module plus petit. 


34. La face du Précurseur entourée de quatre cou- 
ronnes', séparées par des ornements arrondis, le tout 
contenu dans une bordure tressée. 


39. Médaille qui est presque celle que nous avons 
décrite sous le n° 33. 


36. Médaille plus commune que les précédentes; le chef 
de saint Jean-Baptiste, tourné un peu à droite, a pour 
encadrement deux lignes renfermant treize cercles avec 
globules. 


37. La face du saint dans un double cercle d'écailles. 


38. La face dans un ovale de perles entre deux cordons. 


4. On voit aussi quatre couronnes sur deux médailles amiénoises 
de saint Jean-Baptiste, publiées par M. Garnier dans sa savante et 
très-intéressante Notice sur quelques enseignes de pèlerinage en 
plomb concernant la Picardie. 


— 59 — 
39. Même médaille, d’un module bien plus petit. 


Le grand nombre, les divers modules et les variétés 
de ces objets pieux prouvent qu'ils sont des médailles 
de dévotion et non des insignes de confrérie. 


Médailles de saint Adrien 


Saint Adrian, guerrier romain, qui reçut à Nicomédie 
la palme du martyre, vers l'an 306, dans la dernière per- 
sécution générale, était honoré d’un culte particulier dans 
la chapelle de la collégiale. On y révérait un de ses bras 
renfermé, en 1475, dans un reliquaire d’argent doré ct 
émaillé, en forme de cornet, puis placé, en 1660, dans 
un buste d'argent, sur le socle duquel se lisait ce -chrono- 
gramme : HÎC TRANSLATA SVNT ossa ADRIAN Manrinis. 
Cette translation avait donné lieu à une solennité qui 
augmenta encore la dévotion envers le saint. Quatre ans 
auparavant, quand des maladies épidémiques ravageaient 
les environs d’Aire, il s'était établi dans l’église une con- 
frérie contre la peste : elle avait choisi ce martyr pour 
patron ‘. Une piété si ancienne et si répandue laisse sup- 
poser l'existence de médailles qui lui soient propres. 
Aussi lui atlribuons-nous celles dont la description va 
suivre 


40. Petite plaque d'argent, en losange, renfermant un 
ovale en grénetis, avec oreille de suspension, et trois glo- 


1. Morand, Esquisse scénographique, pages 93 et 33. — Rouyer, 
Recherches hist., p. 179. — Hennebert, historien de l’Artois, natif 
d’Aire, a publié un Manuel des confrères de Saint-Adrien. 


— 60 — 


bules extérieurs formant ainsi la croix. Elle représente, 
entre les lettres initiales $ A, saint Adrien, nimbé, vêtu en 
guerrier, portant un casque panaché, tenant une épée à la 
main droite, et une enclume avec marteau de la main gau- 
che. À ses pieds, est un animal qui figure un lion. Cette 
médaille, trouvée à Thérouanne, appartient au milieu du 
xvie siècle, époque où la dévotion à saint Adrien, a été 
pratiquée à Aire avec le plus de ferveur. Ces circons- 
tances jointes à la forme, au style et. à la fabrication 
de cette pièce, qui ont beaucoup de rapport avec celles 
de notre contrée, nous semblent suffire pour autoriser 
notre attribution. 

Les trois médailles suivantes, qui appartiennent au 
xvir° siècle, sont rondes et diffèrent peu entre elles ; les 
deux premières sont de plomb et la troisième d’étain. 
Toutes trois proviennent des environs d’Aire ; comme il 
n'en a pas été trouvé ailleurs, on peut les donner avec 
assurance au pèlerinage de cette ville. 


41. Entre les initiales S À, saint Adrien vu de face; il 
est nimbé et vêtu en guerrier; ses bras sont levés, 
la main droite tient une épée, l'autre porte une enclume 
avec marteau. Derrière le saint est un lion couché. Cette 
médaille, qu'entoure un cercle, n'a pas de revers. 


42. Variété du type précédent, sans les initiales, avec 
encadrement tressé. À. IHS : S: ADRIE MA. Inscription 
dans un simple cercle, disposée en trois lignes. 


43. Le droit offre le même sujet plus grossiérement 
dessiné. Une suite de points forme l'encadrement. 
À. L'inscription suivante en deux lignes : :S : ADRIEN. 

M. Amédée de Ternas, de Douai, possède une médaille 


= Ol = 


en argent qui concerne certainement cette dévotion ; elle 
lui provient d’un membre de sa famille, qui habitait la 
ville d’Aire. En voici la description : 


44. : S- ADRIANE : ORA . PRO : NOBIS. Buste à droite de 
saint Adrien, portant casque et armure; il tient une épée 
à la main droite et sur l’autre une enclume avec un 
marteau dessus. À. S. ISBER ORA PRO NOBIS. Sainte 
Isbergue, en buste presque de face ; elle a un voile et un 
manteau. Elle tient dans les mains un plat sur lequel est 
une anguille*. Cette médaille porte un encadrement den- 
telé. Le revers, dont la légende est en creux, a été retou- 
ché au burin et gravé. Il convient de rappeler que sainte 
Isbergue ou Giselle, sœur de Charlemagne, qui a passé à 
Aire une grande partie de sa vie et qui y est décédée, était 
particulièrement honorée dans la collégiale, où une cha- 
pelle lui était dédiée*. 


Médaille du siége de 1641 


Durant la guerre entre la France et l'Espagne, longue 
lutte que Mazarin termina par le traité des Pyrénées, la 


4 Ce droit est le même que celui d’une médaille publiée avec d’au- 
tres, par M. Aug. de Portemont, dans ses Recherches historiques sur 
la ville de Grammont. Il est l’œuvre de Philippe Roettiers, dont il 
indique le nom. I] fait partie des coins appartenant à la Belgique. 

2. Nous décrirons les autres médailles de cette sainte à l’article 
d'Isbergue. 

3. Morand, Esquisse scénographique, page 25. — L'abbé Van 
Drival, Description de l’Église de Saint-Pierre à Aire, page 29. — 
L'abbé Robitaille, Annuaire du diocèse d'Arras pour l’année 1866, 
page 208. 


np9 


ville d’Aire fut investie, le 19 mai 1641, par le maréchal 
de la Meilleraie, à la tête de vingt-cinq mille hommes. 
Son adversaire n'avait à lui en opposer que deux mille, 
auxquels vint bientôt se joindre une partie des garnisons 
de Béthune et de Saint-Omer. La place se rendit le 
26 août suivant, mais après une défense héroïque, dans 
laquelle les assiégés avaient rivalisé d'ardeur et de cou- 
rage. Les pères jésuites d’Aire avaient aussi affronté les 
périls: deux d’entre eux s'étaient fait remarquer, encou- 
rageant et stimulant les assiégés, auxquels ils avaient 
distribué des médailles pieuses'. Celle dont l'explication 
va suivre fut très-probablement donnée en cette cir- 
constance. 


45. S : IGNATI - S- FRAN XAV: Saint Ignace de Loyola 
et saint François Xavier, nimbés et portant un long vête- 
ment, tournés l'un vers l’autre; le premier présentant 
un livre au second. À l’exergue, on lit le nom latin 
d’Aire, ARIA. À. S ISIDOR. Saint Isidore, nimbé, faisant 
jaillir une source avec le fer d’un long instrument de 
jardinier ; il est placé entre les bustes de sainte Thérèse 
et de saint Philippe de Néri, sous lesquels se trouvent 
les premières lettres de leurs noms: S THE - S PHI. 

Comme c'étaient les pères jésuites d’Aire qui avaient 
fait frapper cetle médaille, ils avaient pris pour sujets 
du droit la figure du fondateur de leur ordre et celle de 
son illustre disciple. La composition du revers s'explique 


4. Jean Humetz, Bellum septimestre sive Aria à Gallis obsessa, 
p. 29. — Rouyer, Preuves numismatiques des siéges d’Aire-sur-la- 
Lys, des xvie et XVIIIe siècles, p. 7. 


264 — 


aussi facilement; on comprend le choix fait de.saint 
Isidore, patron des laboureurs, pour un pays essentiel- 
lement agricole. Quant à sainte Thérèse et à saint Phi- 
lippe de Néri, l’on sail qu'ils étaient honorés parti- 
culièrement dans le nord de la France; de plus, saint 
Philippe était le patron du roi d'Espagne, Philippe IV, 
comle d'Artois et prince souverain de celte province. 
On pourrait voir aussi dans cet ensemble un souvenir 
de la canonisation de saint Isidore, de saint [gnace, de 
saint François Xavier, de sainte Thérèse et de saint 
Philippe de Néri, appelés les cinq Saints, déclaration 
solennelle faite par le pape Grégoire XV, le 22 mars 
1622 !. L 

La précieuse médaille que nous venons de décrire 
a été publiée par M.J. Rouyer, dans ses Preuves numis- 
matiques des sicges d’Aire-sur-la-Lys, d'après son exem- 
plaire unique dont il a enrichi notre collection. 


Médailles de Notre-Dame-Panetière 


et de sainte Aeltana 


On doit à M. Rouvyer une savante histoire de Notre- 
Dame-Panelière ; c’est en grande partie à cet intéressant 
travail que nous empruntous les détails qui vont sui- 
vre ?. Dès le commencement du xr° siècle, une confrérie 


1. Nous possédons d’autres médailles aux mèmes types, portant à 
l’exergue du droit Roma au lieu de Aria. 

2. Notie-Damc-Panetière. Notice historique airienne. — Il a paru 
récemment à Aire, à l'imprimerie et librairie de Guillemin, une bro- 
chure ayant pour titre : Notice sur Notre-Daine-Panelière. 


0 


charitable était instituée à Aire sous le titre de l’Assom p- 
tion de la Vierge; vers la fin du siècle suivant, elle pre- 
nait le nom de Confrérie ou de Charité de Notre-Dame- 
Panetière, dénomination qui rappelail ses fréquentes 
distributions de pains. Cette association avait sa propre 
chapelle dans l’église de Saint-Pierre ; sur l'autel du 
sanctuaire, on voyait la Vierge Marie, Lenant l'Enfant 
Jésus. C'était principalement le jour de l’Assomption que 
la statue était revêtue de ses plus beaux ornements. Au 
milieu du xv* siècle, la riche parure se composait, pour 
la mère, de bijoux et d’une cotte de drap de damas de 
couleur sanguine claire, parsemée de feuilles d'or, et, 
pour le Fils, d’une cotte de même éloffe, ornée de trois 
enseignes en vermeil de Notre-Dame de Boulogne. 

La confrérie avait contribué, en 1496, à la reconstruc- 
tion de sa chapelle, et, peu d'années après, elle rem- 
plaçait l’ancienne statue par une nouvelle, plus grande 
et plus riche, représentée sans l’Enfant Jésus, mais ayant 
auprès d’elle de petits anges dorés. Cette madone est 
bien celle qui est encore vénérée à Aire ; seulement, une 
partie des accessoires a disparu. La confrérie continua 
de se développer et acquit avec le temps une grande im- 
portance*; la confiance qu'avait inspirée Notre-Dame- 
Panelière s'était étendue sur toute la ville, qui s'était 


À. Notre-Dame-Panetière, p. 10. 

2. Cette association avait, au xXvine siècle, ses méreaux particuliers, 
appelés Plombs de Salve. Ils portent les lettres ND P avec une S cou- 
chée, au-dessous ; ils ont été publiés par M. Rouyer dans ses Recher- 
ches historiques sur le chapitre et l’église collégiale de Saint-Pierre 
d’Aire-sur-la-Lys. 


ES 


placée sous son patronage et considérait la statue comme 
son palladium. 

Vers le milieu de notre siècle, une dévotion nouvelle 
s'établit à Aire, dans l’église de Saint-Pierre. Des fouilles 
exécutées à Rome dans les catacombes de sainte Priscille, 
par ordre du pape Grégoire XVI, avaient amené la décou- 
verte du tombeau d'une martyre, sainte Æliana, qui ren- 
fermait ses resles et une fiole encore empreinte de son 
sang. Ces reliques furent données par sa Saintelé à Mer 
Scott, curé-doyen d’Aire, pour son église de Saint-Pierre, 
et, le 12 août 1844, elles étaient déposées avec grande 
pompe dans la chapelle qui leur avait été préparée ‘. Dès 
lors s’y est élablie, en l'honneur de la sainte, une dévo- 
Lion loujours trés-suivie, mais surtout le jour de sa fête, 
qui se célébre le premier dimanche d'août. La solennité 
de la translation cles reliques et la piété envers la sainte 
ont donné lieu aux médailles dont nous donnerons bientôt 
la description. 

N'aurait-il existé, avant notre siècle, aucune médaille 
religieuse de Notre-Dame-Panetière ? on n'oserail trop 
le supposer, surtout quand il y a lieu de présumer qu’au 
xvi* siècle, des orfévres d’Aïre fabriquaient des médailles 
de piété. On connait bien une médaille gravée entière- 
ment en creux, que nous placerons à la fin de cetarticle, 
sur laquelle se lit en abrégé le nom de la vierge vénérée, 
mais cette-plaque est plutôt une pièce historique ou une 
pièce de fantaisie qu'une médaille de dévotion. Il est donc 
prudent de n'admeltré comme médailles religicuses de 


1. M. Morand à donné, dans son Esquisse scénographique déjà 
citée, un récit intéressant et fort détaillé de la cérémonie. 


SR 


Notre-Dame-Panetière, que les suivantes, qui ne per- 
mettentaucun doute sur leur classification. Les trois pre- 
mières, frappées l’an 1844, en argent et en cuivre, concer- 
nent aussi la dévotion à sainte Æliana. | 


46. N-D-PARMENTIÈRE, PRIEZ POUR NOUS. Une mé- 
prise du graveur rend cette légende inintelligible ; il s'agit 
bien ici de Notre-Dame-Panetière. Le sujet est une repro- 
duction assez fidèle de la statue révérée. La Vierge est 
représentée posée sur un croissant, vêtue d’un large man- 
teau, ayant la tête entourée de douze étoiles et lenant 
une clef au poignet gauche. À. S® ALIANA, MARTYRE, 
PRIEZ POUR NOUS. Sainte Æliana, et non Aliana ; elle 
est nimbée, tient une palme à la main droite et place 
l'autre main sur sa poitrine. Fleur entre deux points, au 
lieu d’exergue. Cette médaille est bien moins commune 
que les deux suivantes, ayant été retirée de la vente 
aussitôt qu'on se fut aperçu de la singulière erreur de la 
première légende. 

47. N-D-PANETIÈRE PRIEZ POUR NOUS. Le sujet est 
le même que celui du droit précédent. Exergue: AIRE 
1844. À. S' ALIANA, PRIEZ POUR NOUS. Sainte Æliana, 
représentée comme au n° 46. Exergue: AIRE 1844. 


48. Même médaille, d’un module beaucoup plus petit. 
La seconde légende, plus correcte, porte : SF ÆLIANA 
PRIEZ POUR NOUS. Même exergue. 


Nous avons maintenant à décrire, sous le n° 49, une 
médaille que Mgr Scott a fait frapper en argent el en 
cuivre, il y a peu d'années, dans le but de répandre le 
culte de Notre-Dame-Panetière. Elle représente la Vierge 


— 67 — 


sur des nuages, entre deux anges agenouillés, jouant 
des instruments à cordes. Le revers se compose de cette 
inscription en sept lignes : DIVINE MÈRE PANETIÈRE, 
NOTRE ANTIQUE PATRONNE PRIEZ POUR NOUS. 

En 1849, le choléra sévissait à Aire. Comme dans les 
autres calamités, la population implora le secours de 
Notre-Dame-Panelière, et, le 30 juillet, à la suite d’une 
neuvaine, avait lieu une magnifique procession dont l’un 
de ses principaux organisateurs, M. Topping, alors vicaire 
d’Aire, nous a donné le récit‘. Les quatre-vingts portefaix 
de la ville, membres de la confrérie de Saint-Christophe 
et de celle de Notre-Dame-Panetière, figuraient dans Île 
cortége ; trente des leurs portaient le guidon de la Vierge, 
et huit autres la statue révérée. Ce fut pour entretenir el 
augmenter leur piélé envers la Reine du ciel, que 
M. Topping offrit à chacun d'eux et à diverses personnes 
une belle médaille de bronze doré qu'il avait fait frapper 
à Lyon, au nombre de cent cinquante exemplaires”. Voici 
la description de cette médaille, qui rentre bien dans la 
classe des médailles de dévotion : 


50. DIVA MATER PANARIA. — Buste à droite de la 
Vierge, voilée et nimbée. À. Inscription en six lignes, dont 
les deux premières sont séparées des autres par un léger 
ornement : CONFRERIE DE S' CHRISTOPHE — PORTE- 
FAIX DE LA VILLE D'AIRE 30 JUILLET 1849. 


A l’article de Ruisseauville, nous parlerons de l’abbaye 


4. Souvenir de la neuvaine et de lu procession de Notre-Dame- 
Panetière, à l’occasion du choléru. On y remarque une lithographie 
de J. Saudeur, représentant la statue, entourée d'anges. 

2, Renseignements fournis par M. Topping. 


08 


de moines qui existait en ce village et nous verrons qu'on 
honorait dans l’église abbatiale une statue de Notre-Dame- 
de Foi. C'était un lieu de pèlerinage où se vendaient des 
médailles spéciales. En 1635, les religieux, forcés par le 
voisinage des armées de fuir leur couvent, s’étaient ré- 
fugiés pour quelque temps à Aire. Ils y avaient apporté 
leur statue et l'avaient placée à l’église de Saint-Pierre, 
dans la chapelle de Saint-Arnould, que le chapitre de la 
collégiale avait mise à leur disposition pour la célébra- 
tion de leurs offices. Comme ils y étaient autorisés, ils 
élalaient là sur une lable images, croix, médailles, cou- 
ronnes et rosaires qu'ils vendaient aux fidèles et aux 
pêlerins venant servir Notre-Dame de Foi:. 

Nous décrirons à l’article de Ruisseauville trois mé- 
dailles de son monastère ; elles offrent au droit l’image 
de la Vierge, entourée de la légende : N-DAME-DE-FOY, et 
au revers, soit l'inscription : A L ABBAIE DE RVISSEAVVILLE,,* 
1627 ou 1629, soit un saint nimbé, vêlu d’un rochet. Il 
est probable que les deux dernières ont été vendues à 
Aire comme à Ruisseauville. Il pourrait même se faire 
que la médaille ayant un saint pour revers ait été frap- 
- pée d’abord pour Aire, mais rien ne le prouve. 


Dans un travail intéressant que le baron Dard vient de 
publier sous ce titre : Notice sur le refuge de l'Abbaye de 


4. Rouyer, Notre-Dame-Panetière, p.18. — Nous regrettons de ne 
pouvoir reproduire ici, à cause de sa longueur, l'ordonnance du doyen 
et du chapitre de la collégiale d’Aire, touchant le refuge des religieux 
de Ruisseauville et ce qui s’y rattache. Ce document, dont nous 
devons la connaissance à l'amitié de M. Rouyer, le docte historien et 
numismate, a été extrait par lui du Registre aux actes du chapitre. 


60 

Ruisseauville, est figurée une médaille singulière, gravée 
en creux sur un flan de cuivre rouge, par un artisan in- 
habile’. Elle comprend trois objets: la Vierge de Ruisseau- 
ville, Notre-Dame-Panetière et le siége d’Aire en 1641. 
D'un côté, se lit l'inscription ARIA-oBssESsA 1641 ; elle 
est entourée de la légende: #% No - DAME DE RUISSEAUUIL. 
De l'autre côté, se trouve une petite croix dans une autre 
dont les extrémités arrondies portent des points ou des 
clous ; légende: "K No. DA PANT. #4 ORA PRO NOB. Un trou 
a élé percé dans le haut. Quoique cette curiosité ne soit 
pas précisément une médaille de dévotion, nous repro- 
duisons ici, la gravure sur bois donnée dans la notice 
précitée. 


1 Nous n'avons pas à relever les irrégularités que cette pièce 
bizarre présente dans sa composition‘et dans la forme de certaines 
lettres. 


III 


ALLOUAGNE 


Médailles de la sainte larme 


Allouagne est un grand village à dix kilomètres de 
Béthune, son chef-lieu d'arrondissement, désigné dans les 
vieux titres sous les-.noms peu différents de : Allone, 
Alosnes, Alouana, Allouane, Allouaige, Louaigne, Alloine 
et Allewaigne. Cette localité a aussi été appelée Sainie- 
Larme, à cause du pèlerinage établi en son église *. 

L'histoire locale nous apprend que cetle église fut re- 
construite par les seigneurs du lieu, qui descendaient de 
la puissante maison d’Assignies. Ce vieil édifice, à trois 


1. Malbrancq, De Morinis, t ui, p. 46 — Arnold de Raisse, 
Hicrogazophylacium belgicum, p.213. — Abrégé de l'institution ou 
érection du pèlerinage d’Alloigne, où se conserve une précieuse larme 
de N. S. J.-C. et des miracles qui se sont opérés par la vertu de 
cette sainte relique — L’abbé Plique, Allouagne et son pèlerinage 
en l'honneur d’une sainte larme de N, S. J.-C; Cantiques en l’hon- 
neur de la sainte larme de N. S. J.-C. conservée dans l’église d’Al- 
louagne. — Le chanoine Robitaille, Annuaire du diocèse d'Arras 
pour l’année 1870, p. 215. — Dancoisne, Numismalique béthunoise, 
p. 136. 


nefs, de style de transition, est d’ailleurs peu remar- 
quable ; certes, il n’attirerait pas l'attention publique, s’il 
n'avait élé consacré par un culte spécial, but d’un pieux 
pélerinage et sujet de la légende que voici : L’Homme- 
Dieu, au moment de ressusciter Lazare, qu'il avait affec- 
tionné, pleura sur son tombeau. Les larmes que Jésus 
avaient répandues alors, étaient les prémices de la Ré- 
demption ; un ange s’empressa de les recueillir, non 
pour les reporter au ciel, car elles avaient été versées 
sur la terre, el Dieu ne reprend pas ce qu'il donne, mais 
pour les conserver précieusement jusqu’à des temps plus 
heureux. | 

Pendant son règne, qui fut de trop courte durée, 
Godefroy de Bouillon, roi de Jérusalem, s'était procuré 
en Terre-Saint: d'importantes reliques; il en avait envoyé 
plusieurs à sa sainte mère, la bienheureuse Ide. L'illustre 
croisé offrit en même temps, par reconnaissance, à sa 
nourrice, qui était née à Allouagne et qui y demeurait, 
une des larmes que Notre-Seisneur avait versées au sé- 
pulcre de Lazare. Elle provenait, paraît-il, du trésor des 
Lieux Saints À son tour, la pieuse femme fil don à l'église 
de son village de cette précieuse relique, exposée depuis 
lors à la vénération des fidèles. 

D'après la tradition rapportée par Malbrancq, la sainte 
larme d'Allouagne avait été recueillie avec un fragment 
de la pierre, sur lequel elle était tombée. Cette pièce fut 
placée dans une petite fiole d'argent que renferma une 
châsse d’or de grand prix. Telle était la relique vénérée 
par une mullitude de pélerins venus de France, de Flan- 
dre, de Morinie, d'Artois, de Hainaut, d’Amienset d’autres 
lieux, pour demander au Sauveur certaines grâces, et, en 


— 7 — 


particulier, la guérison de maladies d’yeux'. Dans le cours 
du pélerinage, el surtout pendant la neuvaine qui com- 
mençait le 21 juin, on distribuait aux fidèles de l’eau dans 
laquelle on avait plongé la fiole, des médailles d'argent 
et de cuivre, ou des images pieuses qui avaient touché 
la relique *. 

La Révolution vint arrêter cette piété; la châsse disparut 
pendant la Terreur, mais la fiole fut sauvée avec sa reli- 
que. Aussi, en 1803. le culte de la sainte larme était-il 
rétabli, et les pèlerins reprenaient-ils le chemin du sanc- 
tuaire qui a toujours été fréquenté depuis lors. Celte dé- 
votion a encore été ravivée par d’imposantes cérémonies 
et par les fêtes splendides célébrées,en 1868, sous l’intelli- 
gente direction du curé de la paroisse, aidé de M. l'abbé 
Plique, dont on connaît le zèle pour la propagation de cette 
piété. C'est dans ces cérémonies que furent distribuées 
à un grand nombre d'exemplaires une fort belle image”, 
et la médaille qui sera bientôt décrite *. 

Allouagne n’est pas le seul lieu où s’est établi une dévo- 
tion en l'honneur d’une sainte larme du Sauveur; on peut 


4. Malbrancq, De Morinis, t. 111, p. 46. 

2. Abrégé de l'institution ou érection du pèlerinage d’Alloigne, 
page 11. 

3. Cette gravure, artistement exécutée par M. Bertin, de Paris, re- 
présente, dans la partie supérieure, un ange agenouillé, tenant un 
linge sur lequel on voit une grande larme radieuse. Au second plan, 
Jésus-Christ ressuscite Lazare, en présence de quelques disciples et 
de Marthe. La seconde partie est divisée en deux tableaux, séparés 
par un ange debout, au-dessus duquel est posée la relique vénérée ; à 
droite est l’église d'Allouagne, et à gauche, l’autel de la Sainte-Larme., 

4. La Revue Arlésienne du 26 juillet 1868. — Robitaille, Annuaire 
du diocèse d'Arras pour 1870, p. 231. 


192 


encore ciler Vendôme *, Thiers en Auvergne, Saint- 
Maximin en Provence, Saint-Pierre près d'Orléans, Sélin- 
court au diocèse d'Amiens, Liége et Trèves. Il convient 
donc de discerner les médailles d’Allouagne d'avec celles 
qui sont étrangères à son pélerinage, M. Forgeais a décrit 
et publié sept objets de piété portant une larme plus ou 
moins ornée ; ce sont cinq grands sachets, un petit mé- 
daillon rond avec anneau à consoles et une petite plaque 
en forme de cœur couronné *?. Le numismaliste parisien 
les attribue tous à la dévotion envers la sainte larme de 
Vendôme; toutefois il émet un doute à l’égard des deux 
derniers objets qui pourraient bien, selon lui, concerner 
la sainte larme de l’abbaye de St-Pierre-lez-Sélincourt ?. 

Nous n'avons pas à nous occuper des cinq sachets, 
dont les types sont pour la plupart assez bizarres, car ils 
ne rentrent, sous aucun rapport, dans notre travail : 
nous les laissons bien volontiers à Vendôme. L'apparence 
et le style amiénois du petit mélaillon autorisent à le 


1. Lire les longues discussions auxquelles deux savants du xviie siè- 
cle, Thiers et Mabillon, se sont livrés sur la sainte larme de Ven- 
dôme. | 

2. Collection de plombs hisloriés trouvés dans la Scine, quatrième 
série, imagerie religieuse, p. 65 à 86. 

3. Il existe. en effet, des médailles du pèlerinage de Sélincourt, 
localité du département de la Somme. Nous possédons deux variétés 
d’une petite médaille en cuivre, du xviie siècle, offrant le buste à gau- 
che de saint Pierre, tenant une clef, avec cette légende : Sr PIER- 
LE SELINCOVR, et de l’autre, une larme suspendue à un crochet, 
et ces mots en légende : LACRIMA CHRISTI. Le R. P. Jacques Le 
Mercier a traité cett£ dévotion dans un ouvrage ayant pour titre : 
Histoire de la Larme sainte de N. S. Jésus-Christ, révérée dans 
l’abbaye de Suint-Pierre-lès-Sélincourt. 


= à — 


donner au pélerinage de Sélincourt 1. Quant à la petite 
plaque en cœur,elle est sans doule du même lieu,quoique 
par le type elle se rapproche assez de deux médailles 
d’Allouagne. Mais ce rapport n’est pas assez déterminant 
pour nous faire admettre celte pièce dans notre Recueil. 

Les médailles que nous allons décrire, ne laisseront 
aucun doute sur leur attribution au pélerinage si renom- 
mé de la sainte larme d’Allouagne ; toutes ont d’ailleurs 
été trouvées dans les environs du lieu de la dévotion. 
Les quatre premières sont du xvi° siècle et les cinq 
suivantes du xvri* ; quant à la dernière, elle ne date que 
de quelques années. | 


51. Ange, sur la tête duquel on voit une petite croix; 
il a les ailes ouvertes et tient devant lui un linge sur 
lequel se voit une larme. Petite médaille ronde, entourée 
d’un grènetis, frappée, comme les deux suivantes, sur 
une mince feuille de cuivre, sans revers. 


02. Variélé, d’un dessin beaucoup plus correct. Gelte 
pièce est de mêmes module et grandeur; un filet rem- 
place le grènetis ; la croix manque, mais de chaque côté 
de la figure est une plante à trois branches, emblème de 
la Trinité. 

53. Le même type, dans un cercle qu’encadre un carré 
légèrement cintré, enfermé lui-même par un second 
cercle. Les espaces laissés libres sont occupés par une 
fleur de lis et de gros points. Médaille ronde beaucoup 
plus grande que les précédentes. 


4. Dans la note qui terminera cet article, nous décrirons une mé- 
daille dont le type principal est presque semblable à ce médaillon. 


DOS ee 


54. Dans un cercle ‘tressé, garni intérieurement de 
demi-cercles, est un ange chevelu, aux ailes déployées, 
vêtu d’une longue robe et d’un manteau, tenant un linge 
sur lequel on voit une larme. Grande médaille frappée en 
bractéate sur une feuille de cuivre, carrée et fort mince. 


55. Grande et belle couronne royale, avec croix ; des- 
sous, une larme sur un autel, au milieu de.deux chande- 
liers avec cierges allumés, le tout dans un double enca- 
drement octogone. À. Dans un encadrement semblable, 
l'inscription suivante, ordonnée en sept lignes: QUE BENI 
SOIT LA SE SACRE LARME DE I CRIS EN ALLOVIGNE. 
(Qu'elle soit bénie la sainte et sacrée larme de Jésus-Christ, 
à Allouagne). Gette intéressante pièce se compose de deux 
minces feuilles de cuivre estampées, réunies ensuite 
et découpées de manière à laisser la place d’un anneau. 


56. Couronne royale, surmontée d’un petit globe avec 
croix ; dessous, une larme tombant sur une pierre, ou 
posée sur un autel ; elle est accostée de deux anges por- 
tant des chandeliers avec cierges allumés. Cette médaille, 
dont les deux côlés sont presque les mêmes, est de 
forme octogone ; elle se compose de deux feuilles de 
cuivre réunies au moven d'une soudure. 


57. La sainte larme, dans un reliquaire en forme de 
monstrance, porté par deux anges, agenouillés. À. Le 
même reliquaire, mais plus grand. et sans les lenants. 
Médaille losangée en plomb, avec encadrement tressé, 
de chaque côté. 


58. Sur un fond losangé, deux larmes, que sépare 
l'inscription INRI, rappelant le Christ. À. Le Saint-Esprit. 


+710 :— 


Petite médaille de plomb, formant un carré long ; elle 
est ornée, des deux côtés, d’un large encadrement. 


09. LAZAR. Jésus à droile, ressuscitant Lazare qui se 
soulève, les mains jointes. À. S: LARME LOVAIGNE. Le 
reliquaire de la sainte larme d’Allouagne, qui affecte la 
forme d’un ciboire. Cette médaille ovale, ayant un dou- 
ble cercle de chaque côté, est formée de deux feuilles 
d'argent qu'une soudure a réunies. 


60. LA RÉSURRECTION DE LAZA"E. Le Christ à gau- 
che, devant le tombeau de Lazare qui soulève la tête. 
À. BÉNIE SOIT LA S'* LARME DE N. S. J. C. CONSER- 
VÉE À ALLOUAGNE. Ange, dans une prairie, tenant à 
droite un linge où est imprimée la sainte larme. Cette 
médaille, s’il est possible de donner ce nom à un objet 
si. bizarre, a été faite sur le modèle des larmes d'argent 
et de cuivre qui se vendent à Vendôme ; il s’en trouve en 
argent, en similor et en cuivre argenté !. 

Les trois premières médailles, ainsi que les cinquième, 
septième et neuvième, ont été publiées dans notre Numis- 
matique béthunoise (pl. xv et p. 139). 


4. Nous possédons encore deux autres médailles en plomb dela 
sainte larme, qui nous proviennent des collections de MM. Quandalle 
et Duleau. La première montre, d’un côté, une larme entre deux fleurs, 
et de l’autre, un saint évêque bénissant ; la seconde offre au droit une 
larme sur un espèce de chandelier, au milieu d'étoiles, et au revers, 
la tête nimbée du Christ. Si nous ne comprenons pas ces pièces dans 
notre Recueil, c’est que, par leur style, leur caractère et leur fabrique, 
elles paraissent appartenir à l’Amiénois. Nous pensons qu'elles se 
rapportent à la dévotion de Sélincourt. 


IV 


AMETTES 


Midailles du bienljeureux Labre 


Quelle magnificence et quelle majesté dans ces grandes 
fêtes de 1860, commencées à Rome, continuées à Arras 
et terminées dans le modeste village d’Amettes, pour 
l’exaltalion d'un pauvre pélerin ! C’est que chacun vou- 
lait, à l’envi, honorer la mémoire et célébrer la béatifica- 
tion de celui qui fut, par excellence, le héros de la paur- 
vreté, de la pénitence et de la contemplation. 

Benoit-Joseph Labre naquitle 26 mars 1748, à Amettes, 
paroisse qui dépendait autrefois du diocèse de Boulogne 
et qui, depuis 1801, fait partie de celui d’Arras'. Ses 


1. Les biographies de Labre sont nombreuses. Le travail le plus 
important sur ce bienheureux est celui de M. Desnoyers; il a pour 
titre: Le vénérable Benoît-Joseph Labre, célèbré pèlerin français. 
Cet ouvrage, qui forme deux gros volumes in-8°, contient, à la 
page 560 du tome second, une notice bibliographique sur le saint 
pénitent. Nous ajoutons à cette liste les ouvrages et opuscules parus 
depuis et surtout en 1860 : Compendio della vita e virtu del beato 
pellegrino Bencdetto Giuseppe Labre., — Abrégé de la vie du bien- 
heureux Benoit-Joseph Labre, pèlerin français, traduction de l’ou- 
vrage précédent. — Ragguaglio della vita del beato Benedetto Giu- 


_ 78 — 


parents le confièrent de bonne heure à son oncle, curé 
d'Érin, qui prit soin de son éducation et lui enseigna le 
latin. Ce bienfaiteur étant mort, son éiève voulut se faire 
religieux ; il se présenta, sans être admis, d'abord chez 
des chartreux, puis chez des trappistes; enfin il fut reçu 
comme novice, à l’âge de vingt-et-un ans, au couvent des 
Sept-Fonts, mais il quitta ce monastère, huit mois après, 
pour se vouer entièrement aux pèlerinages. Dès lors, 
il visita les lieux saints les plus renommés de France, 
d'Italie, d'Espagne, de Suisse et d'Allemagne ; enfin il se 
fixa à Rome, passant toute la journée dans les églises, 
surtout dans celle de Notre-Dame-des-Monts, prosterné 
constamment au pied des sanctuaires. La charité, la prière 
etles macérations furent l’unique occupation de l’humble 
pauvre volontaire, qui rendit sa belle âme à son créateur, 
le 16 avril 1783. 

Au premier bruit de la mort du serviteur de Dieu, la 
ville éternelle s'émeut toute entière ; partout on entend 
ce cri: le saint est mort. Le corps, porté dans l’église de 
Notre-Dame-des-Monts. est aussitôt entouré d’une foule 
consternée, qui ne cesse de se renouveler et de grossir. 
On s'agenouille avec respect devant la dépouille mortelle 
de l'homme qu'hier on ne daignait pas honorer d’un 
regard, et dont on proclame aujourd'hui les vertus 


seppe Labre dato in luce nella solennità della sua beatificazione. — 
Le bienheureux Benoît-Joseph Labre. — Vie du bienheureux B.-J. 
Labre. — l'abbé Robitaille, Vie du bienheureux Benoît-Joseph La- 
bre. — Mandements de Mgr Pierre-Louis Parisis, évêque d'Arras, de 
Boulogne et de Suint-Omer, à l’occasion de la béatification de Benoit- 
Joseph Labre. — Aubineau, Vie admirable du bienheureux mendiant 
et pèlerin Benoit-Joseph Labre. 


10 


héroïques. Chacun veut toucher les restes du prédestiné, 
en approche chapelets et médailles. Bientôt on se dispu- 
tera la moindre parcelle des haillons de l’humble indi- 
gent, dont il sera fait plus de quatre-vingt mille reliques 
qui se répandront rapidement par toute l’Europe. L'image 
du pèlerin français est reproduite de toutes manières, en 
argent, en cuivre, en étain, en plomb et en cire, sur 
toile, sur bois et sur porcelaine, mais ce sont surtout 
les portraits gravés, soil en pied, soit en buste, qui ont 
le plus de vogue, aussi s’en vend-il un nombre prodi- 
gieux d'exemplaires". 

Quand on considère une telle dévotion, quand on voit 
tant d'objets de piété, bien propres à l’entretenir et à la 
propager, on pourrait supposer qu'à la même époque, il 
a existé à Rome, en France et ailleurs, un grand nombre 
de médailles au type de l'humble serviteur de Dieu. 


1. D’après M. Desnoyers, ouvrage cité, t. 11, p. 225 et 509, les 
cuivres gravés à Rome, à l'effigie du bienheureux, s’élevèrent, en 
quelques mois, à 85 ; en 1791, ils dépassaient de beaucoup la cen- 
taine ; il en fut tiré 135,000 exemplaires. De plus, Capoue et 
Fabriano éditèrent d’autres portraits du même personnage et en 
vendirent une soixantaine de mille. Quel nombre obtiendrait-on 
si l’on ajoutait tout ce qui a été exécuté, sur le même sujet, en 
France et dans d’autres pays? Nous connaissons 86 portraits de 
Benoît ; ils ont été gravés ou lithographiés, savoir : 25 à Rome, 
58 à Paris, Arras, Douai, Lille, Avignon, Orléans et Epinal, 1 à 
Gand et 2 à Munich. Sur 48, le pèlerin est en pied, debout ou à 
genoux, à droite ou à gauche ; presque toujours il a la tête décou- 
verte et les bras croisés ; il est vêtu d’un vieux manteau déchiré, à 
la ceinture duquel pendent, à droite, un tricorne, et à gauche, une 
écuelle. Les 38 autres, qui sont en buste, à droite ou à gauche, 
représentent de même le bienheureux de l’Artois. 


— 80 — 


Pourtant. toutes nos recherches ne nous en ont fait 
découvrir que trois différentes, et encore sont-elles d’ori- 
gine française. Ceci laisserait croire qu'à Rome surtout, 
il n'était pas d'usage, que peut-être il n’était pas permis, 
de fabriquer des médailles religieuses de personnages 
dont la béatification ou la canonisation. n'étaient pas 
encore proclamées. 

De nombreux prodiges s’opérèrent au tombeau de 
Benoit, élevé dans l’église Notre-Dame-des-Monts ; des 
fidèles et des pélerins de toutes les nations n’ont cessé 
d'yaffluer, même dans les temps les plus agités. Le titre 
de vénérable avait été décerné, dès 1783. au serviteur 
de Dieu; sa béatification fut déclarée en 1860. Vers le 
milieu de notre siècle, on frappait, à Saumur, une petite 
médaille qui représente le saint pèlerin, marchant à 
gauche, et s'appuyant sur un bâton, comme on le vit à la 
fin de sa carrière, pièce qui lui donne, par anticipation, 
le titre de bienheureux. 

Mais ce fut en 1860 que la gloire de l’illusire pénitent 
du xvani* siècle se manifesta dans tout son éclat, surtout 
pendant les fêtes solennelles qui suivirent sa béatifica- 
lion'. Qui ne se rappelle cette procession d'Arras, qui, 


_ 4. Les principales publications sur ces fêtes sont les suivantes : 
Programme des fêtes qui seront célébrées à Arras, les 15, 16 et 17 
juillet 1860, à l’occasion de la béatification de Benoît-Joseph Labre 
et de la translation d’une relique insigne du bienheureux. — Le 
bienheureux B.-J. Labre et les fêtes d'Arras. — L'abbé Robitaille, 
Comple-rendu des fêtes d'Arras et d’Amettes. — L'abbé Van Drival, 
Récit des fêtes célébrées à Arras, les 15, 16 et 17 juillet 1860, à : 
l’occasion de la béatification et de la réception d’une relique insi- 
gne de B.-J. Labre. — Procession célébrée à Arras, le 15 juillet 
1860, en l'honneur du bienheureux Benoît-Joseph Labre, magnifi- 
que album colorié, édité en 1861 à Arras, par Brissy. 


— 113 — 


chiennes, Pecquencourt et Thiennes. FOHUe Bruges 
et Courtrai*. 

Mais revenons à notre sujet. Le cierge d’Arras fut 
déposé d’abord dans l’église de Saint-Aubert ; la chapelle 
de l’hôpital de Saint-Nicolas le reçut en 1109. En 1215, il 
était solennellement porté dans l’élégante pyramide qui 
lui avait été élevée, au milieu de la petite place, par 
la pieuse Mahaut de Portugal, veuve de Philippe 
d'Alsace, comte de Flandre, monument bien remar- 
quable que l’athéisme et le vandalisme révolutionnaire 
ont fait disparaître en 1791 *. Heureusement, après mille 
dangers, la relique vénérable a échappé à cette furie 
sacrilége. Il en fut de même de sa riche custode qu'avait 
offerte Mahaut de Portugal, étui d'argent niellé, en 


. 4. On connaît deux médailles de Notre-Dame des Ardents, de 
Pecquencourt: nous avons donné la première dans notre Notice citée 
ci-devant ; les coins de l’autre sont au Musée de Lille. 


2 L'abbaye de Groninghe, de Courtrai, qui tenait en grande véné- 
ration un cierge provenant de celui d'Arras, a fait frapper pour cette dé- 
votion une médaille octogone, en cuivre soufflé, sur laquelle on voit, 
d’un côté, la sainte Vierge, debout et couronnée, tenant à la main 
droite un sceptre et portant l'Enfant Jésus sur le bras gauche. 
Légende : N. Dame d Groenin. Le revers représente le saint cierge 
allumé, dans un chandelier à base hexagone, entre deux anges céro- 
féraires, agenouillés ; légende : La S. Chandel. Cette médaille, qui 
fait partie du cabinet de M. Gentil, de Lille, a été décrite par M. de 
Linas, à la page 70 de son ouvrage déjà cité. 


* 8. Nous donnerons, sous le n° 114, une médaille dont le revers 
représente cette belle pyramide de la Sainte-Chandelle. Ce n’est pas 
la seule qui rappelle ce clocher gracieux et hardi, car il figure aussi 
Sur un jeton frappé en 4597, pour les États d'Artois, pièce publiée 
par M. Deschamps de Pas, dans sa Notice sur les Jetons d'Arlois. 

8 


— 114 — 


forme de cône allongé, orné de figures, d’animaux 
fantastiques, de guirlandes et d’arabesques. 

On à vu combien le culte de la sainte chandelle, le 
même que celui de Notre-Dame des Ardents ou du Joyel, 
a été suivi à Arras. Longtemps il y donna lieu à des 
pèlerinages nombreux qui ne cessèrent d’aitirer un 
grand concours de fidèles ?. Il a fallu les mauvais jours 
de la Terreur pour arrêter cette dévotion si populaire. 

Il y a peu d'années, Mgr Lequette, évêque d'Arras, 
voulant restaurer le culte presque oublié de Notre- 
Dame des Ardents, décida qu’une église sous ce vocable 
serait construite dans sa ville épiscopale, et que la 
sainte relique y serait déposée dans sa custode. On se 
mit à l’œuvre et bientôt s'éleva ce bel édifice, qui fut 


1. Cette custode, qui contient encore des parties importantes du 
cierge vénéré, à été conservée dans le Trésor de la cathédrale 
d'Arras depuis le concordat jusqu’en 1876, année où elle fut déposée 
solennellement en l’église de Notre-Dame des Ardents. Elle a été 
décrite par M. de Linas, dans son ouvrage cité ci-devant. 

2. M. Terninck donne de curieux détails sur ces pèlerinages dans 
son ouvrage : Notre-Dame du Joyel, p. 34. 

Suivant Dom Devienne, (Histoire d'Artois, 5° partie, p. 286), 
Louis XIV, qui avait pieusement visité le saint cierge, en 1654, 
après la levée du siége d'Arras, vint, trois ans après le vénérer de 
nouveau avec la reine. Les maïeurs de Notre-Dame des Ardents, 
prévenus de la visite, avaient fait fabriquer cinq agnus d’or, dans 
lesquels ils avaient coulé des gouttes du saint cierge. Ils les offri- 
rent à la reine et aux principales dames de sa suite. Certainement 
ces agnus n'étaient autres que des médailles en forme de petits 
reliquaires, du genre de celles que ce recueil renferme en assez 
grand nombre. Nous ignorons ce que représentaient ces médailles, 
mais il y a lieu de penser qu’elles étaient au type de l’une de celles 
que nous décrirons dans ce chapitre. | 


— 115 — 


consacré dans le mois de mai 1876. A cette occasion 
furent célébrées de magnifiques fêtes dont le souvenir 
sera conservé par la description qu'en a donnée M. le 
chanoine Van Drival, un des principaux organisateurs 
de ces solennités'. Une foule immense accourut de 
toutes parts pour assister à ces fêles et surtout à une 
procession grandiose dont l'éclat était encore relevé par 
la présence de plusieurs prélats*. Des médailles desti- 
nées à raviver et à propager la dévotion à Notre-Dame 
des Ardents, furent commandées par la commission 
d'organisation à la maison Robineau, de Paris, qui en a 
frappé 89,448 exemplaires. 


Cette piété a été l’objet d’une suite intéressante de 
médailles dont la plupart sont d'une grande rareté. 
Nous en connaissons vingt-deux : une concerne Lille, 
deux sont de Pecquencourt et une se rapporte à l’abbaye 
de Groninghe, de Courtrai; nous donnons les dix-huit 
autres à Arras. L'attribution de quelques-unes ne peut 
laisser aucun doute, et comme les autres ne fournissent 
aucune indication qui les rattache à d’autres localités, 
nous les classons de préférence à la ville qui fut le siége 
principal de cette piété. Notons d’abord que sur chaque 
médaille le cierge est allumé, hormis sur celle qui porte 
le n° 116. 


4. Description des Fêtes du ?1 mai solennisées à Arras en 
l'honneur de N.-D. des Ardents. — V. aussi le Programme de la 
Procession. | 

2. On a réimprimé, pour la procession, les guidons des anciennes 
corporations de la ville ; il en a été fait ensuite un album de qua- 
torze planches, commençant par celle de Notre-Dame des Ardents. 


— 116 — 


. 108. ....6..G.. MAN. la sainte Viérge, couronnée, 
vêtue d’une robe et d’un manteau drapés avec goût, 
_ tenant l’Enfant Jésus entre les bras. À sa gauche, un 
hommé agenouillé lui présente un cierge. À sa droite, 
un saint évêque portant mitre, chape et crosse. A la 
droite du prélat, un grand lis dans un vase. Marie, son 
Fils et le saint sont nimbés. Cette enseigne ronde, 
autour de laquelle règne un cercle élevé, bordé de 
grènetis, ést d’un beau style, d’un dessin correct et d'un 
fini remarquable. Cet objet, en étain, trouvé à Arras, 
remonte au milieu du xv° siècle. Il est malheureusement 
incomplet; deux cassures ont enlevé la plus grande 
partie de la légende, ce qui rend notre attribution assez 
incertaine. | | | . | 


‘ 109. La Vierge, portant son Fils sur le bras droit ; elle 
est entre deux chandeliers avec cierges. Comme sur 
d’autres médailles que nous décrirons ci-après, les deux 
cierges ne sont pas placés uniquement pour la symétrie ; 
ils ont une signification: ils indiquent soit les deux 
‘saintes chandelles des confréries de Notre-Dame des 
Ardents et des Petits Ardents, soit le cierge principal 
‘et ceux qui en sont provenus. À. Évêque uimbé et crossé, 
‘bénissant ; c’est très-probablement saint Vaast. Cette 
‘petite imaige est placée dans un cœur avec encadrement 
garni de cinq trèfles à l'extérieur et muni d’un grand 
anneau. Cet objet de piété et les deux suivants sont en 
‘plomb et apparliennent: au xvi° siècle. 


110. Pièce plus petite, aux mêmes types: elle est 
‘ronde et encadrée dans une cercle épais. 


111. Variété plus correcte ; ici l'évêque est mitré. 


— 117 — 


+112. La Vierge, nimbée, vêtue d’un large manteau ; 
elle tient le cierge à là main droite. Plaque de plomb, 
du xvi* siècle, en forme de niche ; elle est encore garnie 
de son anneau de suspension. 


113. La Vierge avec l'Enfant Jésus sur le bras droit : 
elle est entre deux cierges mis dans de petits chandeliers 
affectant la forme d’un sablier. Les lettres S GC (Sainte 
Chandelle) occupent les deux côtés laissés libres. À. Cha- 
pelle à deux fenêtres, avec clocheton et croix ; dans Île 
champ, quatre étoiles. Plomb rond de la premiére 
moitié du xvrre siècle. | : 


. 114. La Vierge, couronnée, tenant le cierge à la main 
droite, descend, entourée de nuages, vers l'évêque 
Lambert et les deux ménestrels près desquels sont 
deux violes et un archet. À. N : D - DES ARDANS. Repré- 
sentation assez lourde de la belle pyramide de la 
Sainte-Chandelle ; au bas, deux rosaces. Grande médaille 
octogone en argent, du xvrr° siècle. 


115. N D S C DEL (Notre Dame de la Sainte ChanDELIe). 
La Vierge, dont la tête, couronnée, est entourée d’une 
auréole lumineuse ; elle est posée sur des nuages et 
tient le cierge à la main gauche. À. N D S CHANDEL. 
Le cierge, placé au milieu d'un parquel à carreaux. 
Médaille ovale du xvn° siécle, frappée sur deux feuilles 
d'argent en losange ; entre l’ovale et les bords se 
trouvent le cercle de l’anneau et trois globules. 


116. Dans un encadrement losangé, orné extérieure- 
ment de quatre fleurs de lis, est un double cercle ovale 
renfermant, d'un côté, le cierge entre les initiales S C, 
et de l’autre, les lettres THS,. monogramme ordinaire 


— 118 — 


_ du Ghrist, avec la croix et lès clous. Pélite méfäille 
d’argént, frappée vers le milieu du xvrr° siècle. 

117. La Vierge, tenant un scéptré à la main droite, 
et portant l'Enfant Jésus sur le bras gauche, Puñ èt 
l’autre ayant la tête eritourée d’une auréole rayôn- 
nante. À. La sainte chandelle mise dans un chandeliér 
élevé, entre deux anges agerouillés, qui présentent dès 
palmes. Vis-à-vis du pied du chandelier sont les lettres 
SGGN (Sainte-Chandelie, Gardez Nous). Jolie médaille 
octogone, eù argent, du xvi* siécle, bien différente de 
de toutes les autres par le faire et le stylé. 

118. La Vierge, couronhée et nimbée, ayant sur le bras 
droit l'Enfant Jésus, aussi nimbé ?; elle se tient dans uh 
tercle orné de deux fleurs. De chaque côté, un chan- 
délier avec tierge. Cette médaille uniface, bordée d'un 
grènetis cordonné, a été frappéé dans la seconde moitié 
du xvii° siècle, sur une légère feuillé de éuivre jauñe. 

119. N - D-DES ARDANS. Là Vièrge, éouronnéeé, teriañt 
le cierge à l4 maih droite, et portant sur le bras gauthe 
l'Enfant Jésus avéc le globe terréstre. À. LAS. CHAN- 
DELLE. Le saint cierge dans sa custode. De chaque 
côté, üun bnge ägeñouillé portant un chandelier avec 
cierge. Cette médaille du xvrr° siècle est de forme octo- 
gôtie ; elle Se compose de deux lames de cuivre jaune, 
estampéès séparément, puis réunies par une soudure. 

120. SAINTE CHANDELE. La Viergé, entourée de 
rayons dans un ovale formé de nuages, apparaît à 
l'évêque et dux ménestrels, tous trois à genoux; elle 
tient lé cierge à la main droite. À. GALVAIRE D'ARRAS. 
‘Type le plus ordinaire de c6 talvaire, reproduit ci-dévant 


— 119 — 


au n° 93. Belle médaille en plomb et étain, du milieu 
du xvin° siécle. 

121. S - CHANDELLE D ARRAS. On voit dans un double 
encadrement le cierge placé sur un socle. Exergue : 
1757. À. CALVAIRE D'ARRAS. Même type que celui du 
n° précédent, mais la porte est plus haute et mieux des- 
sinée. Médaille octogone en alliage de plomb et d’étain. 


122. Intérieur d'église, dont la voûte est à comparti- 
ments étoilés ; à l'entrée, la sainte chandelle posée sur 
un large pied de chandelier. Exergue : LA S-CHANDELLE. 
Médaille octogone sans revers, estampée sur une mince 
feuille de cuivre rouge, qui parait être de la seconde 
moitié du siècle dernier. 

Les trois médailles suivantes sont celles qui ont été 
frappées pour être distribuées et vendues lors de la 
procession solennelle du 21 mai 1876; il s'en trouve 
en vermeil, en argent et en bronze. 

193. NOTRE DAME DES ARDENTS P. P. N. Dans un 
encadrement formé d’arcatures, la Vierge apparaît sur 
un nuage ; elle se présente avec le cierge en main, à 
l'évêque et aux ménestrels, tous trois agenouillés. Le 
mot CEREVM qu'on lit plus bas donne en chronogramme 
le millésime 1105, année de l'apparition, qu’on retrouve 
sur le nuage. À. Dans un encadrement semblable, un 
calvaire dont les extrémités sont trifoliées ; il est placé 
sur une porte cintrée au-dessus de laquelle est cette 
inscription : GALVAIRE D’ARRAS. 


124. Même médaille réduite aux deux tiers 


125. Autre plus petite, aux mêmes types, mais sans les 
encadrements; on y a supprimé la porte et le mot cereum. 


— 120 — 


Les n°* 119 et 120 ont été décrits par M. Rouyer dans 
L'Écho de la Lys, en 1849 ; les mêmes n°° et les n° 113 
et 114 ont été publiés dans notre Notice sur les Médailles 
de la sainte chandelle; enfin le n° 110 figure à la planche 
iv de notre Essai sur la Numismatique de l'Abbaye de 
Saint- Vaast ‘. 


Medailles de saint Marcou 


Ce saint, connu aussi sous les noms de Marcoul, 
Marculfe et Maclou, missionnaire, puis abbé de Nanteuil 
vers le milieu du vi siècle, était particulièrement 
honoré à Corbeny près de Laon, où se trouvait son 
tombeau *. Il fut aussi vénéré dans beaucoup d’autres 
lieux”; on l’invoquait contre les écrouelles. Les rois de 
France passaient pour avoir obtenu de lui le don de 
guérir les scrofuleux. | 

Une église d'Arras, construite dans le x1° siècle, était 


4. C’est par erreur que, dans notre opuscule sur les médailles de 
la sainte chandelle (pl. 1, n° 5), nous avons attribué à cette dévo- 
tion une médaille qui représente, d’un côté, la sainte Vierge abritant 
des pèlerins sous son manteau, et, de l’autre, saint Nicolas avec les 
trois enfants. Elle appartient aux pèlerinages renommés de Notre- 
Dame de Bon-Secours, de Nancy, et de saint Nicolas, de Saint- 
Nicolas du Port. | 

Nous possédons un petit méreau de plomb, qui se rapporte à l’une 
des confréries de Notre-Dame des Ardents, établies à Arras. 

2. Blat, Histoire du pèlerinage de saint Marcoul à Corbeny. 

3. Notamment à Valenciennes, en l’église paroissiale de Sainte- 
Elisabeth, et particulièrement à l’abbaye de Cysoing, où des reli- 
ques notables du saint étaient l’objet d’un pèlerinage célèbre. (V. La 
vie de S. Marcoul, imprimée chez de Rache, en 1640). 


— 191 — 


sous l'invocation de saint Martou. Plus tard, elle prit 
le nom de Sainte-Croix, mais la fête de l'illustre abbé 
n'y fut pas moins célébrée solennellement jusqu’à la 
Révolution. Une confrérie en l'honneur du même saint 
avait aussi été instituée en l’église de Saint-Géry d'Arras. 
La dévotion à saint Marcou était donc assez populaire 
en cette ville ; c'était du reste le seul lieu du diocèse où 
il fût honoré d’un culte particulier et suivi. 

Il existe des médailles de saint Marcou, qui le repré- 
sentent en religieux, tourné à droite ou à gauche, 
tenant sa crosse inclinée et approchant la main de la 
figure d'un suppliant agenouillé, et qui offrent au 
revers la statue de Notre-Dame de Liesse. Bien qu'on uit 
trouvé souvent de ces médailles à Arras et dans les 
environs de celte ville, nous croyons prudent de les 
laisser au Laonnaïs, où on les a rencontrées plus fré- 
quemment. MM. Duployé les attribuent au pèlerinage 
de Notre-Dame de Liesse*. 

Nous donnons à la dévotion d'Arras sept médailles 
de saint Marcou. Les trois premières prouvent leur 
origine par leur caractère arlésien et par les sujets 
qu'elles représentent. Les quatrième et sixième n'ont 
pas besoin d'explication. La cinquième appartient à 
Arras, non-seulement par son type, son style et sa 
facture, mais encore par le revers, offrant le buste de 
saint Liévin. Quant à la dernière, au buste du saint 


4. Notre-Dame de Liesse, t. 1, p. 58 et 59, t. u. p. 344. 

2. A l’article de Merck-Saint-Liévin, nous parlerons de ce célèbre 
apôtre de l’Artois et de la Flandre ; nous ne dirons donc ici que 
quelques mots de son culte à Arras. L'église de Sainte-Croix, la 


— 122 — 


abbé, mitré, dont le revers rappelle la vision de saint 
Hubert, type si souvent employé pour les médailles 
religieuses d'Arras, elle doit être considérée comme se 
rapportant à cette ville, tant par ses types que par son 
apparence locale. 


126. Plaque carrée dé cuivre rouge en bractéate. Dans 
un estadrement de deux lignes de grènetis, dont les 
angles sont ornés de fleurs se trouve un doublé cercle 
avec anneau. Au centre, saint Marcou, nimbé, tourné à 
droite, tenant une crosse; devant lui un suppliant à 
genoux. Enseigne du xvi* siècle. ° 

Les deux numéros ci-après, qui sont de forme ronde, 
en élain, paraissent un peu moins anciens. 


127. Petite médaille uniface, mise dans un encadre- 
ment ; elle représente le saint, nimbé, posant la main 
droite sur un enfant, el tenant sa crosse de l’autre. 


128. Autre médaille encore plus petite, placée dans 
un encadrement entouré extérieurement d’un anneau 
_et de sept globules. On y voit le saint, tenant sa crosse 
de la main droite et un petit buste dans l’autre. Le 
revers montre un cavalier trottant à droite : c'est saint 
Menne, dont nous aurons l’occasion de parler, à l’article 
d’Écoust-Saint-Mein. 


même où était vénéré saint Marcou, honorait aussi saint Liévin 
d’une manière particulière ; la confrérie de ce nom, qui s’y était 
établie, prit une grande importance dans le xvine siècle. Ainsi s’ex- 
plique la présente du buste de ce saint sur une de nos médaillle de 
saint Marcou, d'Arras. La confrérie a été rétablie en l’église de Saint- 
Géry, le 5 juillet 1804. (V. Statuts et Règlements de la Confrérie 
de saint Liévin. Arras, Brissy, 1849). 


— 193 — 


‘ 429 . S : MARCOVL. Saint Marcou, dont la têté est 
éntouréé d’ün cercle lumineux, est légèrement tourné 
à gauche ; il est vêtu en moine et tient sa crosse iñclinée. 
! approche sa rain droite d'un suppliant, à genoux 
devant lui. À. CALVERE DARAS. Le calvaire, fort bas et 
tourné vers l4 gauche. Il est à remañquer que l'on a 
émpioyé pour te côté un coin plus pelit que celui du 
droit. Cette médaille et la suivante sont en éuivre. 

130. - S - MARCO. Dans un double encadrement octo- 
gone, le même saiñt finhé, tenañl sà crosse à la main 
gauche, va imposer l’autre main sur un roi agenouillé. 
inuni d'un bâton de pélerin. À. S LIEVIN. Buste à gauche 
de saint Liévin, mitré ; le martyr tiént à la main droite 
üné lenäillé âu bout de laquelle est sa langue arrachée, 
ét à l’autré, üné croix à longue hampe et à double croi- 
sillôn. Cette fnédaille est composée de deux lames de 
tétal, frappées séparément et réuhiés par une soudure ; 
ellé appartient bien à l'Artois par son style, sa fabrique 
ét lé sujet du révers. 

131. $* MARCOUL PRIEZ P. N. Dans une bordure en 
grénetis perlé, le saint abbé, vêtu d’un rochet à manches 
larges, avec croix peclorale, sur la tête duquel plane 
un nimbe. Il touche de la main droite le cou d’un 
suppliant à genoux et tient de l'autre main sa crosse 
inclinée. À. Dans un même encadrement l'inscription 
suivante en quatre lignes: CONFRERIE DE $ : MARCOUL 
A S'GERY D’ARRAS. Cette médaille d’étain est d'une 
très-belle exécution ; elle paraîl être du même graveur 
que la première de celles aux types du calvaire d'Arras 
et de Notre-Dame de Bon-Secours. C'élait un objet de 
dévotion en mème temps qu’une médaille de confrérie. 


— 124 — 


1432. S. MARCOV. Le saint, mitré, en buste tourné à 
gauche ; il tient sa crosse à la senestre. À. Saint Hubert 
à gauche ; il prie devant le cerf crucifère. Au-dessus, 
un ange qui lui apporte l’étole. A l’exergue : S HUBERT 
P P N. Cette pièce se trouve en plomb et en étain. 

Le n° 129 est du xvnre siècle; le suivant, du commen- 
cement du xvirr siècle; les deux derniers sont de la 
seconde moitié du même siècle. 


Médailles de saint Daast 

Saint Vaast, l’apôtre de l’Atrébatie, le patron du 
diocèse d'Arras, doit avoir sa place dans notre petite 
galerie métallique. Nous n'avons pas à rappeler ici la 
vie, bien connue d’ailleurs, de cet illustre évêque 
d'Arras, qui, après avoir pris une part glorieuse à la 
conversion de Clovis et des Francs, évangélisa, pendant 
quarante ans, notre contrée retombée dans l'idolâtrie. 
La grande renommée de Vaast ou Védaste, les miracles 
qui lui ont été attribués, et la profonde vénération qu'il 
a toujours inspirée, l'ont fait choisir pour patron d’un 
grand nombre de lieux des divcèses d'Arras et de 
Cambrai. C'est ainsi que tant d’églises et de chapelles 
ont été placées sous son invocation. 

La célèbre abbaye d'Arras, qui portait le nom de 
l'auguste pasteur, avait été érigée en son honneur, l'an 
667 ; elle renfermait son tombeau et la plus grande 
partie de ses ossements. En 880, l'approche des Nor- 
mands avait forcé les religieux à transporter à Beauvais 
ces précieuses reliques, déposées dans une châsse ; 
treize ans après, elles étaient rapportées par eux avec la 


— 195 — 


‘plus.grande solennité. Depuis lors jusqu’à la Révolution, 
ces restes ont été révérés dans le monastère même, où 
la dévotion populaire les avait en grande vénération ; 
. ils étaient l’objet d’un pèlerinage : les mères y ame- 
naient leurs enfants malades pour obtenir leur guérison 
par les mérites de saint Vaast!. | | 
. Comme ce saint a toujours été le plus illustre de la 
contrée, un des plus populaires et des. nlus vénérés 
d'Arras, son culte devait être en cette ville l’objet de 
médailles spéciales. a 
À l’article de la sainte chandelle, nous avons décrit, 

sous les n° 109, 110 et 111, trois petites médailles du 
xvr° siècle, d’origine artésienne et aux mêmes types, où 
l'on voit, d’un côté, la Vierge entre deux chandeliers 
avec cierges et, de l’autre, le buste d’un saint évêque 
bénissant, et tenant une crosse. Comme nous supposons 
que cet évêque est saint Vaast, nous pensons que ces 
pièces concernent aussi bien son pélerinage, que celui 
de Notre-Dame des Ardents d'Arras. Si nous les avons 
placées de préférence à cette derniére dévotion, c'est 
qu’elle a toujours été plus suivie que l’autre. 

Nous n’aurons plus à parler ici que de quatre 
médailles ; les deux premières sont du xvrr° siècle, et les 
deux autres sont de la seconde moitié du siècle dernier. 


| 133. Saint Vaast, mitré et crossé, tenant sur la main 
droite un modéle d'église ; à dextre, on voit debout 


4. Les reliques de l’apôtre principal de l’Artois sont conservées 
-dans le Trésor de la cathédrale d'Arras, (Lire le chapitre qui leur 
‘est consacré, dans le savant ouvrage de M. l’abbé Van Drival : Le 
Trésor sacré de la cuthédrale d'Arras). 


— 196 — 


l'ours caractéristique, À. Châsse du saint, Cetla médaille 
et la suivante se composent de deux mimees feuilles 
d'argent estampées et réunies ensuite, 


134. Le droit offre en petit le même sujet, mais sans . 
le symbole traditionnel‘. À. Buste à droite de saint 
Benoît que caractérisent l'auréole, le capuchon et la 
mitre placée devant lui*. Or on sait que l’abbaye d’Arras 
suivait l'ordre de saint Benoît. 


135. S- VAST.P.N:. Saint Vaast, tourné un peu à 
gauche, mais regardant de face ; il porte mitre et large 
manteau, et tient sa crosse à la main droite ; à gauche, 
ornement en forme de console. À.S *: LEV-P N. Saint 
Loup ou Leu, archevêque de Sens, portant mitre, chape 
et crosse ; derrière lui passe la tête d'un loup, à côté 
d'une fleur à haute tige. Cette médaille est, ainsi que la 
suivante, moulée en plomb et en étain, ou en alliage de 
ces deux métaux ; elle se rencontre souvent, non-seule- 
ment à Arras, mais dans la région, ce qui laisse supposer 
qu'elle se vendait en divers lieux de dévotion. Citons, 
entre autres localités, Chéreng, village des environs 
de Lille, où saint Loup est depuis longtemps l'objet 
d'une cevonen particulière ?. 


À. On remarquera que l'ours, qui accompagne souvent saint Vaast 
sur les monuments, ne figure pas toujours sur les méreaux. 

,2. C’est bien le type-ordinaire des nombreuses médailles de saint 
Benoît. 

8. Le moule de cette médaille, retouché et refait au commence- 
ment de ce siècle, était encore, il y a vingt-dinq ans, a possession 
de M. Rudot, potier d’étain à Lille, qui a coulé une grande quañ- 
tité d'exemplaires de cette médaille, surtout pour la fabrique de 
l’église de Chéreng. 


nd 


— 197 — 


136. 5° VAST “P-N*.Saint Vaast, représenté comme sur 
la médaille précédente, mais mieux orné et mieux gravé; 
l'ours figure debout à sa droite. Même revers retouché. 

Notre Essai sur la numismatique de l’abbaye de Saint- 
Vaast a déjà fait connaître les n° 110, 134 et 135. 


Il nous reste à parler dans ce chapitre de quelques 
médaillés qui semblent s’y rattacher, mais que nous ne 
comprenons pas dans nos planches, soit qu'elles ne puis- 
sent être attribuées exclusivement à Arras, soit qu’elles 
ne rentrent pas dans la classe des médailles de piété. 


Médailles de la sainte face 


Suivant la légende, une femme de Jérusalem s'étant 
approchée du Sauveur succombant sous la croix, aurait 
essuyé son visage ensanglanté avec un linge qui en 
aurait conservé miraculeusement l'empreinte, et cette 
relique serait parvenue jusqu'à nous. On sait qu’une 
image de l'Homme-Dieu est, sous le nom de la sainte 
face, honorée depuis longtemps à Rome, dans la basilique 
de Saint-Jean de Latran. Une ancienne copie de cette 
sainte face était, avant la Révolution, très-révérée au 
monastère de Montreuil-sous-Laon. La plupart des pèle- 
rins se rendant à Notre-Dame de Liesse, ne manquaient 
pas de s'arrêter à ce couvent, qui se trouvait sur leur 
chemin, pour y honorer la figure du Christ. C’est pour 
cette raison que presque toutes médailles du xvrn° siècle 
représentant Notre-Dame de Liesse offrent la sainte 
face‘au revers'. Sans doute des Artésiens entreprirent 


4. Duployé, ouvrage cité, t. 11, p. 355. 


— 128 — 


maintes fois ces pélerinages, quoiqu'ils en fussent assez 
éloignés, et ils en rapporlèrent des médailles ; mais on 
ne peut pas supposer que ces pélerins aient été fort 
nombreux. Cependant les médailles aux Lypes réunis de 
la sainte face et de Notre-Dame de Liesse, dont nous 
possédons trente variétés recueillies à Arras et dans les 
environs s’y rencontrent fréquemment. On doit donc ad- 
mettre qu’elles se sont vendues en grande quantité dans 
celte ville, soit qu’elles y aient été fabriquées, soit qu’ellés 
fussent importées de Laon ou de Paris. Toutefois, comme 
cette origine artésienne n’est pas suffisamment établie, 
nous ne comprendrons aucune de ces médailles dans nos 
planches ; il nous suffira d'en placer ici trois, frappées 
en argent et en cuivre, vers le milieu du siécle dernier". 


* 4. Il convient de remarquer que le culte de la sainte face, qui est 
tout oriental, s’est propagé dans notre contrée ; aussi voit-on ce type 
reproduit sur des médailles de saint Druon, de Carvin: de Notre- 


— 1299 — 


Médailles du Saint-Sacrement. 


Le diocèse d'Arras s’est toujours distingué dans la dé- 
volion au Saint-Sacrement. Parmi ses évêques les plus 
zélés pour la pratique et la propagation de ce culte, nous 
citerons François Richardot, dont les sermons sur ce 
sujet ont été si répandus dans la seconde moitié du xvr° 
siècle ‘, et Gui de Sève, qui, au commencement du sui- 
vant, établit l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement*. 
On doit donc supposer que dans ce diocèse, et à Arras 
surtout, une telle piété a donné lieu à des médailles 
spéciales. Aussi, pensons-nous pouvoir attribuer à cette 
ville une petite médaille de plomb qui y a été trouvée, 
et qui porte, d’un côté, les lettres SS, initialës de Saint- 
Sacrement, et de l’autre, le monogra:. me du Christ avec 
la croix et les clous. Ce qui corrobore notre attribution, . 
c’est le rapport typique existant entre cette pièce et celle 


Dame de Grâce, de Cambrai; de saint Liévin, de Merck-saint- 
Liévin et de Notre-Dame du Bois, de Tilloy-les-Mofflaines. Ajoutons 
qu’un livret sur la Dévolion au Calvaire d'Arras, contient des lita- 
nies de la sainte face et une oraison pour l’honorer. 

Quant à la dévotion à Notre-Dame de Liesse, nous avons dit pré- 
cédemment combien elle était générale en Artois et surtout à Arras ; 
aussi trouve-t-on le type de ce culte sur plusieurs médailles de cette 
ville. | 

1. Quatre sermons du Sacrement de l'autel, faicts et prononcez 
publicquement à Arras, par Messire Françoys Richardot, evesque 
dudict lieu. 

2. Mandement de Mgr l’Evèque d'Arras, 1701. — L'adoration 
perpétuelle du Très-Suint-Sucrement de l'autel, établie dans tout le 
diocèse d'Arras, 1701. 


— 130 — 


de la sainte chandelle, décrite sous le n° 116. Voici cette 
médaille, que nous préférons placer ici. 


Dans la première moitié du siècle dernier, il se vendait 
à Arras, des médailles du Saint-Sacrement, frappées en 
argent et en cuivre, qu'on retrouve souvent dans cette 
ville et dans les environs. Elles représentent, d’un côté, 
un ostensoir entre deux lampes, et de l’autre, soit Notre- 
Dame de Liesse, soit la sainte face. Mais comme on a 
recueilli dans le Laonnaïis beaucoup de médailles à ces 
types, il est bon de s’en tenir à une simple mention. 

Ce n’est pas trop nous éloigner de notre sujet que de 
rappeler les médailles frappées pour l'inauguration de 
l'église du Saïnt-Sacrement d'Arras. Des religieuses de la 
‘congrégation de l’adoration perpétuelle, ou bénédictines 
du Saint-Sacrement, appelées en 1815 dans le Pas-de- 
Calais, avaient formé à Arras un pensionnat de jeunes 
personnes ; elles s’établirent ensuite dans l’ancien cou- 
vent des trinitaires de cette ville. En 1842 fut commencée 
la nouvelle église du monastère, début et chef-d'œuvre 
de Grigny, l’éminent architecte, le restaurateur de l'art 
chrétien dans le nord de la France. Ce gracieux édifice, 
élevé dans le style de l’architecture fleurie du xv° siècle, 
fut inauguré, le 5 août 1846, par le cardinal-évêque 
d'Arras". À cetle occasion, la communauté fit distribuer 


1. V. Archives historiques et littéraires du nord de la France et du 
midi de la Belgique, (article de M. Grandguillaume), 3° série, t. 1, 
p. 257. — À. d’Héricourt et Godin, Les Rues d'Arras, t. 1, p. 134. 


— 131 — 


à ses élèves et aux assistants de belles médailles frappées 
en argent et en cuivre, par la maison Vachette, de Paris. 

La première légende porte : * L'ÉGLISE DES BÉNÉDIC- 
TINES DU S SACREMENT D’ARRAS, légende supérieure, en 
deux lignes. Vue extérieure du monument, prise du 
côté du portail. À l’exergue: 5 aourT 1846, date de la 
bénédiction. À. LOUÉ ET ADORÉ SOIT LE TRÈS-ST SACREMENT. 
Riche ostensoir, de forme moderne, dont le pied avec 
l’'Agneau est soutenu par des nuages. Au bas est le nom 
du fabricant. Cette médaille ovale a 39 millim. Il en 
existe une variété. On trouve aussi la même médaille, 
réduite à 23 millim.., et présentant de légères différences ; 
ici, devant l’église, on remarque plusieurs personnes; au 
revers, la date répétée de la bénédiction remplace le 
nom du fabricant *. 


En terminant ce chapitre, nous devons rappeler que 
les médailles dont il se compose ne sont pas les seules 
qui aient été vendues aux pèlerinages d'Arras. Si nous 
n’y avons pas décrit celles du bienheureux Benoît Labre, 
c’est qu'elles devaient être mieux placées à Amettes, 
lieu de sa naissance et de son principal pèlerinage. 


4. Vers le milieu de ce siècle, les dames bénédictines ont fait 
frapper en argent et en bronze une belle médaille ovale que portent 
leurs élèves quand elles sont reçues Enfants de Marie. La sainte 
Vierge y est figurée nimbée, assise sur des nuages, ayant sur sa poi- 
trine un cœur rayonnant. L'Enfant Jésus, dont la tête est entourée 
d’une auréole lumineuse,se tient debout sur le genou droit de sa 
Mère. Dans un nuage, à droite, se lit le nom du graveur Roquelay. 
À. * ASSOCIATION DES ENFANTS DE MARIE. * MAISON DU Sr SACREMENT. 
Cette légende est encadrée dans un double cercle et dans un léger 
grènetis. Le centre est laissé lisse pour la gravure du nom de l'élève. 


VII 


AUCHY-LEZ-LA BASSÉE 


fMedailles de sainte Apolline 


Feaucoup de villages de nos contrées ont mis une 
grande confiance en un saint, souvent leur patron, qu'ils 
invoquaient avec ferveur. Il arriva fréquemment que ce 
culte s’étendit aux alentours ; de là des dévotions popu- 
laires et des pélerinages. 

La sainte qui a été honorée particulièrement à Auchy- 
lez-La Bassée, village à l'extrême limite de l’Artois et 
de la Flandre, s’appelle Apolline ou mieux Apollonie ; 
elle y était invoquée contre les maux de dents. L’hagio- 
graphie nous apprend que cette vierge souffrit le martyre 
vers le milieu du 11° siècle, préférant une mort cruelle 
à l'apostasie. L’on sait qu'avant de se jeter dans les 
flammes, la sainte avait eu les dents cassées avec des 
cailloux ; c’est pour cette cause qu'elle est ordinaire- 
ment représentée tenant une tenaille au bout de laquelle 
est une dent. 

Il n'est pas probable que le pèlerinage d’Auchy ait 
jamais été bien important ; de nos jours, c’est à peine si 
quelques personnes viennent de temps à autre invoquer 
la sainte devant sa statue. 

Un renseignement précieux, extrait des:archives com- 


— 133 — 


munales d'Haisnes, nous apprend qu’en 1676, ôn frap- 
pait encore, à Auchy-lez-La Bassée, sept douzaines de 
médailles à l’image de sainte Apolline‘. C’est ce qui 
nous permet d'attribuer à la dévotion de ce dernier lieu 
les deux médailles de cuivre décrites ci-après : 


137. S - APOLLONE. Sainte Apolline tenant à la main 
droile une tenaille qui serre une dent. À. S - FIACRE. 
Buste à gauche de ce saint, auprès duquel est une bêche, 
son altribut ordinaire. 


138. S. APOL. La vierge martyre, représentée comme 
au numéro précédent. À. Le Christ en croix entre sa 
Mère et saint Jean l’évangéliste. Collection de M. Rigaux. 


s» 


PIS — 


VIII 


BÉTHUNE 


Cette ville parait avoir eu, au commencement du 
xvi‘ siècle, des enseignes de pêlerinage ou de dévotion. 
Dans l'inventaire du mobilier de sa halle échevinale, 
dressé en 1511, sont décrits deux chapelets ornés, le’ 
premier, de cinq enseignes de vermeil, le second, de 
cinq autres de cuivre doré *.On doit supposer que, dans 
ce nombre, il s’en trouvait concernant quelque culte de 


4. Communication de feu M. Legrand, de Béthune. 
2. À. de la Fons. Les Artistes du nord de la France... p. 117. 


la localité. Ce qui fortifie cetie conjecture, c’est que la 
ville comptait alors sept orfèvres', et il est naturel de 
penser que ces artisans fabriquaient aussi de ces objets 
de piété, dont la vente était si facile et si lucrative. 

Comme aucune enseigne béthunoise n’est parvenue 
jusqu'à nous, nous n'avons à nous occuper, dans ce cha- 
pitre, que de médailles moins anciennes, et encore sont- 
elles en bien petit nombre. Elles regardent : 1° le pèle- 
rinage à Notre-Dame de Bon-Secours, 4° la dévotion à 
saint Eloi, 3° le pélerinage à Notre-Dame du Perrovy, 
4° la dévotion à sainte Wilgeforte. C’est dans cet ordre 
que nous allons les présenter. 


e 


_Medailles de Notre-Dame de Gon-GSrcours 


L'église des jésuites de Béthune avait été, au commen- 
cement du siècle dernier, terminée el ornée avec magni- 
ficence par de hauls personnages. On y remarquait une 
riche chapelle, qui avait été élevée en l'honneur de 
Notre-Dame de Bon-Secours, et sur l’aulel de laquelle 
était exposée une image miraculeuse. 

: Ce sanctuaire était un lieu de pèlerinage fort fréquenté 
par les fidèles, qui venaient y implorer la Vierge Marie 
dans toutes les afflictions, mais surtout pour la guérison 
des maladiesgraves *. On doit supposer qu’au xvrir' siècle, 
époque où le pélerinage fut le plus florissant, des mé- 


1. À. de la Fons, ouvrage cité, p. 117. 


2. Le père Ignace, Mémoires du Diocèse d'Arras, t. 111, p. 415. 
Nous ne trouvons pour l’Artois que ce pèlerinage à Notre-Dame de 
Bon-Secours. 


— 135 — 


dailles de Notre-Dame de Bon-Secours élaient vendues, 
à la porte de l’église, pendant les jours spécialement 
consacrés à ce culte. Avaient-elles été failes pour la dé- 
votion béthunoise? Il y a sans doute une dislinction à 
établir. Nous laissons au Hainaut belge toutes les mé- 
dailles d'argent et de cuivre représentant, au droit, la célè- 
bre madone de Péruwelz, et au revers, la Sainte-Famille, 
quoiqu'il en ait été trouvé certain nombre à Béthune et 
aux environs ; ces pièces n’élaient probablement que 
des souvenirs du grand pélerinage. Mais il en est d’au- 
tres qui sont certainement d’origine artésienne ; elles 
représentent, d'un côté, le calvaire d’Arras, et de l’autre 
une statue de Notre-Dame de Bon-Secours. Ces médail- 
les, qui sont d’élain, et dont nous connaissons deux 
variétés, ont été frappées, vers le milieu du xvin° siècle, 
pour être débitées tant au pélerinage d'Arras qu'à celui 
de Béthune. Comme elles ont été décrites et figurées, 
sous les n° 91 et 92, à l’article de la première de ces 
villes, nous y renvoyons le lecteur. 


D. d 
- 


Médailles de saint Eloi 


Ce grand saint du vri‘ siècle, qui d’orfèvre devint mo- 
nétaire, puis ministre, et fut évêque de Noyon et de 
Tournai, a élé honoré par diverses villes du nord de la 
France et du midi de la Belgique, comme l’un de leurs 
plus chers apôtres. Il est le patron de Béthune, et ce n'est 
pas sans raison. La légende rapporte qu'en 1188, une 
terrible épidémie continuait de régner sur cette ville; 
que saint Eloi était apparu alors à deux maréchaux des 
environs, Germond, de Saint-Pry, et Gautier, de Beuvry; 


— 136 — 


qu'il leur avait recommandé de former une association à 
l’effet de soigner les malades et d’inhumer les morts. 
_ Dés le lendemain, on instituait à Béthune la confrérie des 
Charitables de Saint-Éloi et, peu de jours après, le fléau 
s’éloignait de la ville. 

Cette ancienne association qui, de tout temps, a rendu 
de grands services, existe encore dans toute sa vigueur. 
Elle se compose d’un doyen, d’un prévôt, de quatorze 
maïeurs et de seize confrères, tous choisis dans la ville ; 
elle a ses statuts, ses règlements, ses usages et ses fêtes. 
Encore aujourd’hui les Charitables sont tenus d'assister 
en costume aux funérailles de lous les défunts, de les 
porter eux-mêmes au lieu de repos et de les inhumer*. 

Nous attribuons à la piété des habitants de Béthune 
envers saint Éloi une petite plaque octogone frappée au 
xviri® siècle, sur une mince feuille de cuivre jaune; 
cette médaille, considérée comme étant d’origine béthu- 
noise, sera reproduite sous le n° 139 *. 


4. Antoine Delions, Histoire de l’institution, règles, exercices ct 
privilèges de l’ancienne et miraculeuse Confrérie des Charitables de 
Saint-Éloy, apôtre des Pays-Bas, évêque de Tournai et de Noyon, 
patron tutélaire de Béthune ct de Beuvry. Ce petit livre, édité pour 
la première fois en 1648, était arrivé, en 1753, à la quinzième édition. 
— Manuel de la Confrérie de Saint-Éloi, établie en l’église pa- 
roissiale de Saint-Martin à Bouvry, au diocèse d’Arras. 

2. Un cartulaire de la confrérie béthunoise repose aux Archives du 
Pas-de-Calais. 

‘8. Un grand médaillon ovale, en argent, ciselé avec soin, était porté 
en sautoir par le prévôt dans les cérémonies. Cette plaque. du xvirre 
siècle, représente saint Éloi, mitré, tenant un grand marteau à la 
main droite, et de l’autre, sa crosse épiscopale. C’est ainsi que le saint 
est figuré sur ses gravures et images du pays, notamment sur l’image 


—— 137 — 


Les Béthunois ont toujours eu recours au même pro- 
tecteur céleste dans les temps de peste et d’épidémie, 
aussi l’invoquèrent-ils particulièrement quand, en 1832, 
le choléra fit invasion dans leur ville. Ce fut pour rendre 
cette dévotion plus vive et plus durable qu'un véné- 
rable prêtre, né à Béthune, M. Flajolet, principal du 
collége de Mouscron, fit frapper par la maison Pamera- 
Dechevany, de Lyon, la médaille de cuivre décrite ci-après 
sous le n° 140, qui se répandit bien vite dans le pays. 

Lorsque le fléau meurtrier reparut en 1849, une autre 
médaille de cuivre fui frappée par la même maison, sur 
la commande de M. Outrebon, négociant à Béthune, qui 
en vendit alors un grand nombre d'exemplaires. Celte 
pièce diffère peu de la précédente, comme on le verra par 
sa description présentée sous le n° 141. 

Les trois médailles de saint Éloi, dont nous venons de 
parler, sont figurées dans notre Numismatique bélhunoise 
sous les n° 2, 3 et 4 de la planche xur ; nous les décri- 
vons ici de nouveau. 


139. Dans un encadrement octogone, en grènetis, le 
buste, à gauche, de saint Éloi, mitré, tenant à la main 
droite le marteau caractéristique, et soutenant de l’autre 
la crosse épiscopale. Légende : S ELOI. 


qui se vendait à Lille chez Louis Mélino, le dernier fabricant des 
petits drapeaux de pèlerinage. Nous avons vu à Béthune, dans la 
collection de M. Béghin, une curieuse gravure sur bois, de la seconde 
moitié du siècle dernier. Elle représente saint Éloi au milieu de 
nuages, bénissant et tenant le marteau symbolique. Au-dessous est 
la ville de Béthune, devant laquelle passe la Confrérie des Charitables 
avec un défunt ; plus bas, deux groupes de pestiférés. Le titre porte : 
Confratcrnilas sancti Eligii apud Bcthuneos a peste illesu. 


— 138 — 


140. S' ELOI DEFENSEUR DE BETHUNE. Le buste du 
même saint, mitré, un peu penché, montrant de la main 
droite le ciel, d’où s’échappent des rayons, et portant sa 
crosse de l’autre. À. L'inscription suivante, disposée en 
quatre lignes, les trois premières droites, la quatrième 
circulaire : DEFENDEZ NOUS ENCORE DE LA PESTE. 


141. Médaille faite sur le modèle de la précédente ; ce 
‘sont les mêmes type, légende et inscription. Ici le buste 
du saint évêque est plus grand et redressé*. 


Médaille de Motre-Dame du Perroy 


Hors de l’enceinte de la ville, entre les routes d'Arras 
el de Douai, s'élevait, avant la Révolution, une grande 
et belle chapelle, où l’on honorait, sous le titre de Notre- 
Dame du Perroy, une statue qui représentait la Vierge, 
en longue et large robe, tenant sur le bras gauche l'Enfant 
Jésus vêtu de même, selon le type ancien et traditionnel. 
L'histoire locale rapporte que ce petit édifice fut érigé, en 


4. Signalons une belle petite médaille ovale, frappée récemment à 
Paris, bien qu’elle n’entre pas dans notre cadre, malgré son appa- 
rence religieuse. Ce n’est, en effet, qu’un souvenir métallique de ser- 
vices rendus par le doyen actuel de la Confrérie des Charitables bé- 
thunois. Le sujet principal est saint Éloi, debout, en costume d’évêque, 
tenant sa crosse et l'Évangile, ayant à sa gauche, comme attribut, une 
enclume avec marteau. La légende porte : Saint Eloi patron titu- 
laire de Béthune et Beuvry, p. p. n ; l’exergue : 1188, année de la 
fondation de la Confrérie. Au revers, dans une couronne formée de 
deux branches d’olivier, on lit cette inscription énigmatique : C. S. 
1829, 1838, 1849, 1877 ; elle s'explique ainsi : Clément Sy, confrère 
on 1829, maïeur en 1838, prévôt en 1849, doyen en 1877. 


“ 


— 139 — 


1110, dans un lieu boisé, nommé le Perroy, par Robert 
le Gros, seigneur de Béthune. Elle ajoute que Guillaume, 
son fils et son successeur, enrichit ce sanctuaire, et 
qu’il fonda, près de là, le prieuré de Notre-Dame du 
Perroy pour l’abbaye du Mont-saint-Eloi*. 

Cette chapelle, d'abord visitée par les personnes pieu- 
ses de la ville et des environs, devint bientôt le but 
d’un pèlerinage, où l’on venait de toutes parts, pendant 
les fêtes consacrées à la Vierge, demander à la Mère des 
affligés de soulager les malades et de secourir les pri- 
sonniers. Lors des siéges de Béthune, surtout durant 
celui de 1710, le monument isolé fut exposé à de grands 
dangers auxquels il échappa cependant ; il fallait le cata- 
clysme de 1793 pour le faire disparaître : il fut vendu 
alors, puis démoli. Toutefois la statue avait été sauvée, 
et quand, au commencement de notre siècle, le calme 
revint, on plaça la précieuse madone dans une chapelle 
improvisée sur l'emplacement de l’ancienne. C'estencore 
à qu'elle est exposée à la vénération publique. 

La dévotion à Notre-Dame du Perroy a donné lieu, 
vers la fin du xvr° siècle, à une médaille de plomb, 
ayant quatre globules extérieurs, disposés en croix. On 
y voit, du côté principal, la représentation de la statue, 
c'est-à-dire la Vierge couronnée, tenant un sceptre à la 
main droite, et portant sur le bras gauche l'Enfant Jésus, 
aussi couronné, Le revers se compose de la légende sui- 


4. Chronique du prieuré du Perroy, œuvre manuscrite, attribuée 
à l’abbé Doresmieux, dont une copie se trouvait dans la bibliothèque 
de M. Godin, Archiviste du Pas-de-Calais. — F. Lequien, Notice sur 
la ville de Béthune. — A. de Cardevacque, Notice sur le prieuré de 
Notre-Dame du Perroy. — Notre Numismatique béthunoise. 


— 140 — 


vante, en quatre lignes: NOTRE DAME DV PERROY. Cette 
médaille, publiée dans notre Numisinatique béthunoise, a 
été reproduite par M. de Cardevacque dans sa Notice sur 
le Prieuré de Notre-Dame du Perroy. 


Médaille de sainte Wilgeforte 


Cette sainte, honorée en divers lieux comme vierge et 
martyre, et qui figure comme telle dans le Martyrologe . 
romain, est représentée barbue, vêtue d’une longue robe 
et crucifiée, et a reçu dans divers pays plus de quinze 
noms, la plupart bien différents. On l’a appelée, en 
latin: Wilgefordis, Wegelfortis, Liberata, Liberatrix et Eu- 
tropia, et en français : Wülgeforte, Vilgeforde, Milleforte 
et Livrade *. Nous n'avons point à raconter ici les choses 
merveilleuses que les anciens auteurs espagnols et por- : 
tugais ont avancées sur sa légende; il nous suffira dedire 
quelques mots du culte dont elle était l’objet à Béthune. 

Pendant longtemps, des fidèles des environs sont 
venus, principalement en été, servir sainte Wilgeforte, 
qu'ils nommaient Milleforte. Ils l’invoquaient pour la 
santé de leurs enfants qui souffraient de convulsions 


1. Aglaüs Bouvenne, Légende de sainte Wilgeforte. — Le Père 
Cahier a donné, dans ses Caractéristiques des Saints, un long article 
fort curieux sur cette singulière sainte. M. de Linas a publié aussi 
d’intéressants détails sur le même sujet dans le Moniteur de l’Archéo- 
logue et du Collectionneur, année 1866, pages 7 et 11. Voir encore: 
La vie de sainte Wilgeforte d’après les anciennes traditions. Cet 
opuscule de 36 pages, imprimé à Boulogne en 1870, avec l’appro- 
bation épiscopale, a été publié par M. l'abbé Haigneré, pour le 
pèlerinage de sainte Wilgeforte, encore en vigueur à Rinxent, à 
Wissant et en d'autres lieux du diocèse, 


— 141 — 


ou qui étaient rachitiques. On les vit souvent s’agenouiller 
devant un tableau qui représentait en croix une jeune 
fille, vêtue d’une longue robe bleue, et portant les che- 
veux épars, attachée par les bras, les pieds et la ceinture 
avec des cordes à l'instrument de son martyre. Au bas 
du cadre on lisait: Ste Milleforte, p.p. n.Leur prière faite, 
les pieux visiteurs allumaient d'ordinaire des cierges 
ou chandelles devant ce tableau, puis ils se retiraient ‘. 

Nous possédons une médaille que nous attribuons à 
cette piété; c’est le n° 143, pièce octogone du commen- 
cemeut du xvir* siècle, dans le style et de la fabrique 
de celles du pays, frappée sur deux minces feuilles de 
cuivre soudées ensemble. D'un côté, l’on voit en croix 
une femme dont la face virile et barbue est entourée 
d’un nimbe ; légende : S. WILGEFORT*. À. S. IACQ 
MINEVR. L’apôtre saint Jacques le Mineur, nimbé, le- 
nant de la main droite une massue baissée, son symbole 
ordinaire, et de l’autre, un livre ouvert. Nous ignorons 
la raison qui a fait choisir ce sujet. 

Telles sont les médailles religieuses de Béthune. Il en 
a cependant été fabriqué d’autres en cette ville, mais 
elles ne s’y rattachent que par le lieu de fabrication et 
de vente. Nous voulons surtout parler de médailles 


4. M. de Linas, articles cités ci-devant, et renseignements fournis 
obligeamment par feu M. Montbrun, de Béthune, qui a recueilli avec 
soin les documents relatifs à sa ville. 

Avant la récente restauration de l’église, le tableau dont il vient 
d’être question était placé près de la tour, il en a été retiré alors, ce 
qui a mis fin à cette dévotion. 

9. Les Bollandistes ont donné, dans leurs Acta sanclorum, t. v. 
p 299, une gravure de cette sainte, qu’on trouve reproduite dans les 
Caractéristiques des saints. 


— 142 — 


d’étain et de plomb, de forme octogone, aux types si 
connus de saint Roch et de saint Hubert, dont un des 
moules, en pierre de Tournai, a été retrouvé en cette ville 
et recueilli par nous. 


— PRIS — 
IX 


BLANDECQUES 


Médailles de Notre-Dame de Blandecques 


Cet ancien village, dont l’intéressante histoire a été 
esquissée par un auteur audomarois*, est situé dans une 
vallée aussi riche qu’agréable, à trois kilomètres de Saint- 
Omer. Vers la fin du xu° siècle, s’y établissait une abbaye 
de filles de l’ordre de Citeaux, sous l'invocation de sainte 
Colombe ?. Ce monastère réunissait une vingtaine de reli- 
gieuses ; supprimé au commencement de la Révolution, 
il disparut bientôt presque entièrement. Sesarmes étaient: 
Une colombe d'argent avec une petite crosse d'or dans un 
champ de sable. 

La communauté gardait pieusement depuis sa fonda- 
tion deux cierges qui provenaient de la sainte chandelle 


4. Piers, Petites histoires des communes de l'arrondissement de 
Saint-Omer, p. 41. | 
9. Gallia christiana, t. mt, p. 533. 


— 143 — 


d'Arras ; l’un était enfermé dans une élégante châsse 
d'argent, en forme de pyramide ; l’autre était enchâssé 
plus simplement. Deux fois par mois, on allumait sur 
l’autel consacré à Notre-Dame du Joyel, ce dernier cierge 
qui était ainsi exposé à la vénération des fidèles. Mais 
c'était principalement le jour de la Visitation que les pè- 
lerins venaient de toutes parts, en grand nombre, y in- 
voquer Notre-Dame des Ardents, dont on célébrait alors 
la fête. Cette dévotion a produit dans la première moitié 
du xvrr° siècle la médaille suivante. 


144. NOÔTRE D:.D.BLENDEC. La Vierge, couronnée, 
tient une crosse de la main droite, et de l’autre, le cierge 
vénéré. À. Colombe à gauche, dans un écu devant lequel 
est une crosse; c'est, comme on le voit, la reproduction 
des armoiries du couvent. | 

Cette médaille, que nous avons vue dans le médaillier 
de M. Herwyn, de Bergues, a été frappée sur deux feuilles 
d'argent réunies ensuite ; elle est, de chaque côté, en- 
tourée d'un fort grènelis. 


1. Le P. Fatou, Discours sur les prodiges du saint Cierge, — 
À. Terninck, Notre-Dame du Joyel, p. 42. — Sanctuaire de Notre- 
Dame des Ardents, p. 48. 


X 


BLANGY-SUR-TERNOISE 


fMidailles de sainte Berthe 


Le pélerinage de Blangy, l’un des plus anciens et des 
plus célèbres du Pas-de-Calais, devait avoir sa place dans 
notre histoire métallique des dévotions populaires de ce 
département. Donnons ici l'explication de ce culte si re- 
nommé. En 644, naquit au château de Blangy une enfant 
que l'église devait mettre un jour au nombre de ses 
saintes. Berthe, tel était son nom, eut pour père Ricobert, 
comte de Ponthieu, pour mère Ursane, fille d'Ercom- 
bert, roi de Kent, et pour aïeule paternelle sainte Ger- 
trude. abbesse d'Hamage. Elle reçut une éducation chré- 
tienne, qui développa ses éminentes qualités. A l’âge de 
dix-sept ans, elle épousa Sigefroy, de la race des Francs, 
dont elle eut cinq filles. Veuve après vingt ans de ma- 
riage, Berthe renonça au monde et fonda, près de son 
château de Blangy, un monastère qu'elle soumit à la 
 rêgle de saint Benoît, vaste couvent qui compta bientôt 
plus de cinquante religieuses. La sainte fondatrice en 
fut l’abbesse, et y consacra entièrement les quarante 
dernières années de sa vie à la prière, aux mortifications 
et à la plus admirable charité, donnant ainsi à sa com- 


a 


— 145 — 


munauté l'exemple de toutes les vertus. En 723, elle 
quittait la terre pour recevoir la récompense que Dieu 
réserve à ses élus. 

Les filles de Berthe s’appelaient Gertrude, Déotile, 
Emma, Gésa et Gesla. Les deux premières prirent le 
voile avec elle; la troisième épousa Seward, prince 
anglo-saxon ; quant aux deux autres, elles moururent 
en bas âge. | | 

Les chroniques locales rapportent des choses merveil- 
leuses sur la sainte de Blangy. Un Franc de haute origine, 
épris d'une vive passion pour Gertrude, avait formé le 
projet de l'enlever de son monastère ; n'ayant pu y 
réussir, il avait employé par vengeance des moyens 
odieux contre la vénérable Berthe; il en fut puni par 
la perte de la vue. Emma, délaissée par un époux dé- 
pravé, revenait à Blangv, quand elle fut atteinte, dans la 
traversée, d’une fièvre qui l’enleva aussitôt. La pauvre 
mère alla à la rencontre du corps inanimé de sa chère 
enfant qu’elle voulut voir une dernière fois; Emma ouvrit 
les yeux et les referma pour jamais. Les récits qui pré- 
cèdent serviront à expliquer en partie les médailles de 
cet arlicle. 

Sans vouloir faire l’historique du monastère de Blangy, 


4. Dom Charles Roussel, Histoire abrégée de la vie et miracles 
de sainte Berthe, fondatrice, première Abbesse et Patronne de 
l'Abbaye Royale de Blangy en Artois. — Parenty, Histoire de sainte 
Berthe et de l'Abbaye de Blungy. — Bion, Vie de sainte Berthe, ab- 
besse de Blangy-sur-Ternoise. — Sellier, Manuel de dévotion à sainte 
Berthe. — Fromentin, Dévotion à sainte Berthe. — Robert, Pro- 
menade archéologique à Sainte-Berthe. — Van Drival, Légendaire 
de la Morinie. 


40 


— 146 — 


dont il ne reste que des ruines, nous rappellerons cepen- 
dant qu'en 790, une autre Berthe, fille de Charlemagne, 
se choisit ce couvent pour retraite, que l'abbaye fut dé- 
truile, en 882, par les Normarñds, et qu elle fut recons- 
truite, en 1053, par Druon, évêque de Thérouanne ; que 
depuis lors jusqu'à la suppression des ordres monasti- 
ques, elle fut tenue par des religieux bénédictins. Il con- 
vient aussi de dire que, pendant son exil bientôt suivi 
de son martyre, saint Thomas de Cantorbéry avail visite 
cette abbaye royale, où était précieusement conservé 
l’anneau pastoral de l’illustre prélat', et où son nom était 
particuliérement honoré. 

Peu de temps après la mort de sainte Berthe, un mo- 
nument d’une grande munificence avait été élevé dans 
l’église du monastère, pour recevoir sa dépouille mor- 
telle. Des prodiges s'étant opérés sur cette tombe, on y 
vint en foule de toutes parts implorer la sainte de Blangy. 
Le pélerinage s'est perpétué de siècle en siècle, et n'a 
jusqu'ici rien perdu de son éclat et de sa renommée. Le 
trois juillet de chaque année, la précieuse châsse de sainte 
Berthe, déposée sur le maître-auLel de l’église paroissiale, 
est placée dans le chœur, où elle est exposée à la véné- 
ration publique*. 

Nous avons recueilli cinq médailles de ce pèlerinage ; 
elles sont de cuivre jaune, les trois dernières se trouvent 
aussi en argent. La première appartient à la seconde 
moitié du xvrr° siècle ; la seconde, au milieu du siècle 


4. Arnould de Raiïsse, Hierogazophylacium, p. 117. 

2. Malbraneq, De Morinis, t. ut, p. 196. — Dans son Annuaire du 
diocèse d'Arras, paur l’année 1866, M. l'abbé Robitaille a consacré 
un intéressant article au pèlerinage de Blangy. 


di 


derpier, et les trois autres ont été frappées vers HSE 
En voiei la description : 


145. Sainte Berthe, nimbée, en habit . por- 
tant transversalement sa crosse abbatiale, est agenouillée 
à gauche, devant un autel sur lequel elle offre à Dieu ta 
couronne et le sceptre qui rappellent sa royale origine. 
Au-dessus de l'autel, on voit la Vierge assise sur des 
nuages avec l'Enfant Jésus, qui va couronner la noble 
abbesse; Marie et son divin fils sont nimbés. On remarque 
encore des nues d'où sort la tête d’un ange, les lettres 
5.B, initiales de sainte Berthe. et un monastère, À. Trois 
saints nimbés, deux de face et le troisième tourné de leur 
côté. Le premier, vôlu d’une chasuble ornée d'étoiles, et 
{nant un çalica de la main droite, est saint Thomas de 
Cantorbéry, comme l'indiquent ses initiales ST, placées 
en légende près de lui. Le second, couronné, ayant une 
étoile au-dessus de la tête, et sous les pieds les lettres 
S G, est couvert d'une armure avec manteau et large 
collet ; de plus il porte un sceptre à la main droite, Ce 
prince guerrier est le saint Gompbert qui figurera sur la 
médaille suivante, Enfin le troisième, représenté en reli- 
gieux avec un bâton à la main, est saint François de Paule, 
que désignent son costume, son appui et ses initiales S F, 


inscrites près de sa tête. Nous pensons qu'il aura été 


choisi en qualité de patron de l'abbé qui était en exercice, 
quand celte belle et curieuse médaille a été frappée. 


146. Sainte Berthe, à mi- corps, à gauche, en religieuse, 
la têle entourée d une auréole rayonnante, Elle tient 


. 4. On Louve an effet sur la liste des abbés de Blangy, François 
Vollant, de Berville, en 1671, date qui convient bien à notre médailla, 


— 148 — 


sur la main droite une église, emblème de sa fondation 
monastique, et de l’autre, sa crosse. Exergue : S. BER- 
THE. À. S - GONBER., légende gravée à rebours. Roi vu 
à mi-corps et de face ; il porte une longue et forte che- 
velure et une couronne à fleurs de lis ; il a un sceptre à 
la main droite‘. Cette médaille est d’une exécution qui 
laisse beaucoup à désirer, surtout quand on la compare 
avec la précédente. 


147. Sainte Berthe, en pied, pressant contre son cœur 
une croix avec palme, êt tenant sa crosse. Elle est posée 
sur un socle où est inscrit le millésime 723, année de sa 
mort. À sa droile est son monastère ; à sa gauche, son 
château ; en deçà du couvent, une couronne et un sceptre, 
puis le corps étendu d'Emma ; de l’autre côté, trois 
petites figures. Le socle est accosté de deux écussons 
surmontés d’une mitre et d’une crosse, pour désigner 
les armes de l’abbaye et celles du dernier abbé. C’est en 
médaille une réduction modernisée de l’image vendue 
autrefois aux pélerins et mise en tête du livre de Dom 
Charles Roussel”. La légende suivante, en neuf lignes, 
extraite littéralement de la prière mise au bas de cette 
image : SAINTE BERTHE FONDATRICE ET ABBESSE DE 
BLANGY PRIEZ POUR NOUS CONSERVER LA LUMIÈRE 
DE NOS YEUX, AINSI SOIT-IL. 


4. Nous avons vainement cherché dans les hagiographies le nom 
de saint Gombert, dont la longue chevelure semblerait désigner un 
prince de l’époque mérovingienne. Ne serait-ce pas le père ou l’aïeul 
de sainte Berthe ? 

2. Plusieurs images et gravures de sainte Berthe la représentent 
ainsi, notamment une grande lithographie éditée à Hesdin, il y a peu 
d'années. | 


— 149 — 


148. Sujet imité de celui du droit précédent dont il 
ne diffère que dans les détails; l’exécution en est plus 
soignée. À. Même légende. 


149. S° BERTHE PRIEZ POUR NOUS. Même type du 
droit, d'un autre coin. À. S' LIEVIN PRIEZ POUR NOUS. 
Saint Liévin en habits pontificaux, tenant une tenaille à 
la main droite et une crosse de l’autre. C’est la proximité 
du pélerinage de Merck-saint-Liévin qui a fait choisir le 
sujet de ce revers. 

(La suite au prochain volume). 


IT 


._ SÉANCE PUBLIQUE DU 21 AOÛT 1879 


DISCOURS D'OUVERTURE 


par 
M. PARIS 
Président. 


MESSIEURS, 


La séance solennelle que l’Académie tient chaque 
année, d'après une tradition qui remonte à sa fondation 
même, nous procure l'avantage et le plaisir d’avoir ainsi 
des relations suivies avec un public d'élite, ami des 
lettres, des sciences et des arts, de tenir nos concitoyens 
au courant de nos travaux, qui intéressent presque toutes 
ces contrées d'une manière spéciale, de leur permettre 
d'apprécier le résultat de nos concours et de donner 
enfin plus d'éclat à la proclamation des récompenses 
offertes aux lauréats. | 

Le rôle du.président me semble tout tracé : c’est pour 
lui un devoir de signaler les faits principaux qui méritent 
d’être notés dans le cours de notre paisible existence ; 
d'exposer, à grands traits, le programme que rempliront 
ensuite notre secrétaire-général et nos divers rappor- 


— 154 — 


teurs ; en un mot, de vous présenter une sorte d’intro- 
duction qui fasse pressentir ce que sera le livre offert à 
votre curiosité. 

Le mérite d’une préface est la briéveté. Je l'oublierai 
d'autant moins que l’ordre du jour de cette séance est 
aussi complet que varié, et que j'ai hâte de donner la 
parole à mes savants collègues et particulièrement à 
celui qui prend aujourd’hui, d’une manière officielle, sa 
place au milieu de nous. | | 

L'arrivée, hélas ! est précédée d’un départ. Nous avons 
eu la douleur de perdre, dans le cours de l’année, un 
des membres de l’Académie les plus anciens et les plus 
estimés. Pour célébrer dignement la mémoire de M. Mau- 
rice Colin, l’Académie a voulu qu’une notice spéciale re- 
produisit les diverses phases d’une existence si bien 
remplie et dans laquelle les soins donnés à la chose 
publique occupent une si large place. Vous savez, 1nes 
chers collègues, combien les pages dictées à M. le Gentil 
par le sentiment de la justice et de l’amitié ont répondu 
à notre attente. Reproduites dans le prochain volume de 
nos annales, elles montreront que l’Académie se fait un 
devoir de consacrer, après la mort, le souvenir de ceux 
qui, de leur vivant, ont été son honneur. 
= Nous avons vu s’accomplir une autre séparation; mais, 
cette fois, nous n'avons à regretter que l'éloignement 
d'un collaborateur, et nous pouvons nous promettre de 
revoir encore le collègue qui, attiré vers l’Anjou par 
l'amour de la famille et du pays natal, a dit adieu à ses 
chères Archives et aux rives de la Scarpe. M. Richard a 
passé trop peu de temps à Arras pour révéler à ions se 
savoir profond que voilait tant de modestie. Les hommes 


155 — 


studieux qui fréquentent les archives départementales 
n'’oublieront pas avec quels persévérants efforts et quelle 
compétence M. Richard opérait le classement des docu- 
ments précieux qui se rapportent à la période des comtes 
d'Artois, et avec quel aimable empressement, chercheur 
infatigable, il faisait profiter de ses découvertes les ama- 
teurs de travaax historiques.Je serai, j'en suis sûr, l’inter- 
prète de vos désirs, en envoyant d'ici un salut amical à 
M. Richard, devenu membre honoraire de l’Académie, et 
en exprimant de vœu qu'il mette bientôt au jour l'élude 
sur la comtesse Mahaut et l’Artois au xiv° siècle, dont i 
avait rassemblé les matériaux. 

Non contents de chercher à réparer par d'excellents 
choix les pertes que nous avons subies, nous avons 
nommé cette année plusieurs membres correspondants ; 
nous avons étendu nos relations avec les Sociétés savantes 
de la France et de la Belgique. 

_ Le compte-rendu de nos travaux intérieurs vous mon- 
trera combien ont été nombreuseset diverses les lectures 
qui ont rempli nos séances hebdomadaires. 

L'activité fait naïtre l’émulation. Les sujets mis au 
concours pour l’année 1879 ont été traités avec succès. 
Nous couronnerons tout-à-l’heure trois mémoires sur 
les places d'Arras, le glossaire du patois artésien, l’his- 
toire de l'invention et de l’exploitation de la houille dans 
notre département. 

Les beaux-arts ont également répondu à notre appel. 
Ün artiste du Pas-de-Calais, dont je n’ai pas à faire 
l'éloge, l'auteur de la Muse d'André Chenier, de Rebecca 
à la fontaine, de l'abbé Suger, de la Vierge des Ardents, 
du Monument de David d'Angers, a fail hommage à l’Aca- 


— 156 — 


démie du buste de M. le chanoine Parenty, notre 
regretté chancelier. L'Académie reconnaissante, lui a 
accordé le prix annuel, fondé par la libéralité d’un de 
ses membres. 

En résumé, si l'Académie n'a point été exempte 
d'épreuves pendant l’année 1879, nous pouvons nous 
féliciter des résultats dus à sa persévérance et à ses 
encouragements. C'est un nouveau molif pour que votre 
président vous témoigne sa reconnaissance de l'honneur 
que vous lui avez fait, Messieurs, en lui donnant, pour la 
seconde fois, une marque d’estime dont il est fier. J’au- 
rais dû commencer ce discours en vous adressant mes 
remerciments; vous m'excuserez de les avoir réservés 
pour la fin: c’est à un post-scriptum que l’on confie sou- 
vent ce qu'une leltre a de plus intime. 


RAPPORT 


sur les 


TRAVAUX DE L'ANNÉE 
par 
M. le Chanoine E. VAN DRIVAL 
Secrélaire-Général. 


— 20080 ce — 


MESSIEURS, 


L'Académie d'Arras, fondée en 1737, est une des plus 
anciennes Sociétés littéraires de France. Elle compte 
aujourd hui un siècle et demi d'existence, ou bien peu 
s’en faut, c'est-à-dire cent quarante-deux ans. 

Or, si toujours elle a eu le titre de Société littéraire 
d'abord, puis d'Académie des Belles-Lettres, lors de la 
reconnaissance officielle, en 1773, toujours aussi elle a 
joint à la culture des Lettres celle de l'Histoire, et jamais 
elle n’a négligé les Sciences ni les Arts. 

Facilement nous en trouverions la preuve dans les 
cinquante-cinq volumes qu’elle a publiés depuis le com- 
mencement du siècle et dans les volumes non moins 
nombreux et non moins variés, publiés par ceux qui 


— 158 — 


nous précédèrent dans la même carrière, au siècle 
dernier. 

Les Lettres, l'Histoire, les Sciences, les Arts, tel est le 
domaine tout intellectuel de notre Académie, tel est le 
vasle champ qu'elle cultive avec persévérance, sachant 
que le travail continu, opiniâtre, finit toujours par être 
utile et atteint son but tôt ou tard. Si, en particulier, 
pour l’année qui se termine, nous examinons les travaux 
de J’Académie d'Arras, en les classant dans l’ordre qui 
vient d'être indiqué, nous verrons que la vieille Société 
a été fidèle à ses bonnes traditions et qu’elle n’a rien 
oublié de ce qui a fait sa réputation dès son origine. 

En effet, les Lettres ont été représentées assiduement 
dans nos séances hebdomadaires. 

Notreexcellent collègue etancien Président, M. Lecesne, 
ne va-l-il pas, aujourd’hui même, nous donner un nou- 
veau spécimen de ces compositions poétiques, toujours 
faciles et spirituelles, quil nous accorde pourtant avec 
trop de parcimonie? Notre nouveau collègue, M. Ricouart, 
ne va-t-il pas, lui aussi, nous donner l'appréciation très- 
littéraire d’une œuvre de littérature sui generis? Et déjà 
plus d’une fois ne nous a-t-il pas donné la preuve de ses 
habitudes littéraires, en remerciant, dans la langue des 
poètes, la Société qui l'a admis dans son sein, avant de 
lui parler, comme il va le faire tout-à-l’heure, dans la 
langue des prosateurs, dans laquelle, pas plus que dans 
l’autre, il n’a pas à faire ses preuves. Et d'ailleurs sa tra- 
duction en vers de Manilius, couronnée ici même l'an 
dernier, étaitassurément une œuvre littéraire au premier 
chef. | | 

Plusieurs fois, dans nos séances hebdomadaires, je 


_ 459 — 


vous ai entretenus du drame religieux au moÿyen-âge, 
sujet sur lequel on fait aujourd’hui beaucoup de recher- 
ches qui produisent des découvertes curieuses. Plus sou- 
. vent je vous ai communiqué, parce qu'ainsi vous l'avez 
voulu, une série d’études sur l’origine du langage, étude 
à laquelle je me livre dépuis de longues années, mais 
que j'aime à laisser de temps en temps dormir, selon le 
précepte d'Horace, afin de ne donner que des choses 
certaines et bien éprouvées, lorsqu'il s'agira de les 
publier. 

La Littérature proprement dite, votre premier objet, 
n'est donc pas négligée chez vous. 

L'Histoire, il faut le dire ici, l'emporte de beaucoup 
sur les Lettres, et c'est là surtout la branche privilégiée 
dans l’Académie d'Arras. L'histoire d'Arras atlire très- 
parliculièrement l'attention de plusieurs d’entre vous, et 
c'est avec le plus grand soin que vous en recherchez 
sans cesse les faits, avec les preuves originelles de ces 
faits. Dans cet ordre d'idées, M. le Gentil nous a donné 
plus d’une Monographie. Il nous a également donné des 
Biographies qui sont aussi de l’histoire, notamment celle 
de M. Maurice Colin. M. Lecesne a continué ses éludes 
intéressantes sur Arras, et il nous a fait connaître dans 
ses détails un des épisodes les plus émouvants de l’his- 
toire de cette cité, la Vauderie à Arras. 

M. Proyart nous a présenté une série de recherches 
sur Raoul de Neuville, évêque d'Arras: c’est avec un 
véritable intérêt que l’on lira, dans nos Mémoires, cette 
Biographie d'un homme qui a rendu de notables ser- 
vices à ce pays, !l y a sept siècles. 

Vous avez accueilli avec un plaisir tout particulier les 


— 160 — 


communications d'un homme studieux qui n’est plus 
notre Collègue habituel, et qui pendant son séjour dans 
notre Artois avait travaillé à l’histoire d'Arras avec le 
zèle d’un Artésien. M. Richard nous a donné l’histoire 
des Maladreries de nos contrées, il nous a donné une 
foule de renseignements historiques puisés aux sources; 
il nous prépare la publication d’un cartulaire et de 
pièces imporlantes concernant l’Artois. Il nous promet 
de continuer, comme Membre honoraire, de collaborer 
assiduement à nos travaux: c'est là une promesse que 
nous nous plaisons à enregistrer ici et dont nous lui 
donnons acte. 

M. Paul Lecesne et plusieurs autres Collègues ont 
ajouté à cet ensemble de documents un assez bon nom- 
bre d’autres documents dans les séances hebdomadaires 
toujours si bien remplies. L'histoire a donc été par vous 
cultivée avec le soin qu’elle mérite, et c’est avec empres- 
sement que tout à l’heure encore, vous allez couronner 
une nouvelle œuvre d'histoire, qui touche d’une façon 
intime à la ville d'Arras. 

Vous allez aussi couronner une œuvre de science: c’est 
dire que les travaux scientifiques ne vous sont pas 
étrangers. De temps en temps, en effet, vous recevez 
des communications de ceux d’entre nous qui s'occupent 
de science, et toujours ces communications sont ac- 
cueillies avec l'intérêt le plus vif. 

L'art, il faut le dire, a pour vous encore plus 
d’attraits, surtout quand l’art est uni à l’érudition. Dans 
cet ordre de recherches, vous avez distingué, comme 
c'était justice, les profondes et persévérantes études de 
M. de Linas sur les origines de l’orfévrerie cloisonnée. 


# 


— 161 — 


Vous avez voulu lire et relire ses deux volumes qui ont 
vu le jour; vous attendez avec impatience la suite de ces 
savants travaux, et vous êtes heureux quand l'auteur 
vous donne, ce qu'il fait souvent, la primeur de ses 
découvertes. C’est avec bonheur que vous applaudissez 
à ses succès. 

M. Richard vous a donné des inventaires d'objets 
d'art, extraits des Archives du département : il a nota- 
blement augmenté la liste déjà riche de nos titres et 
ouvert la voie à de nouvelles et heureuses investigations. 

C’est avec joie que vous avez accueilli certaines décou- 
vertes, dues en partie à M. Richard et en partie à votre 
Secrétaire-général, sur un sujet Atrébate entre tous, les 
Tapisseries d'Arras. Jaloux de conserver à Arras une de 
ses gloires les plus positives, j'ai voulu prendre date et 
publier, dès maintenant, des pièces d'archives qui cons- 
tatent le plein exercice de l'art des tapisseries à Arras, 
dès l’an 1312; prochainement j'espère, pièces en mains, 
prouver une origine encore plus reculée. 

J'ai, d'ailleurs, fourni toule une tradition non inter- 
rompue de pièces d'archives pour tout le xiv° siècle et 
pour tout le xv°. Avec d'autres documents que nous 
tenons en réserve, nous ferons une seconde édition des 
Tapisseries d'Arras, et nous maintiendrons à notre cité 
artistique la gloire qui lui est due. 

Plusieurs découvertes, soit artistiques, soit archéolo- 


giques, ont été signalées et décrites dans vos séances. 


Ici encore nous avons à mentionner les recherches de 
M. le Gentil sur les décorations murales dans la ville 
d'Arras, les antiquités gallo-romaines de M. Terninck, 
surtout sa curieuse maison située vis-à-vis de la porte 


1i 


— 162 — 


Maïtre-Adam, maison qui n'a pas encore livré tous ses 
secrets. Enfin, nous avons l'importante pierre tombale 
du xru* siècle, trouvée près de la porte Saint-Michel. 

M. Grandguillaume, lui, ne s'occupe pas d'art à la 
manière de ses Collègues. Il en fait bel et bien, et c’est 
avec une générosité sans égale qu'il meuble notre salle 
de séance, transformée en galerie splendide de monu- 
ments d'Arras, et des portraits, au grand complet, de 
tous les Membres de notre Société. 

Sous une autre forme, l’art se présente encore au 
milieu de nous, et ici nous n'avons pas le droit de 
nommer l'auteur premier de tous ces bustes, qui vien- 
nent successivement orner nos salles de séance, biblio- 
thèque et autres pièces de notre belle installation. 

L'initiative artistique est grande ici, c’est bien évident, 
et ce n’est pas de ce côté non plus que l’on pourra repro- 
cher à notre Académie d’avoir dégénéré. 

Le travail considérable de M. G. de Hauteclocque sur 
l’enseignement dans le Pas-de-Calais, avant 1789, (touche 
à plusieurs catégories de sujets. Voilà pourquoi nous le 
citons après lesautres, .en faisant remarquer l'importance 
de ces recherches et le grand jour qu’elles projettent sur 
l’état ancien de la France, dans ce qui forme aujourd'hui 
le Pas-de-Calais. Ai-je tout dit, Messieurs, ai-je tout passé 
en revue? Evidemment ceci n'est qu'un sommaire, une 
esquisse incomplète de vos travaux. 

Une Société quise réunit régulièrement une fois chaque 
semaine, qui à chaque fois des sujets de lecture, des 
dissertations, des études, est une Société pleine d’acti- 
vilé et de vie. 

Aussi entrelenez-vous avec les autres Sociétés fran- 


— 163 — 


çaises et étrangères des relations habituelles, qui vont 
même se développant : aussi vos concours sont-ils suivis 
et vos questions deviennent-elles l’objet d’études sé- 
rieuses. La quantité des Mémoires envoyés n’est pas 
encombrante, sans doute; mais la qualité est fort remar- 
quable, ce qui vaut mieux. Les Rapports qui vont être 
lus tout-à-l'heure prouveront, d’ailleurs, l'importance de 
ces CONCOUrs. | | 
En résumé, Messieurs et chers Collègues, l’année aca- 
démique a été bonne pour nous : dans le calme de nos 
réunions, nous avons échangé beaucoup d'idées utiles, 
nous avons appris bon nombre de faits intéressant l'his- 
toire et l’art de notre pays. Il nous semble qu'il y a, dans 
ce calme de l’étude, des éléments d’un bonheur vrai, de 
jouissances élevées : nous désirons fort que ce goût de 
l'étude se répande un peu plus, qu'il entre dans les 
usages ordinaires et ramène .aux idées justes et aux 
grandes pensées. : 


DISCOURS DE RÉCEPTION 


de 


M. RICOUART 


Pourquoi faut-il, MEssreurs, que les débuls d’un Mem- 
bre récemment admis dans le sein de votre Compagnie 
soient toujours attristés par les regrets et ne doivent de 
se produire qu’au passage de la mort dans vos rangs! En 
cette inexorable nécessité, bien que l'éloge du Confrère 
dont nous déplorons la perte ait droit à la première 
place, de par la tradition académique, dans le discours 
du récipiendaire, j'avoue mon impuissance à faire assaut 
d’éloquence et de vérité avec ceux d'entre vous, Mes- 
sieurs, qui ont écrit ou prononcé le panégyrique de 
M. Colin; qui ont dépeint sous ses trois aspects, le juge 
intègre, le commerçant distingué, l'administrateur sou- 
cieux des intérêts de ses concitoyens, et représenté à nos 
yeux la grande figure de cet échevin des anciens temps, 
véritable incarnation de la commune bourgeoise et de la 
ghilde marchande. Permettez-moi, toutefois, de tirer 


— 165 — 


vanité d'avoir obtenu le fauteuil d’un homme désormais 
inscrit dans les fastes de la ville d'Arras, et de pouvoir, 
grâce à vos suffrages, m'appliquer ce que dit Virgile, 
quand de l'arbre toujours jeune et toujours entier, 
emblême des immortelles Académies, le fils d’Anchise, 
maître du rameau fatidique, voit surgir à sa place une 
branche nouvelle, 

Pourtant mes titres à votre bienveillance se bornent à 
peu de choses: un seul travail, un essai de traduction 
fidèle, voilà tout mon actif littéraire. Si je me permets 
de réveiller ainsi vos souvenirs en cette occasion, ce 
n'est pas, je vous prie de le croire, pour imiter ce paysan 
naïf qui ne savait qu'une prière, mais pour développer 
l'idée qui m'a dirigé dans cette étude et faire admettre 
sans hésitation que traduire un auteur latin, c’est faire 
une œuvre utile. 

Il faut savoir le latin... Je ne veux pas soutenir, Mes- 
sieurs, que l’on doive relourner aux errements d’un 
autre âge. L'ancienne Université avait inscrit dans ses 
commandements les dialogues en latin, les plaidoyers 
et les répliques, les thèses soutenues publiquement sur 
quelque subtilité théologique ou littéraire. L'école était 
un petit Forum, où s’exerçaient à la parole les futures 
illustrations de la chaire et du barreau. Mais l’orateur ou 
le poëte recousait péniblement, à l'aide d'un fil grossier, 
les harmonieux débris pillés dans les modèles antiques, 
el, sur un sujet moderne, jelait une parure de lambeaux 
bariolés ; de cetle imitation servile, que peut-il sortir 
d'utilement pratique ? C'est qu'il ne suffit pas, pour con- 
naître une langue, de feuilleter le dictionnaire jusqu’à en 
user les pages, de frapper à toutes les portes de Rome ou 


— 166 — 


d'Athènes, pour y trouver le verbe sous tous ses modes 
et le mot avec toutes sus désinences ; en vain l'on jette- 
rait la sonde à toute profondeur dans les ruines de la 
Babel grammalicale, si l’on négligeait, enfoui sous cette 
avalanche de racines et de finales, ce qui échappe à toute 
investigation mécanique, le génie de la langue, le carac-. 
tère du peuple qui l’a parlée, les besoins physiques qui 
exigeaient de lui Lelle façon de dire, les émotions morales 
qui amenaient telle manière de penser; en un mot, la 
vérité historique et la conception philosophique. Sachons 
donc le latin, mais en reléguant dans le musée des sou- 
venirs la langue parlée de l'ingénieuse scolaslique, 
cortentons-nous de traduire. 

Ce n'est qu’en tournant sans relâche ces pages si for- 
tement nourries des écrivains de Rome, en les disséquant 
à fond pour pénétrer dans leurs plus intimes pensées, en 
épuisant, selon l'expression de Rabelais, leur substanti- 
fique moëlle, qu'on parvient à s'en approprier les 
richesses, au point de s’ea faire gloire comme si on les 
avait produites. Ainsi outillés, instructi, dirait un Romain, 
les partisans des bonnes éludes, les admirateurs de 
l'antiquité remonteront par la traduction jusqu'aux plus 
lointaines origines, fixeront le sens propre du mot fran- 
çais, en détermineront l'orthographe. La connaissance 
du latin sera leur point de repère à travers les brous- 
säilles du néologisme scientifique et leur refuge contre 
les assauts du naturalisme littéraire. Dans celte lulte 
contre l’envahissement de la langue du grand siècle par 
celle de la Cour des Miracles, c’est dans l'étude des 
anciens qu'il faut puiser les moyens de défense. Voici 
donc la double tâche imposée à tous ceux qu’intéressent 


-— 167 — 


la pureté et la richesse de notre langue: d’une part, 
Sauvegarder les sources: de l'autre, s'imprégner assez 
des traditions Pour Soutenir notre littérature sur ces 
éclalants sommets, où l'ont conduite nos grands écri- 
Vains. Ce travail, raisonné maintenant et logiquement 
entrepris, s'est accompli d’une façon inconsciente en 
même lemps que Progressive à toutes les époques de 
notre histoire, 


el les Druides, l’histoire et la religion des ancêtres, 
cherchérent un refuge dans les îles de l'Océan armoricain 
€t, deux cents ans aprés l'occupation, toute la Gaule était 
Romaine. La langue gauloise, qui n'avait pas de monu- 
ments écrils, revêtit promptement la forme latine, même 
dans les parties du territoire les plus éloignées des villes, 
grâce à la multiplicité des habitations isolées et, selon 
les habitudes romaines, disséminées sur toute la pro- 


du peuple vaincu. plus vive, plus alerte, pleine de Syn- 
Copes et d’abréviations, et Secouant, comme l'avait fait 
R plèbe polygloite de la capitale de l'empire, le joug 
Ss'aMmmalical de la terminaison multiple. Ce latin, rural 
OU rustique, ainsi que le nommait saint Eloy dans sa 
Premiêre homélie, détrôna le langase du vainqueur 
4sSez rapidement pour que Grégoire de Tours déplorât 
amérement que Son auditoire ne Comprit plus le latin 


— 168 — 


savant du prédicateur. Dés lors il fallut traduire, c’est-à- 
dire qu’il fut nécessaire d'établir entre le leitré et le vul- 
gaire un échange d'idées, et cet échange eut pour résul- 
tat immédiat de maintenir le Romain officiel dans un état 
de pureté relative et d'empêcher le rustique de se déla- 
cher complétement du rameau latin. Tous ceux que la 
haine du servage ou du joug des Centurions attirait dans 
les monastères, toutes les intelligences qui s'éveillaient 
encore au déclin de la gloire impériale, accomplirent 
alors cette œuvre merveilleuse qui éclaire les débuts de 
notre histoire, livrérent ce combat toujours renaissant 
de la civilisation contre la barbarie et sauvèrent de la 
ruine les derniers monuments de la puissance romaine, 
noyée sous le flot germain, je veux dire les chefs-d'œuvre 
de seshistoriens, de ses orateurs, de ses poètes, monu- 
ments plus impérissables que les colonnes de ses temples 
et les statues de ses empereurs. Viennent les Francs : le 
scribe du monastère sert d’interprète à ces nouveaux 
convertis, qui vont infuser dans les veines du peuple 
gallo-romain, épuisées par quatre siècles de servitude 
fiscale, un sang demeuré jeune et généreux dans la 
liberté du sol germanique TL'évêquetraduit en théotisque 
ou tudesque les homélies des Pères de l'Eglise, comme 
il l’a fait en rustique pour le payen autochtone, et bien- 
tôt l'élément nouveau de la nation désapprend, comme 
le Gaulois, l’idiôme de ses pères et se fond insensible- 
ment dans la masse des vaincus courbée sous la framée. 
Le Normand, pirate et vagabond, plus tard envahisseur 
et conquérant, doit aux mêmes nécessités {dirai-je aux 
mêmes lois?) de subir l'influence de ces abbayes, qu'il a 
tant de fois dépouillées et dévastées, et de devenir Fran- 


— 169 — 


çais, avec cette docilité à recevoir l'empreinte, à s’assi- 
miler la langue et les usages étrangers qui caractérise les 
peuples du Nord. Aussi, dès avant la guerre de Cent-Ans, 
la langue française est sortie de cette longue enfance. où 
l'a guidée avec vigueur et sollicitude le latin nourricier. 
La douce Berthe, la langue d’Oil, avait bien pu abandon- 
ner le lit royal à l’altière Constance, la langue d'Oc; mais 
cette invasion passagère des troubadours méridionaux 
avait laissé derrière elle des traces moins profondes que 
les razzias orthodoxes des chevaiiers du Nord dans les 
domaines du comte de Toulouse : quelques joyaux de 
plus parmi ceux que les croisades avaient recueillis dans 
leur course à travers l'Orient, à Chypre, à Bysance, à 
Venise. Joiaville n'épèle plus. Le latin usé par ses efforts 
prolongés, déformé par le contact de la langue vulgaire, 
rentre dans les abbayes et dans les Universités pour n’en 
plus sortir qu'au jour des cérémonies religieuses et des 
tournois de la scolastique. L’Anglais peut occuper pen- 
dant cent ans nos plus belles provinces, et, dans Notr- 
Dame, poser la couronne de France sur le front de son 
jeune roi: que nous lègue-t-il en disparaissant devant 
l'épée de bois de la Pucelle? Les termes de raillerie dont 
on salue sa retraite. 

Mais voici que le xv° siècle, trainant à grand’peine l’atti- 
rail vermoulu du moyen-âge, corrompu par cet amour du 
bien-être qui naît de la réaction des grandes souffrances, 
énervé par la débauche, refuge de ceux dont la vie doit 
être courte, sent tout à coup souffler, à travers les Alpes, 
un vent régénérateur de la pensée. C’est la Renaissance, 
c'est la résurrection de ces grands morts, que la Rome 
des Papes nomme avec respect Tacitus, Cicéro, Virgilus. 


— 170 — 


Un enthousiasme inoui s'empare de toute une génération 
prête à vivre et qui trouve, à portée de sa main, l’arme de 
Guttemberg, fourbie à l'approche de la bataille, arme 
destinée à éclairer la terre du reflet éblouissant de sa lame. 
Les langues, qu'on disait mortes, vinrent enseigner aux 
intelligents que le monde avait dormi, et renouer après 
un long rêve la chaine si longtemps rouillée des tradi- 
Lions ; et l’on s’aperçut que le latin n'avait pas tout donné 
de ses richesses. « Notre langue, s’écrie l’ardent Du Bellay, 
est encore à fleurir; cela certainement, non pour le défaut 
de sa nature, aussi apte à engendrer que les autres, mais 
par la faute de ceux qui l’ont eue en garde; tant s’en fant 
qu'elle ait apporté tout le fruit qu’elle pourrait bien pro- 
duire, mais ils ne l'ont cultivée à suffisance. » Or quel 
moyen indique-t-il de la rendre féconde ? « La traduction 
et limitation des sacrées reliques de l’antiquité ». « Notre 
langage, » dit-il, « sinon tant copieux qu'il pourra bien 
être, est pour le moins fidèle interprète de tous les autres. 
Toutes fois, ce Lant louable labeur de traduire ne me 
semble moyen unique et suffisant. Faisons comme les 
Romains, imitant les meilleurs auteurs grecs, se transfor- 
mant en eux, les dévorant et, après les avoir bien di- 
gérés, les converlissant en sang et nourriture. » 

Aïnsi, vous le voyez, Messieurs, le latin (pour continuer 
la métaphore employée par Du Bellay), le latin: a servi 
de tuteur à la langue française, la Pléiade a rendu l'arbre 
touffu ; que Malherbe vienne l’émonder, et rien n'arrête 
plus le lettréqui, désormais, abrité par ses rameaux ver. 
doyants, est libre, sous cette ombre protectrice, de se 
transporter en esprit au milieu des civilisations antiques. 

Mais si le précepte du poèle Angevin, appliqué en ce 


— 171 — 


qu’il a de sage aux littératures du xvu° et du xvrrr° siècle, 
nous a donné le Cid, Iphigénie et Mérope : si l'imitation 
de Shakespeare et de Schiller a révolutionné le monde 
classique ; si enfin, le génie de Loibnitz a profondément 
sillonné le champ de la philosophie livré aux ronces des 
d'Holbach el des Helvétius ; la traduction, dans sa signi- 
fication absolue, ne reste pas à la hauteur de ces résultats 
immenses. Hélas ! c’est en jetant un coup d'œil sur le 
style et-la manière des traducteurs d'alors qu’on est iné- 
vitablement amené à trouver trop peu sévère encore la 
sentence italienne: « Traduttore, traditore. » S'il est juste 
d’avouer, avec l’un des écrivains les plus spirituels de 
notre littérature contemporaine (Alphonse Daudet) qu'à 
traänsvaser une langue dans une autre, on en perd 
toujours quelques gouttes, il est impossible de garder 
son sérieux devant le travestissement hideux et plaisant 
tout à la fois dont on affublait Juvénal ou Virgile. Sur la 
scène, accommodés à la mode du jour, les Pompée, les 
Agésilas, étalaient avec complaisance les rubans déme- 
surés de leur canons et les boucles soyeuses de leurs 
perruques à la fraaçaise. Dans le livre, les vers du poète 
épique ou satirique, sont traduits en langage précieux, 
en dépit du sens véritable et de ce que la critique appelle 
la couleur locale. Ainsi, par exemple, l’affranchi de 
Domitien, « jam princeps equitum » est colonel-général 
de la cavalerie ; et la femme de Serranus, dictateur, 
« agréablement surprise, vient en hâte le revêtir des 
habits de sa nouvelle dignité. » 


Quem trepida ante boves dictatorem induit uxor. 


Jusqu'aux premières heures du xix° siècle, il fut de bon 


— 172 — 


goût de voiler pudiquement les horreurs de Shakespeare 
ou de mettre dans la bouche des héros d'Homère les inter- 
minables périodes qui ont illustré Bitaubé. Pour cela 
faire, on avait la périphrase, qui remplacçait avantageu- 
sement la nature, et sauvegardait la susceptibilité ner- 
veuse des beaux diseurs de l’époque ; en un mot, on 
s'efforçait d’étouffer sous un air d’épinette le hennisse- 
ment superbe de Pégase victorieux. 

Mais alors il y eut révolte chez le bon sens. Du sein de 
la seconde Renaissance, au parcours de cette nouvelle 
marche en avant, qui entraina les esprits vers la liberté 
et la vérité, sortit un vibrant appel à la fidélité ‘dans la 
traduction. Chateaubriand qui venait de lever, comme un 
signal, au milieu de la décadence classique, sa plume 
indépendante ct hardie jusqu'au paradoxe, se mit à la 
tête de ce mouvement insurrectionnel, en l’exagérant, 
sans doule, comme il arrive toujours lorsque, sans avoir 
conscience de sa force, on a pris un trop vigoureux élan, 
mais en laissant derrière lui la route désormais tracée. 
Ce fut à qui sonderait les auteurs anciens; dans les camps, 
dans les ambassades, dans ioutes les classes de la société, 
on travailla avec une mémorable ardeur à cette œuvre de 
restauration ; un roi, connu par ses goûts littéraires, 
semble, en traduisant Horace, avoir obéi à l'impulsion 
générale non moins qu'aux tendances d’un esprit enclin 
à la satire. Et l’on découvrit tout un monde inconnu 
jusque-là, perdu qu'il était dans les brouillards de la 
routine. Talma chassa enfin de la scène tragique les 
Grecs à talons rouges et les Romains à panaches, dont 
le costume respectu:usement conservé par la tradition 
du vestiaire, perpétuait devant la rampe le travestisse- 


— 173 — 


ment du Roi-Soleil. Et l’on vit enfin le traducteur repro- 
duire exactement la pensée, imiter dans la mesure du 
possible le style de l'original, construire la phrase sur le 
plan du modèle, maïntenir à chaque mot sa place, à 
chaque trait son rayon. On posa les règles absolues de ce 
travail et l’oa se tint pour dite cette maxime fondamen- 
tale : « Que les erreurs de l’auteur ne doivent pas plus 
être rectifiées que supprimées. » C'est un portrait dont le 
peintre retrace la ressemblance sans en dissimuler les 
défauts sous le fard de la flatterie. L'histoire doit-elle 
nous cacher les hontes de Tibère ou les extravagances 
de Caligula! Que deviendrait-elle si, comme cerlaines 
traductions, elle était expurgée « à l’usage du Dauphin, » 
ou d’une société imprégnée d’une préciosité pudibonde ! 
De même qu’en toute page de l’histoire le plus infime 
détail, quand il sert à la cause de la vérité, ne doit, en 
aucune circonstance, être sciemment omis, de peur que 
que nous ne saisissions pas toules les faces des hommes 
et tous les aspects des civilisations ; de même, dans une 
traduction, la copie fidèle et littérale du poëte el de 
l'écrivain originaux, doil montrer au lecteur dans le loin- 
tain des âges, Tibulle ou Properce semant ses vers avec 
les roses dans la coupe de la débauche romaine, on 
Tyrtée, l’Athénien, animant au combat les cilovens trem- 
blants de Lacédémone, découronnés de leur auréole de 
bravoure. 

Vous plaidez, me direz vous, une cause banale. En 
effet, elle est banale ; mais loutes les grandes vérités le 
sont, ct cependant elles trouvent loujours des champions 
qui, sans être obligés de les défendre, s’éprennent 
d'amour pour leur drapeau. Pour moi, je serai satisfait si 


— 174 — 


j'ai fait admettre comme indiscutables ces deux axiomeas 
qui serviront de conclusions à la thèse que je soutiens. 
Grâce à la traduction, la littérature française. éclairée sur 
le mouvement intellectuel des nations éteintes ou vi- 
vantes, a pu s’assimiler, selon le précepte de Du Bellay, 
la substance des auteurs anciens ou modernes, sans rien 
perdre toutefois de son originalité ni de sa grandeur ; 
grâce à la traduction, la langue française, fille de la latine, 
a traversé les siècles en s’enrichissant des dépouilles de 
l'étranger conquérant, sans rien abandonner de sa natio- 
nalité-n1 de son génie. 

Toutes deux semblent avoir obéi à une loi parallèle, à 
la loi physiologique qui règle la perpéluité des races. 
Cette loi veut que les hommes de race guerrière qui 
s'implantent par les armes sur le sol envahi, s'ils sont 
inférieurs en civilisation aux vaincus, n'en deviennent 
réellement les maîtres que par leur alliance avec les 
femmes de la race assujettie. Or, il est formellement établi 
que le premier né de ces unions ressemble à la mère, et 
qu'après quelques générations, le type maternel est le 
seul qui demeure, reproduisant à travers les siècles les 
traits originels des premiers possesseurs de la terre. C'est 
ainsi que l'Austrasien victorieux, disparait devant la 
Neustrie soumise ; c’est ainsi que par les caractères du 
visage et par le génie de la langue, nous sommes encore, 
et nous serons toujours, les fils des Gallo-Romains. 


RÉPONSE 


DISCOURS DE RÉCEPTION 


DE M. RICOUART 


Par M. PARIS, Président 


MONSIEUR, 


Il y a une année à peine, l’Académie d'Arras décernait 
dans cette même salle, « à titre de récompense excep- 
tionnelle, » une médaille d’or à l’auteur de la traduction 
en vers des Astronomiques de Manilius,'et vous éliez pro- 
clamé lauréat. Une distinction plus haute vous était 
réservée : l'Académie vous a admis dans ses rangs. Je 
me félicite, Monsieur, après avoir applaudi, comme pré- 
sident de cette docte compagnie, à votre premier succés, 
d'être appelé par les devoirs de ma charge à vous sou- 
haiter publiquement la bienvenue. 

Vous aviez droit personnellement à un excellent 
accueil. Vous vous êtes ménagé des sympathies plus 


— 176 — 


vives encore en vous plaçant sous le patronage de 
l'homme si distingué dont vous venez d'évoquer le 
souvenir. L'Académie vous sait gré d’avoir offert à 
M. Maurice Colin, dont vous occupez le fauteuil, un tribut 
d'hommages mérité. Elle trouvera de son côté, croyez- 
le bien, quelque adoucissement à son deuil, en donnant 
au collègue qu'elle regrette un successeur aussi respec- 
tueux de sa mémoire. 

Sans avoir connu M. Maurice Colin dans toute la vi- 
gueur de son activité, vous avez été, Monsieur, mieux 
placé que beaucoup d’autres pour apprécier, sous cer- 
tains rapports, les éminentes qualités qu'il a révélées 
dans les fonctions aussi importantes que variées dont 
l'avait investi la confiance de ses concitoyens, vous qui 
collaborez à l'administration des affaires de la cité, 
que M. Colin a dirigées avec tant de fermeté et d'intelli- 
gence; vous qui, suivant sa trace, savez accorder aux 
livres une partie des loisirs d’une retraite studieuse. 
Vous retrouverez ici le vivant souvenir de M. Maurice 
Colin. Les traditions qu'il a laissées peuvent servir d’exem- 
ple aux meilleurs. | 

Votre modestie se demande quels titres vous désignaient 
à la bienveillance de l'Académie. Nous n'avions que 
l'embarras du choix : le savant s’unit en vous au lettré; 
les connaissances que vous avez acquises en chimie, en 
histoire naturelle, vous permettaient de prendre place 
à côté de ceux de nos collègues qui honorent à la fois 
l’Académie et notre école de médecine et de pharmacie. 
Mais vous avez su attirer notre attention sur des travaux 
d’une autre nature, et vous présentez à votre aclif un vo- 
lume de cinq mille vers, que vous appelez, en restant 


— 177 — 


lrop au-dessous de la vérité, « un essai de traduction 
fidèle. » Après avoir couronné l’œuvre, l’Académie aurait 
pu dire à l'ouvrier: Non bis in idem; elle a mieux aimé 
vous appliquer cette autre maxime: Bis repetita placent, 
et manifester d'une manière éclatante quel prix elle 
attache à une œuvre purement littéraire que l’amour de 
l'art vous a seul porté à entreprendre. 

Quel autre attrait que celui des beaux vers a pu vous 
déterminer, en effet, à consacrer aux Astronomica de 
Manilius «ce travail patient, fruit de tant de veilles » (1)? 
Ce n’est pas la renommée de votre poète qui vous a attiré. 
On ne sait presque rien de sa vie. Simple affranchi, comme 
Térence, Syrien d’origine, avait-il pour prénom Marcus ou 
Antiochus? Étail-il le même personnage que ce Manilius 
qui, par ordre d’Auguste,dressa dans le Champ de Mars 
cet obélisque de soixante-dix pieds de hauteur, dont 
l'ombre, se projetant sur des lames de bronze incrustées 
dans le marbre, servait à marquer les heures? Les érudits 
ont agité ces questions, sans les résoudre. L'œuvre même 
de Manilius — je parle du poème et non de l’obélisque — 
a été perdue pendant quatorze siècles, et peut-être est-ce 
le temps écoulé avant la découverte du manuscrit, trouvé 
au xv° siècle par le Florentin Le Pogge, qui a servi Mani- 
lius beaucoup mieux que ne l'aurait fait une comparaison 
moins tardive avec les poèmes didactiques de Lucrèce et 
de Virgile. 

Le sujet traité par l’auteur des Astronomiques n’était 
pas fait non plus pour vous séduire. Scaliger, il est vrai, 
qui publia trois éditions de Manilius, a pu dire, avec l’en- 


(1) Rapport de M. Wicquot. 
42 


ie — | | 


thousiasme d’un érudit et à une époque où l'astrologie 
était encore en faveur : « Ecoutons le cygne ; rien de plus 
divin, de plus abondant, de plus sérieux, de plus agréable 
que ses chants; à part quelques redondances, l'ouvrage 
est parfait. » Votre jugement a trop de mesure pour que 
vous n'ayez pas rabattu de cet éloge : « Sauf en quelques 
épisodes où l’on retrouve avec bonheur l'élégance de 
Virgile et l'abondance d'Ovide, le poème, hérissé de 
détails techniques, de calculs assez mal déduits, de théo- 
rèmes astrologiques, où l'inanité du but se confond avec 
l'obscurité de la démonstration, n'offre au traducteur 
qu'une séried'obstacles presqu’insurmontables. » J'adhère 
d'autant plus volontiers à votre appréciation, Monsieur, 
que jai éprouvé cette même impression, lorsque j'ai lu 
pour la première fois, convié par vous, les cinq livres 
des Astronomiques. En parcourant le monde sidéral de 
Manilius, égaré que j'étais dans les combinaisons puériles 
du poête astrologue, je me suis rappelé le Fiat lux d’une 
puissance créatrice bien différente de son Univers-Dieu, 
et les merveilleuses découvertes à l’aide desquelles la 
science moderne nous a permis de plonger un regard sûr 
dans l'infini des cieux et de répéter avec le psalmiste : 
Cœli enarrant gloriam Dei. 

Manilius est du siècle d’Auguste ; il nous l’apprend lui- 
même, avec cette hyperbole de flatterie dont les poètes 
ont usé trop souvent et usent encore envers le maitre, 
qu'il s'appelle Peuple ou César : 


Toi seul dans mes efforts pourras me soutenir, 
César, de la patrie et le prince et le père, 

Qui sous d’augustes lois régis la terre entière, 

Qui, Dieu comme ton père, as le droit d’aspirer 
À ce Ciel qu’il habite. .… 


.— 1979 — 


Menilius appartient à l’âge d’or de la littérature : la 
pureté de son style révèle un contemporain de Virgile et 
d'Horace. Vous avez été séduit, en vous attachant à ses 
pas, par les charmes de la muse antique. Je soupeonñe 
aussi que les Astronomiques vous offraient le prestige de 
l'inconnu. Porté par vos études de prédilection vers la 
poésie didactique, vous auriez peut-être craint de grossir 
le nombre des traducteurs des Géorgiques et du poème 
de la Nature? Votre traduction en vers de Manilius, la 
première qui ait été tentée, présente au contraire la saveur 
de l'originalité. 


Il nous faut du nouveau. 


Je n'ai point à faire l’éloge de votre traduclion. Un 
rapporteur autorisé s’est acquitté de cette tâche: il me 
suffira de rappeler ici les conclusions de M. Wicquot. 

Après quelques réserves au sujet des libertés que vous 
vous êtes permises, autorisé par nos poètes contempo- 
rains, envers le classique hexamètre, notre collègue 
conSlatait « que vous n'aviez pas trop présumé de vos 
forpes ; que vous étiez sorti de la lutte avec un véritable 
succès. — Je ne crains pas de l'affirmer, poursuivait-il, ce 
sera un vrai plaisir pour ceux qui ne peuvent lire le Lexte 
latin de trouver une traduction qui leur donne si exacte- 
ment l’idée, sans leur faire perdre la musique des vers.» 

L'Académie, en consacrant aujourd’hui ce jugement 
avec plus de solennité, vous montre qu’un seul travail bien 
fait l'emporte, à ses yeux, sur de nombreux essais. Elle 
vous associe, en quelque sorte, à la renommée de votre 
Manilius. À ceux qui seraient tentés d’objecter que vos 
titres ne datent que d'hier, elle rappellerait cette anec- 


— 180 — 


dote: c'était en 1772; le traducteur des Géorgiques venait 
d’être élu à l’Académie. Le duc de Richelieu remontrait 
au roi que Delille était bien jeune pour mériter un tel 
honneur. Il oubliait que, sans autre titre que sa qualité 
de grand seigneur, il avait été nommé académicien au 
même âge. « Trop jeune, s’écria un prélat, enthousiasle 
des Géorgiques ! Delille trop jeune! Il a près de deux 
mille ans ; il a l’âge de Virgile. » 

C'est ainsi que l’Académie d'Arras vous accorde, toute 
proportion gardée, la faveur que rencontra sur un plus 
grand théâtre le traducteur de Virgile, et elle répond 
ainsi d'avance à la question que vous avez posée dans le 
discours auquel le public — un public de connaisseurs — 
vient d’applaudir si vivement : traduire un auteur latin, 
est-ce faire une œuvre utile? Oui, certes, Monsieur, 
quand on le traduit comme vous. 

Oui, c'est faire une œuvre utile que de bien traduire 
un de ces auteurs, un de ces maîtres, que les lettrés de 
tous les pays appellent, avec un sentiment d’admiration 
qui tient du culle: les Anciens ! Nous ne saurions trop 
tôt nous habituer à vivre dans le commerce familier des 
grands écrivains d'Athènes et de Rome. L'étude appro- 
fondie des modèles inimitables que nous a laissés l’anti- 
quité nous initiera à l'amour du beau. Cette étude n’est 
pas seulement un hommage rendu au génie des temps 
reculés ; «c’est à la fois, dit un critique, une féconde ins- 
piration du génie qui veut briller à son tour. » Virgile 
et Cicéron doivent beaucoup de leurs perfections à 
l’étude d'Homère et de Démosthène. Racine, Corneille et 
Boileau méditaient jour et nuit les chefs-d'œuvre anti- 
ques. Fénélon semble avoir emprunté à ces temps glo- 


— 181 — 


rieux les formes séduisantes de son langage. Bossuet, 
qui fut si original dans sa puissance, étudia pourlant le 
secrel de l'éloquence antique. 

Sachons donc le latin, dirai-je avec vous, Monsieur; et 
j ajouterai, sachons aussi le grec. Que l'étude des langues 
anciennes reste la base de noire enseignement national. 
Avant d'appliquer les facultés de l'esprit à un but spécial 
et déterminé, développons ces facultés à l'unisson; for- 
mons des hommes. Pour atteindre ce but, les méthodes 
peuvent varier ; elles ne sont que des instruments. Avec 
vous, Monsieur, je constate que l'habitude de traduire 
une langue nous en révèle les secrets, et que l'écrivain 
qui se livre à cet exercice acquiert ainsi deux qualités 
inappréciables : la justesse des termes et la sobriété de 
l'expression. Qu'on n'objecte pas qu’un pareil travail 
convient seulement à l'apprenti qui est encore sur les 
bancs. L'auteur des Essais a bien pu dire : « Ami lecteur, 
ie suis moy mesme la matière de mon livre.» Montaigne 
est le compagnon assidu des anciens. Les textes grecs el 
latins abondent sous sa plume et prêtent à sa verve gau- 
loise, en se fondant dans l'unité du style, une saveur 
inexprimable. — Boileau n'a-t-il pas traduit le Traité du 
Sublime? Racine n'a-t-il pas mis en français les hymnes 
de l’église et des fragments du Banquet de Platon et de la 
Poétique d’Aristote ? Corneille n'’a-t-il pas consacré les 
derniers accents de sa muse à rendre en vers dignes de 
l'auteur du Cid le livre de l’Imitation? 

Nous sommes d'accord pour reconnaitre l’ulilité de la 
traduction; vous me permettrez cependant, Monsieur, 
de me montrer moins sévère que vous pour le système 
d'enseignement des langues suivi par l’Université de 


— 182 —: 


Francé. Les hommes qui s'étaient formés à cétte école ne 
se contentaient pas de « recoudre péniblement, à l’aide 
d’un fil grossier, les harmonieux débris pillés dans les mo- 
dèles antiques.» Cujas et Pothier, Bossuet et le bon Rollin, 
tant d'autres encore élaient certes des latinistes que les 
écrivains de l’ancienne Rome n'auraient pas désavoués. 
Si l’on apprenait autrefois à écrire, à parler en latin aussi 
aisément qu'en français, c’est que le latin était alors la 
langue de la science, la langue universelle. Il n’en est plus 
ainsi, et certains procédés d'enseignement nous semblent 
surännés. Avant de les proscrire d’une manière absolue, 
attendons que les nouveaux programmes aient fait leurs 
preuves. Heureux, si nos fils se présentént aussi bien 
armés que l’élaient nos devanciers, dans cette lutte que 
vous les conviez à soutenir, au hôm du bon goût, contre 
la substitution « du jargon de la Cour des Miracles au lan- 
gage du grand siècle. » 

Je ne vous suivrai pas, Monsieur, dans les recherches 
curieuses auxquelles vous vous liv'ez pour établir quelle 
a été, aux diverses époques de notre hisloire, l'influence 
des langues anciennes sur la littérature française : vous 
venez de nous montrer combien ces questions, traitées 
souvent, et à des points de vue divers, par les maitres 
de la critique, vous sont familières. Je conclurai vo- 
lontiers avec vous — et avec du Bellay — que le latin 
a servi constamment de tuteur à la langue française. 
J'aime mieux retenir, pendant quelques instants en- 
core, l'attention de l’Académie sur les réflexions 
_ judicieuses que vous consacrez à comparer les divers 
systèmes de traduction. Ce sera le moyen de ne pas 
perdre de vue le traducteur de Manilius, en examinant 


— 183 — 

ses théories, après avoir loué l'application qu’il en a 
faile. 

Traduire, ce n’est pas seulement substituer des mots 
à d'autres mots ; le travail est plus complexe; il consiste 
à faire passer le génie d’une langue dans une autre. 

C'est en se mettant à l’œuvre qu’on en constate les 
difcullés. Les différents idiômes n’ont pas les mêmes 
mots, les mêmies lours de phrase pour rendre les mêmes 
idées, et il est souvent impossible de trouver à un terme 
un terme équivalent. Ces obstacles matériels ne sont rien 
en comparaison de ceux que l'on rencontre, lorsqu'on 
s'attache à conserver à l'original sa physionomie propre. 

Avec une grande justesse de vues, vous mettez en pré- 
sence les deux systèmes opposés auxquels les traduc- 
teurs se sont attachés, selon qu'ils préféraient ou l’esprit 
ou la lettre. — Rendons, avant tout, le sentiment général 
de l’œuvre, disait-on avant notre siècle, et oubliant que 
traduire n’est pas créer, on fit longtemps parler et penser 
en français Homère et Virgile, Dante et Shakespeare. 
C'est à ce genre de traduction que Montesquieu pensait 
assurément, lorsqu'il disait :« Les traductions sont comme 
ces monnaies de cuivre qui ont bien la même valeur 
qu'uue pièce d'or, et même sont d’un plus grand usage 
pour le peuple; mais elles sont toujours faibles et de 
mauvais aloi. » On à renoncé, de nos jours, à défigurer 
les auleurs pour les faire mieux connaitre, et la repro- 
duction exacte du modèle est devenue la règle des tra- 
ducteurs. Mais le poëte l’a dit : 


Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire. 


Nous avons vu des traducteurs n’avoir qu'un scrupule: 


— 184 — 


la substitution d’un mot à un mot; nous en avons vu 
pousser l’amour de la ressemblance littérale jusqu'à 
calquer le rythme du vers et à en contrefaire le méca- 
nisme. [ls oubliaient ce qu'a si bien dit Villemain : « Le 
mot à mot, quand il contrarie le cours naturel de notre 
langue, est la pire des traductions. » 

Entre ces deux théories, placées à deux pôles opposés, 
vous faites, Monsieur, un choix fort sage. — Vous ne 
prenez parti ni pour Bitaubé paraphrasant Homère, ni 
pour Chateaubriand décalquant Milton; vous n’admettez 
ni travestissement de l'original, ni servilisme littéral ; 
vous préférez vous établir dans ces régions tempérées 
qu'habite la vérité. 

Je vous félicite une dernière fois, Monsieur, de l’appli- 
cation heureuse que vous avez faite d’une méthode dé- 
pourvue de tout esprit de système. Le traducteur de 
Manilius, devenu membre de l’Académie d’Arras, se sou- 
viendra, nous l’espérons, qu'il a débuté par un coup de 
maitre, et que succès oblige. 


RAPPORT 


sur Île 


CONCOURS D'HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE 


par 


M. LE CHANOINE E. VAN DRIVAL 


 Secrélaire-Général. 


——#t——— 


MESSIEURS, 


Une question très-intéressante pour la ville d'Arras a 
été inscrite au Programme de vos concours dès le mois 
de juillet 1873 : elle se formulait ainsi: 


Rechercher ce qui concerne l'historique des deux Places 
d'Arras, les décrire, en juger le style, en dire la prove- 
nance. Joindre des dessins au travail écrit. 


Cette queslion était si difficile, si complexe, qu'il fallait 
du temps, beaucoup de temps pour la résoudre. C’est 
ainsi que vous en avez jugé, en remettant avec une persé- 
vérance très-significative, la même question au concours 
depuis six ans. C'était dire aux concurrents: travaillez 
avec soin, l’Académie compte sur vous. 

Votre confiance a été juslifiée, Messieurs, et nous avons 
reçu, en réponse à cette question, non pas un volume, 
mais une série de volumes, tout un grand travail composé 


— 186 — 


de quatre manuscrits reliés, in-4°, et d’un immense album 
aussi relié, grand in-folio, comprenant 181 planches, 
partie en photographies, partie en dessins originaux pris 
sur les monuments, partie en reproduction d’anciens 
dessins, dont quelques-uns extrêmement rares, le tout 
complété par plusieurs grands plans. 

La question a donc été examinée avec tout le soin 
possible et traitée d’une manière :rès-sérieuse. J'ajoute, 
au nom de votre Commission, qu'elle a été bien traitée. 

Nous ferons tout de suite nos réserves au sujel de 
l'archéologie, trop négligée, comme nous le dirons plus 
tard ; mais aux points de vue historique et descriptif, le 
travail est absolument complet. 

Dans votre question, il y avait trois points à traiter : 
l'historique des Places, le style et sa provenance, la des- 
cription. L'auteur du travail considérable dont j'ai à 
vous rendre compte a suivi cet ordre d'idées : il a con- 
sacré un volume à la première partie, un volume à la 
seconde, deux volumes et l’album à la troisième. 

Dans le premier volume, Hisloire des Places, il re- 
monte à l’origine de l’Abbaye, montre le grand monas- 
tère de Saint-Vaast formant peu à peu la ville actuelle 
d'Arras, lui donnant littéralement l’existence. Comme 
dès le xu° siècle, dans notre Guimann, elles sont dési- 
gnées sous les noms de Grand-Marchéet de Petit-Marché, 
l’auteur disserte sur l’idée même de marché, examine les 
conditions de l’xyopa comme celles du Forum, pose des 
principes qui vont lui être utiles pour la dissertation du 
second volume, et relate ensuite l’histoire de toutes les 
constructions que l’on voyait sur les deux places d'Arras. 

C'est ainsi qu’il note l’hôtel de ville et ce qui l’a pré- 


— 187 — 


cédé, la halle échevigale; c’est ainsi qu'il pärle de la 
Sainte-Chandelle, de la Maison-Rouge, des Pierres du 
grand-marché et de celles du petit, de l’énigmatique 
Pollaine, de la croix de grès, des perrons, puits, etc. etc. 
Il donne les noms des maisons principales dès le 
xr1° siècle, puis il insère en entier, textuellement, les 
ordonnances et placards concernant l’ordre de bâtir 
partout sans lacune, de bâtir les façades en pierres ou 
briques, enfin de suivre un plan uniforme. Nous avons 
ainsi maintenant tout ce que l’on pourrait appeler la 
législation spéciale des Places d'Arras, depuis les pre- 
miers règlements de l'Echevinage jusqu'aux édits de 
Charles-Quint et de Philippe IT. 

[es faits dont ces Places ont élé les témoins sont 
ensuite racontés. Ils forment une histoire d'Arras depuis 
le xrrr° siècle jusqu'au xrxe. On assisie aux fêtes de la 
Sainte Vierge et aux tournois ; on est témoin des trou- 
bles nombreux dont Arras fut la victime, et on a devant 
les yeux le lugubre spectacle de bien des exécutions 
capitales. Puis ce sont des théâtres d'opérateurs en plein 
vent qui viennent solliciter votre attention ; puis brillent 
les feux de joie, que remplacent bientôt les feux d’arti- 
fices : aucun fait n'est oublié, et l’on peut suivre ainsi 
l'histoire animée d'Arras sur ses Places, aux temps de la 
mêère de Baudouin de Lille, commé à ceux d'Albert et 
Isabelle, jusqu'à 1864 et 1876, dernières solennités dont 
ces Places furent témoins. | 

Je ne vous ai donné qu'une idée assez incomplète de 
ce premier volume ; mais il me tarde d'en venir au 
second, qui traite une question considérable, la plus im- 
poftante du travail, 


— 188 — 


D'où vient le style des Places d'Arras ? 

Cette question, posée par vous il y a six ans, Messieurs, 
a fait travailler un peu partout: elle est en effet nouvelle 
et assez obscure, digne des efforts de ceux qui aiment à 
connaître la raison des choses. C'est ainsi qu'il y a deux 
ans, à la Sorbonne, M. l'abbé Dehaisnes s’est occupé de 
l'architecture des Places d'Arras et a nié l'influence espa- 
gnole qu'on leur attribuait dans la lradilion populaire. 
Selon M. Dehaisnes, les Espagnols ne sont pour rien 
dans ce style : pas un seul des noms de constructeurs 
et d'architectes qu’il a relevés avec soin et dont il a 
dressé des listes, non pas seulement pour Arras, mais 
pour le Nord de la France et les Pays-Bas, pas un de ces 
noms n'est espagnol, tous sont des noms d'habitants du 
pays. M. Dehaïsnes croit que ce style vient d'Italie, de 
Rome, et que l’église du Gesù est l’archétvpe de ce 
genre de constructions. Reprenant la question et l’exami- 
nant avec le plus grand soin, l’auteur du présent travail 
commence par la diviser en deux sections parfaitement 
logiques. Il y a, dit-il, deux éléments dans ce sujet: les 
galeries et les façades. C'est quand on aura obtenu une 
juste idée des unes et des autres qu'il sera possible de 
décider de l’ensemble. 

D'où viennent les galeries ? D'où viennent les façades ? 

Les galeries, si nous en jugeons par les extraits des 
mémoriaux, actes de ventes, papiers anciens, et aussi 
tableaux anciens, les galeries n’ont pas toujours été des 
arcades en pierres comme nous les voyons aujourd'hui. 
Les galeries étaient formées par des poutres, par des 
piliers en bois, soutenant l'avancée ou saillie des façades 
également construites en bois. À quoi servaient ces gale- 


— 189 — 


ries en bois? Evidemment elles servaient à exposer en 
vente les marchandises, à recevoir les acheteurs, à leur 
permettre même de circuler à l'abri de la pluie. On voit la 
même chose dans mainte rue de mainte autre ville, au 
moyen-âge. Les façades des maisons avec pignons sur 
rue avançaient à partir de l'étage et surplombaient très- 
souvent au-dessus de la chaussée, rétrécissant encore 
les rues étroites et fournissant, sur les marchés, une 
sorte de bazar, sans lacune ni interruption. 

Il ne faut donc pas aller en Espagne ou dansles autres 
pays chauds chercher une raison à ces déambulatoires. 
À Arras, il n’a jamais été nécessaire de chercher habi- 
tuellement un refuge contre la chaleur : le refuge contre 
la pluie, pour les marchandises et pour lesacheteurs, est 
beaucoup plus explicable et plus vrai. Si donc l’admira- 
ble série de galeries qui commence à la rue Saint-Géry 
pour suivre la Petite-Place, la rue de la Taillerie, la 
Grande-Place, la Porte Saint-Michel, et revenir par l’autre 
côté de la Grande-Place, de la rue de la Taillerie et de 
la Petite-Place, à l’ancien marché de la Garance, qui 
rappelle nos Tapisseries d'Arras; si, dis-je, cette admi- 
rable galerie rappelle un immense atrium ou cloître 
abbatial, elle n’a rien de commun avec les abris contre 
le soleil, que l'on cherche, du reste, sans les trouver 
clairement, soit en Espagne, soit en Italie. 

Quant aux façades, leur mode de construction et de 
décoration vient pour beaucoup, selon l’auteur, des 
divers matériaux qui ont successivement servi à les 
construire. | 

Avec le bois et la brique, on a eu les pas de moineaux 
ou les redents; avec la pierre, on a pu facilement avoir 


— 190 — 


les courbes et les volutes ou consoles qui oni succédé 
aux redents. À l’aide de dessins authentiques et com- 
parés avec beaucoup de sagacité, l'auteur explique sa 
pensée et la précise d’une façon très-claire. Puis il aborde 
la question essentielle des dates. 

Dès 1531, il trouve à Gand, dans la Maison des Bate- 
liers, un exemple de ces pignons à lignes ondulées ; il 
en suil l’histoire à Bruges et ailleurs, aux dates de 1535, 
1541, 1550, etc. et il prouve, selon nous, d’une manière 
formelle, l’existence de ce style en Flandre, avant la 
naissance de la Compagnie de Jésus, et par conséquent 
avant la construction de l’église du Gesù à Rome. Il faut 
donc renoncer à voir ici l'influence des Jésuites, puisque 
les Jésuites n’existaient pas, et comme d'autre part 
l'Espagne est mise hors de cause, nous en revenons 
purement et simplement à notre propre invention locale, 
ce qui est plus digne d'ailleurs, plus patriotique et plus 
vrai. On ne comprend rien vraiment à cette habitude 
invétérée d'aller toujours demander aux étrangers la 
raison d’être de nos coutumes. Depuis deux siècles on 
s’écrie : 

Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? 


Et pourtant c'est à qui ie premier se soumeltra au 
joug: soyons de notre pays, Soyons nous-mêmes, nous 
avons assez de titres pour avoir droit à l’existence indé- 
pendante, autonome, en fail d'art et d'initiative, dans 
ces pays du Nord qui ont donné naissance à tant de 
grandes institutions, nous pouvons, sans fausse modestie, 
revendiquer hardiment notre place au soleil de l’histoire: 
car l'histoire est belle pour nous. 


— 191 — 


Pardon, Messieurs, de ces considérations, qui naissent 
d'ailleurs des entrailles mêmes du sujet : elles nous mé- 
nent droit à la conclusion de l’auteur, qui réclame pour 
l'architecture de nos Places une origine purement locale, 
flamande. Si on peut, à la rigueur, conserver à ce style 
quelque chose du mot Espagnol, c’est seulement en ce 
sens que ces constructions ont eu lieu principalement 
pendant que les Espagnols, comme Ducs de Bourgogne, 
gouvernalent ce pays. | 

Je n'ai pu que résumer la thèse de l’auteur, en regret- 
tant qu'il n'ait pas donné son appréciation de ce style au 
point de vue de l'esthétique et je me hâte de passer à la 
troisième partie de son travail. 

Ici, Messieurs, je suis effrayé et je recule devant ma 
tâche. Comment analyser deux gros in-4° et un in-folio 
de 181 planches. Comment suivre, un à un, l'inventaire 
de 72 maisons à 182 colonnes pour la Grande-Place, de 
28 maisons et 54 colonnes pour la rue de la Taillerie, de 
57 maisons et 109 colonnes pour la Petite-Place ? Tout y 
est, dans cet inventaire. On donne les propriétaires suc- 
cessifs, on entre dans les maisons, on examine les cours, 
où souvent on trouve les détails les plus curieux, détails 
qui ne sont pas assez examinés sous le rapport de l'ar- 
chéologie, lacune qui devra être nécessairement com- 
blée lors de l'impression. On descend aussi partout dans 
les caves et les boves, et là encore on rencontre des 
chapiteaux, des arcades, des voûtes, des escaliers, des 
galeries et de vastes pièces. Tout cela est décrit, tout 
cela est dessiné, tout cela devra être repris en sous- 
œuvre au point de vue de l'art. 

Sous cette seule réserve, à laquelle il sera facile à 


— 192 — 


l’auteur de faire droit, nous pensons, Messieurs, que 
rarement on a envoyé à l’Académie un travail aussi bien 
preparé, aussi complet. Nous vous avons demandé pour 
l’auteur la plus grande récompense possible, et vous avez 
accueilli la demande de votre Commission en lui décer- 
nant une grande médaille d’or. 


RAPPORT 


sur le 


CONCOURS DES SCIENCES 
M. PF. LECESNE 


Membre résidant. 


MESSIEURS, 


L'Académie avait, dès l’année 1877, inséré parmi les 
Sujets mis au Concours, l'Histoire de l'invention et de 
l'exploitation de la houille dans le département du Pas-de- 
Calais. 

L'année 1878 s’est écoulée sans qu'aucun mémoire 
vous ail été adressé. Cette année, un travail et, je me hâte 
de le constater, un bon travail vous a été présenté. 

Est-ce à dire cependant qu'il réponde entièrement à 
la question que vous avez posée ? L'auteur lui-même ne 
l'a pas pensé ; il déclare n’apporter qu'une petite pierre 
formée de quelques notes pouvant servir à l’histoire de la 
houille dans la petite patrie, c'est-à-dire dans le départe- 
ment du Pas-de-Calais. 

48 


— 194 — 


L'on doit regretter cette modestie, car les quelques 
citations, écrites en lête de ces notes, indiquent un esprit 
judicieux, qui nous eût certainement donné une œuvre 
sérieuse et complète. Nous n’en apporterons qu’une 
preuve: c'est le choix heureux des deux épigraphes qui 
résument pour ainsi dire l’histoire de la houille jusqu'à 
n0S Jours. 

La première est ainsi conçue : Le lüthranthrax est une 
matière lerreuse qui brie comme du charbon ; on la trouve 
en Ligurie et en Elide, sur la route d'Olympie, au-delà des 
montagnes, elle est parfois utilisée par les forgerons. 

À cette phrase de Théophraste (Traité des prerres), 
l'auteur ajoute cette parole de Robert Peel: « L'avenir est 
au pays qui produira le plus de houille. » 

Les cinq ligues de Théophraste sont-elles, comme 
le dit l'auteur, toute l'histoire de la houille au temps 
d'Alexandre (1)? | 

Nous n'oserions l'affirmer, car il a dù exister quelque 
part, au beau temps de la scolastique. un savant docteur, 
pour établir qu'Aristote avait parlé du charbon de 


terre” (2). 


(4) Théophraste se sert aussi des mots AypouË yauwdns. 


(2) Les Chinois, depuis un temps immémorial, exploitent la houille 
comme un combustible ordinaire et lappliquent à l'industrie: les 
magnifiques porcelaines de la Chine, les très-anciennes surtout, sont 
cuites au charbon de terre; dans certaines contrées, les habitants 
font descendre des sondes pour extraire le gaz inflammable que les 
couches distillent et s’en servent comme d’un moyen de chauffage ou 
d'éclairage. Partout existent des approvisionnements de charbon. 
Ainsi, à Pékin, dans un jardin de la ville rouge, au nord du palais 
impérial, on voit une montagne, en forme de pyramide, qui domine 
de plus de cent mètres la ville entière : c’est un gigantesque amas 


— 195 — 


Des Grecs, passons aux Romains. On peut croire qu'ils 
ont connu la houille. En effet, dans ces provinces si 
belles des deux Belgiques et des deux Germanies, plus 
romaines, aux derniers temps de l’Empire, que Rome, de- 
venue le refuge des aventuriers du monde entier, le 
charbon se rencontre à fleur de lerre. En Provence, le 
canal romain de Fréjus coupait tout le terrain carboni- 
fère de l’Estérel; dans la Loire, l’aqueduc romain qui 
amenait à Lyon les eaux du Gier, passait à travers les. 
gisements de charbon. Est-il à supposer que l'esprit pra- 
tique et positif des dominateurs du monde ait laissé celte 
richesse sans emploi ? Cependant la plus grande confusion 
règne dans les textes. S'il est certain que l'anthracite, le 
lignite, la tourbe, le bitume et la houille, ont été brülés 
par les Romains, ‘il est facile de voir qu'ils n'ont jamais 
su les distinguer. Pline, entre autres, rapporte que le 
bitume se présente sous deux aspects : d’abord dans cer- 
lains endroits, sous forme de limon {{imus), comme celui 
que l’on extrait du lac de Judée ; ensuite, dans d’autres, 
sous forme de terre f{lerra), comme celui que l'on trouve 
aux environs de Sidon. Les deux espèces, dit-il, s’épais- 
sissent et forment une matière solide et inflammable (1). 


de houüle, de plus d'un million de mètres cubes. Suivant la tradi- 
tion, un empereur le fit élever pour fournir le chauffage de la ville, 
au cas où, par suite d’un long siège, le combustible viendrait à man- 
quer. Cette montagne, recouverte de terre végétale, plantée de pins 
et ornée de pavillons élégants, a servi longtemps de but pour les 
exercices des archers de la garde et des candidats au brevet de man- 
darins militaires. 

(1) Pline, liv.xxxv, Lt, 1. Etbituminis vicinaest naturaf{sulphuris/: 
alibi Limus, alibi terra ; limus J'udeæ lucu, ut diximus, emergens, 
Lerra in Syria circu Sidonem oppidum maritimum.Spissanturh&æc 
utraque et in densitatem coeunt. 


— 196 — 


Le bitume terreux de Sidon paraît ressembler beaucoup 
à la houille; mais le même auteur emploie aussi le mot 
terra pour désigner la tourbe, dont se servaient les 
Chauques, peuple de l'embouchure du Rhin (1). 

Quoiqu'il en soit des Grecs et des Romains, on parait 
d'accord pour admettre que c’est à Liège, vers le xn° siècle, 
que fut trouvé le combustible qui devait renouveler le 
monde. 

L'an 1198 (?\, sous l’épiscopat d'Albert de Cuick, un 
vietllard respectable par ses cheveux blancs et par sa 
barbe, couvert d’un habit blanc, passant dans une rue 
appelé Coché, rencontra un forgeron qui était à son tra- 
vail, et, en homme poli, lui souhaita le bonjour et un 
gros gain. — « Quel gain, bon vieillard, lui répondit le 
forgeron, voulez-vous que je fasse ; tout ce que je tire 
de mon travail, je l'emploie, ou peu s’en faut, à acheter 
du charbon de bois, que l’on nomme en français de cokis; 
ainsi mon gain ne peut être que très-pelit. » — «Mon ami, 
lui répartit le vieillard, allez au Mont-des-Moines, vous 
y trouverez à découvert des veines noires d’une terre 
très-propre à votre métier » ; après quoi le vieillard dis- 


(1) Pline, liv. Xv1, 1, 3 : Captumque manibus lutum ventis magis 
quam sole siccantes, terr& cibos et rigentia septentrione viscera sua 
urunt. Pline ajoute : « Voilà des nations, qui, si elles sont vaincues 
aujourd’hui par le peuple romain, disent qu’on les réduit en escla- 
vage et hœ gentes, si vincuntur hodiè à populo romano, servire se 
dicunt. 

(2) D’après Brustème. 1200, d’après la chronique de Tongres et celle 
de Liège. Voir du reste, sur toute cette légende, les Délices du pays de 
Liège, t. 1, page 267 et suiv. Elle aurait été empruntée par Brustème 
à Gilles d'Orval, en Chapeauville, t. 11, p.191. 


— 197 — 


parut. Le forgeron courut chercher de la terre et se con- 
vainquit par l’expérience que le vieillard avait dit vrai. 
Transporté de joie, il alla en faire part à ses voisins; 
ceux-ci s'élant à leur tour assurés de la vérité, levèrent 
la premiére couche de terrain et, après avoir creusé pen- 
dant quelque temps, rencontrèrent des pierres de la même 
couleur, trés-propres de leur nature à faire du feu. Le for- 
geron s'appelait Hulloz Plenneval. C’est de son nom que le 
charbon se serait appelé Houille, Hulla, Hylla, Hyllae. 

La simplicité de cette légende lui donne un certain 
caractère de vérité : le merveilleux ne manqua pas de s’y 
ajouter. Nul doute, a-t-on dit, que le vieillard ne fût un 
ange. Mais l’érudition ne respecte rien. D'abord, un 
savant (1) prétendit que les copistes avaient pris un mot 
pour un autre, angelus, qu'on lit réellement dans les 
manuscrits [our anglus (2); le messager du Ciel n'aurait 
donc été, tout simplement, qu’un voyageur anglais. Le 
même savant ajoute que les mines de charbon étaient 
déjà exploitées en Angleterre en 1145. Celle opinion 
excita les colères des Liégeois, qui écrivirent beaucoup 
de pages pour la réfuter, et prouver qu'ils avaient sur 
les Anglais l’antériorité de la découverte. D'un autre côté, 
la gloire d'avoir donné son nom au charbon ne resta 
pas à Hulloz Plenneval: l'existence de ce forgeron fut 
même révoquée en doute, et Ducange soutint que le mot 
houille venait d’un mot saxon, qui signifiait charbon (3). 


(1) Le P. Bouillé. 

(2} Ce serait, retourné, le jeu de mot du Pape, qui, voyant à Rome 
des esclaves anglais (angli], aurait dit: « Ce seront des anges 
{ungeli), » et envoya des missionnaires en Bretagne. 

(3) M. Littré, Dictionnaire, mot houille, dit que l’étymologie est 
inconnue. : 


=, ON: 


La houille forma bientôt la richesse du pays de Liège, 
qui, pendant plusieurs siècles, en exporta des quantités 
cohsidérables dans les provinces voisines. Une juridiction 
presque aussi ancienne que l'invention du charbon, les 
jurés du charbonnage, était chargée de décider les con- 
testations en cetle matière, et l’on connaît un édit de 
l'Empereur Maximilien IT, daté du 21 juillet 1571, qui a 
minutieusement réglé la procédure et l'appel des sen- 
tences de ce tribunal. 

Il est assez curieux de rapprocher cet édit de la légis- 
lation de Henri IT, sur la matière. L'auteur de notre mé- 
moire rappelle que les docteurs de la Sorbonne condam- 
nérent le noir combustible, pour ses vapeurs sulfureuses el 
malignes. Au premier abord, on serait tenté de reléguer 
cette décision dans le domaine de la fantaisie; cependant 
son existence est parfaitement attestée dans un ouvrage 
sur la houille, qui est devenu classique et populaire. (1). 

Malheureusement, cetle sentence amena un édit du 
roi, faisant défense aux maréchaux-ferrants d'employer 
le charbon de terre, sous neine de prison ct d'amende. 

Deux cents ans plus tard, les Parisiens n’élaient pas en- 
core revenus de leurs préventions. En effet, dans l’année 
1774, vu la rareté et la cherté du bois, on fit venir à Paris, 
aux ports Saint-Vaast et de l'Ecole, quelques bateaux de 
charbon qui se débitèrent assez bien. Cette fois, les mé- 
decins faisant partie des Académies de médecine el des 
sciences, donnèrent un avis favorable. Mais bientôt l'on 
remit en avant la malignité des vapeurs du charbon : on 
l’accusa de vicier l'air, de jaunir le linge, de provoquer 


(1) La Houille, p. 53, par Tissandier. 


— 199 — 


les maladies de poitrine et surtout, crime impardon- 
nable, d'altérer la fraicheur des visages féminins. 

Aujourd'hui on ne proscrit plus la houille, on la pro- 
clame le pain de l’industrie. 

L'auteur du Mémoire fait remarquer que le monde 
entier produit deux cents millions de tonnes de houille, 
la moitié fournie par l’Anglelerre, près de dix-sept mil- 
lions par la France: Londres seul, brüle en un mois le 
chargement d’une flotte de plus de six cents vaisseaux. 
Si l’on pense, ajoule-t-il, que celte houille se transforme 


en travail dans nos machines à vapeur, qu'elle nous 
fournit le gaz d'éclairage, des sels ammoniacaux, les 
splendides couleurs d’aniline, de l'acide phénique, de la 
benzine, qu'elle réduit le fer dans les hauts-fourneaux, 
qu'elle fait courir les locomotives sur nos voies ferrées, 
nous répétons avec Robert Peel : Oui, l'avenir est au pays 
qui produira le plus de houille! 

Nos pères avaient su apprécier tous les bienfaits de 
celle richesse minérale. A la fin du xvn° siécle, cent 
vingt fosses élaient déjà exploitées par cinq mille ou- 
vriers, aux environs de Mons. Aussi, lorsque le traité de 
Ryswick, en 1697, vint rattacher à la France la portion 
du Hainaut où n’existaient pas de mines de houille, ce 
fut, parmi les habitants, un deuil général. Menacés de 
manquer de cette précieuse ressource, ils se livrèrent à 
d’actives explorations, mais pendant plus de vingt ans, 
elles ne produisirent que des résultats négatifs ; enfin, le 
3 février 1720, on alteignit le charbon à Fresne, le bassin 
du Non était trouvé. 

La découverte était duc à l'indomptable énergie d'un 
homme qui est resté célèbre, Jacques, V'* Désandrouin. 


—- 200 — 


Dès 1716, il avait formé une Société pour la recherche 
de la houille; ni l’insuccès des premiers sondages, niles 
destructions successives de sept fosses par les inonda- 
tions, ni des procès incessants ne parvinrent à le décou- 
rager et, en 1757, il fonda la Compagnie d’Anzin. La 
famille Désandrouin fut l’âme de cette puissante associa- 
tion durant tout le xvin* siècle et le commencement du 
xix° ; elle la dirigea avec une sûreté de vues étonnante, 
malgré l'invasion autrichienne, le pillage des magasins, 
l'abandon des travaux, la confiscation prononcée par le 
gouvernement révolutionnaire, et la reconstitua lorsque 
l'Etat se décida à rendre les fosses, moyennant deux 
millions et demi de livres. Le nom de Désandrouin n’est 
pas inconnu en Artois: Jacques fut seigneur de Bucquoy, 
dans la seconde moitié du xvirr° siècle, et un Désandrouin 
constitua par son Lestament du 8 thermidor an 1x, sur 
une terre à Hardinghem, une rente de 1,200 francs, au 
capital de 24,000 francs, en faveur des ouvriers des fosses 
et verreries d'Hardinghem, avec faculté d’en distraire 
une partie au profit des pauvres de la commune. Cette 
rente vient seulement d'être remboursée par les nou- 
veaux propriétaires du domaine, en vertu d’un arrêté du 
Conseil de Préfecture, du 15 février 1879. | 

À côté de la famille Désandrouin, il est juste de citer 
celle des Mathieu, qui l’accompagna sur le territoire 
français. Le sondage de Fresne fut commencé en 1716, 
par Jacques Mathieu, ingénieur de Charleroy. Après la 
réussite des explorations, ce fut lui qui, aidé de ses fils, 
inventa, en 1720, le cuvelage avec picotage, pour la re- 
tenue des eaux des niveaux, et qui, en 1732, fil la pre- 
mière application de la machine de New-Comen. Depuis 


— 201 — 


cette époque, le nom des Mathieu est lié à toutes les dé- 
couvertes utiles à l’industrie houillère. 

La Compagnie d'Anzin et la Compagnie d’Aniche, fondée 
en 1773, furent les seules qui, avant la Révolution, 
purent obtenir dans la Flandre et le Hainaut, des résultats . 
fructueux. 

Le Boulonnais avait aussi vu réussir ses efforts. 
La houille, trouvée à Hardinghem dès 1692, disent 
les uns, en 1720, 1730, 1739, disent les autres, étail 
devenue l’objet d’une exploitation considérable pour 
le temps. 

L'Artois n'était pas resté en arrière dans ce grand 
mouvement d’explorations. Dès 1741, les Etats de cette 
province avaient concédé à une Compagnie Dona, tout le 
territoire comprenant Lens et Arras. On élait au centre 
de notre bassin houiller, et cependant les travaux | 
n'eurent aucun succès. Reprises par le sieur de Villers, 
et étendues non-seulement autour d’Arrus, mais à 
Pernes, Souchez, Monchy-le-Preux, les recherches furent 
toujours malheureuses. 

Une Compagnie Willaume-Turner essaya plus tard de 
sonder à Rœux, sans plus de résullat. Deux de ses an- 
ciens associés, Havez et Lecellier, creusêrent à Fampoux 
en 1763, puis à Halloy près Doullens, enfin à Bienvillers 
et à Pommiers, en 1765; ils rencontrèrent, dit-on, le 
terrain appelé Tourtia, c’est-à-dire le terrain en contact 
avec le terrain houiller. 

Tant de mécomples ne découragèrent pas les 
Etats d'Artois : en 1768, ils prirent la résolution d'ac- 
corder 50,000 livres aux entrepreneurs qui seraient 
parvenus à trouver une mine de charbon dans la pro- 


— 202 — 


vince (1); et, en 1778, ils promirent une récompense de 
200,000 livres, à celui qui exploiterait le premier, le 
charbon cn Artois (2). 

Trois Compagnies se mirent à l'œuvre en 1778 et 1779, 
Aniche, Anzin et la Société du duc de Guines. Le pays 
fut fouilé en plusieurs endroits, de 1781 à 1789 ; nous 
ne mentionnerons que les puits de Tilloy et d'Achicourt, 
qui furent poussés, mais inutilement, jusqu’au dessous 
du Tourtia (3). | 

D'aussi rudes leçons arrêtèrent pour longtemps toute 
velléité d'exploration dans le département du Pas-de- 
Calais ; de plus, les houiïllères belges, devenues françaises, 
envoyèrent jusqu'en 1815 leurs produits dans toutes 
nos villes. Le bassin d’'Hardinghem conserva seul quelque 
activité; le 11 nivôse, an vin, une concession fut accordée 
aux sieurs Cuzin, et en 1837 et 1840, deux nouvelles 
sociétés s v formèrent. C’est à celle époque que se déclare 
une vérilable fièvre de recherches de houilles, motivée 
par les immenses succés obtenus dans le département du 
Nord, de 1820 à 1834. Les actions houillères deviennent 
l’objet d’une spéculation effrénée, analogue à l'en- 
gouement dont nous avons eu l'exemple tout récemment. 
Celles de Douchv, particulièrement, émises à 2,400 fr., 
moutent à 300,000 francs. On rouvre les anciens puits 
creusés de 1735 à 1790: ceux de Pernes, de Monchy-le- 
Preux, d'Achicourt, parce qu’on prétend, d’abord, que les 


(1) Archives départementales. — Etats, l'' supplément, t. Hi. 

(2) Archives départementales. — Etats, Registre aux délibérations 
de l’Assemblée générale de 1777. 

(3) En 1788, un ouvrier d'Agny, Nicolas Fourmaux, avait été tué 


dans les travaux d’Achicourt (Archives de la cure d’Agny). 


— 203 — 


fouilles y ont été insuffisantes, ensuite, qu’elles n’ont été 
abandonnées, malgré des découvertes réelles, que par 
suite de l'achat de la Compagnie d’Anzin; le département 
se couvre de sondages. 

Tous ces efforts furent aussi infructueux que les pré- 
cédents et n'aboutirent qu'à des désastres financiers. 
Une seule personne conservait encore l'espérance : 
M. Dusouich, Ingénieur des Mines, qu'on peut appeler 
le père du Bassin houiller du Pas-de-Calais. 

S'appuyant sur les données de la science, il continua 
à affirmer, avec une inébranlable conviction, l'existence 
du prolongement du bassin du Nord. Le hasard vint lui 
donner raison. M. Mulot, exécutant, en 1846, un forage 
pour fournir de l’eau au parc de Mme de Clercq, à Oignies, 
rencontra, tout-à-fait inopinément, le terrain houiller. 
L'embellissement d’une propriété avait élé plus profitable 
que cent ans de labeurs. 

S'emparant aussitôt de ce résullatconsic érable, la Coni- 
pagnie de la Scarpe, fondée à Douai, en février 1847, 
s’élablit sur une ligne droite reliant Oignies, au dernier 
puits de la concession d’Aniche. £a réussite était certaine, 
car on avait reconnu le coude brusque des couches vers 
le Nord-Ouest, etle charbon fut trouvé en juin 1847. Dés 
cet instant on marche de succès en succès. MM. Mathieu 
fondent la Compagnie de Courrières, d'après les indica- 
Lions du sondage d'Oignies, M. de Bracquemont, celle de 
Nœux, M. Casteleyn, celle de Lens. 

Les dates des concessions sont curieuses à noter, car 
elles s'avancent avec les explorations de l'Est à l'Ouest. 
Après Dourges et Courrières, 1852; viennent Nœux, 
Lens, Bullv, 1853 ; Bruay, Marles, Ferfay, Auchv-au-bois, 


— 204 — 


1855 ; Fléchinelle, 1858. Ici l’on est forcé de s’arrêter : 
on rencontre les terrains négatifs, et l'espoir d’une jonc- 
tion avec le bassin du Boulonnais est ajourné sinon 
tout-à-fait perdu. Mais en même temps se poursuit le 
travail de délimitation du bassin, au Nord, par les con- 
cessions de Vendin, 1857 ; Annœulin, Meurchin, Carvin 
et Ostricourt, 1860; Douvrin, 1863 ; au Sud, par celles de 
Liévin, 1862 ; Cauchy-à-la-Tour, 1864; Drocourt et Cour- 
celles, 1878. 

En 1850, le Pas-de-Calais ne comptait que les trois 
petiles concessions du Boulonnais ; en 1879, il peut citer 
avec orgueil ses vingt nouvelles concessions, et il nous 
est permis de dire, avec M. Vuillemin, que la décou- 
verte des gisements du Pas-de-Calais est un des événe- 
ments qui marqueront, pour la France, la fin du xrx° 
siècle, comme la découverte du bassin du Nord avait 
marqué la première moitié du xvin°. 

Notre beau bassin est-il dès maintenant entièrement 
reconnu, et n'a-t-il plus de secrets à nous révéler ? Non, 
chaque jour, chaque heure de travail, chaque déception 
même, apporte une indication utile. Si, parmi les nom- 
breux sondages qui se sont effectués depuis trois ou 
quatre ans, bien peu sont arrivés à des résultats pratiques, 
les insuccès on! au moins servi à déterminer des points 
de repère parfaitement ignorés jusqu'ici. On sait que la 
formation houillère du Nord et du Pas-de-Calais, est le 
prolongement de l’immense couche géologique qui com- 
mence en Westphalie, passe à Aïx-la-Chapelle, et se con- 
tinue en Belgique, par Liége, Charlerov et Mons. Elle 
entre en France par Condé et Valenciennes et descend du 
Nord-Est vers le Sud-Ouest jusqu'à Douai ; là, elle faitun 


— 205 — 


coude brusque vers le Nord-Ouest, (ce coude qui fut la 
cause de tant de déceptions, car on s’obstina longtemps 
à suivre la direction Nord-Est — Sud-Ouest) ; puis elle 
remonte jusqu'à Lens et Carvin, s’avance alors de l'Est à 
l'Ouest, par Béthune, pour disparaître à Fléchinelle ; elle 

se retrouve enfin dans le bassin du Boulonnais, qui est 
_ comme l’avant-garde des riches bassins de l'Angleterre. 
Cette immense vallée de 420 kilomètres de long, dont 
60 dans le Pas-de-Calais, offre d’abord une largeur de 
8 à 12 kilomètres, pour se rétrécir ensuite, jusqu à 
quatre et même un kilomètre. Elle a été remplie par 
des dépôts successifs de schistes et de grès houillers, 
allernant avec des couches de houille, dont l'épaisseur, 
dans le Pas-de-Calais, varie de 0",50 c. à 3 mètres. Puis 
des terrains plus modernes, la craie, les terrains ter- 
tiaires, les alluvions, se sont déposés sur une profondeur 
qui, de 45 mètres 50 à l'Est, atteint à l'Ouest jusqu'à 
200 mètres. Les limites de cette vallée sont tracées au 
Nord par le calcaire carbonifère, au Sud par le terrain 
dévonien. : 

Mais bien des accidents ont modifié la régularité des 
couches : ils sont antérieurs ou postérieurs à la période 
houillère, soit même contemporains ; ils ont donné aux 
terrains une inclinaison générale vers le Sud, et cette 
allure en zig-zag qui a causé souvent le désespoir des 
exploitants. 

Au nombre de ces accidents, le plus important est la 
faille de renversement que l’on rencontre au Sud du 
bassin. Pendant longlemps on avail cru que l'afflenre- 
ment des terrains dévoniens marquait la limite défini- 
tive du terrain houiller ; mais, en 1862, il fut matérielle- 


— 206 — 


ment constaté à la fosse de Cauchy-à-la-Tour que ce 
terrain était recouvert au midi par des couches plus 
anciennes. Toutefois la conclusion n’apparut bien clai- 
rement que dix ans plus tard, par suite des sondages 
des Compagnies de Liévin et de Courrières; depuis cette 
époque. les Compagnies de Courcelles, d'Auchy-au-Bois, 
de Liévin, de Béthune et de Drocourt ont découvert le 
terrain houiller sous des calcaires carbonifères et des 
terrains dévoniens dont l'épaisseur a atteint jusqu'à 
291 mètres. La Compagnie de Drocourt, notamment, a ses 
ailes placés tout entiers au-dessous des terrains négatifs. 
Au premier abord. un semblable résultat paraît démentir 
tous les principes géologiques et attaquer, dans sa base 
même, l'ordre de succession des couches; iln'en estcepen- 
dant que la confirmation la plus éclatante. En effet, ce ren- 
versement est dû à une pression d'une violence inouïe qui 
a forcé les couches inférieures à se relever et à se rabattre 
sur la formation houillère, et, chose curieuse, à travers 
leur bouleversement même, on peut retrouver l'ordre 
dans lequel elles se sont déposées. C'est là, comme l'a 
dit, M. Duporcq, l'accident géologique le plus important 
pour le bassin, au point de vue de ses richesses, et de 
l'extension possible de ses explorations au Midi. 

Pareille surprise heureuse viendra-t-elle se produire 
de nouveau, soit encore au Sud, soit au Nord, soil à 
l'Ouest ? Il y a là pour les explorateurs de l'avenir, un 
vaste champ d'études, d’espérances, et peut-être, de dés- 
illusions ! 

L'auteur du Mémoire qui vous est soumis, n'a traité ni 
l'histoire, ni la constitution géologique du bassin. Son 
travail s’est borné à la statistique. La méthode adoptée 


— 207 — 


par lui est celle des tableaux et des courbes. qui est 
aujourd'hui d’un usage général. | 

Elle a le mérite de supprimer ces inlerminables co- 
lonnes de chiffres qui rendaient les recherches si difficiles, 
et de permettre à la personne, même la moins familiarisse 
avec les calculs, de trouver d’un seul coup-d'œil le ren- 
seignement dont elle a besoin. 

L'exécution graphique des tableaux est très-remar- 
quable: les lignes, finement tracées par une main habile, 
conduisent sans efforts au résultat désiré; tout est clair, 
précis, mathématique en un mot. 

Quant aux courbes et aux cartes, elles ont été dressées 
d'après les documents officie:s publiés par le Ministère 
des Travaux Publics, et d'après les nombres indiqués dans 
les rapports des préfets au Conseil général el dans les 
Annuaires du Pas-de-Calais; les renseignements sont donc 
d'une rigoureuse exactitude. 

Chaque tableau est de plus accompagné de notes 
courtes et substantielles, destinées à mettre bicn en 
lumière les conclusions qu'on peut tirer de son étude. 
C'est un excellent procédé pour fixer dans la mémoire 
du lecteur le point principal qu’il doit retenir. 

Mais puisque l’auteur bornait ses notes à la stalistique, 
il aurait dù la donner complète. Malheureusement cer- 
taines matières, telles que Îles salaires des ouvriers, le 
prix de vente des charbons, le mouvement sur les che- 
mins de fer elles canaux, la valeur des capilaux engagés, 
ont été négligées; elles auraient fourni des tableaux très- 
intéressants, dans lesquels l'auteur aurait pu prendre 
pour guide le savant ouvrage de M. Vuillemin. 

Six tableaux vous sont présentés. 


— 208 — 


Le premier résume l’industrie houillère dans toute la 
France, depuis 1787 jusqu'en 1878. Il se compose de 
quatre courbes : la première, indiquant la production et 
l'importation réunies; la deuxième, la consommation ; la 
troisième, la production et enfin la quatrième, la produc- 
tion de la houille dans le Pas-de-Calais. On y voit qu’en 
1878 notre département a produit autant de houille que 
la France en 1844, ou encore que la consommation totale 
de la France en 1836 ; dans la même année 1878, la pro- 
duction du Pas-de-Calais a atteint les vingt-deux cen- 
tièmes de la production totale de la France. Cette pro- 
duction de 1787 à 1878 s’est accrue de 1 à 85, tandis que 
de 1787 à 1872 la consommation n’a augmenté que de 1 à 
51,50. De là l'encombrement qui est une des causes de 
la crise qui sévit actuellement sur les houillères. 

Le deuxième tableau représente, par département, la 
production pendant l’année 1877 des combustibles miné- 
raux : il consiste en une carte à plusieurs teintes, mon- 
trant l'importance du Pas-de-Calais, au point de vue de 
la production de la houille. Quarante-quatre départe- 
ments, comprenant quarante-six bassins, produisent 
16,804,529 tonnes. Sur ce nombre, huit départements 
produisent moins de 1,000 tonnes ; sept de 1 à 10,000; 
quatorze de 10 à 100,000; dix de 100,000 à 1,000,000; 
cinq plus de 1,000,000. Le Pas-de-Calais extrait 
3,435,041 tonnes, soit plus du cinquième de la production 
générale. 

Le troisième tableau montre la production totale et la 
consommation de la houille par année dans le départe- 
ment du Pas-de-Calais. L'auteur, dans une partie de 
cette feuille, a figuré la production sous la forme de 


— 909 — 


carrés : nous y Voyons que la production totale des bas- 
sins du Nord et du Pas-de-Calais .a été, en 1878, de 
6,978,790 tonnes, sur lesquelles le.Pas-de-Calais seul en 
a fourni 3,829,639, c’est-à-dire plus de da moitié. Une 
courbe prouve aussi que de 1853 à 1859, :il y a eu excès 
sensible de l'importation sur l’exportation, landis que 
de 1859 à 1877, l'excès de l'exportation a augmenté 
dans .des proportions inouies. L’auteur n'oublie rien, 
puisqu'il reproduit sur ce tableau, comme sur tous les 
autres, les formules algébriques, une entre-autres qui.est 
très-pratique, c’est celle de la conversion des tonnes.en 
hectolitres. + — 11,91. 

Le quatrième est une carte à plusieurs teintes, indi- 
quant. l'exportation de la houille du bassin de Valen- 
ciennes dans les départementsde France. En 1872, trente- 
trois départements consomment de la houille expédiée 
par le bassin de Valenciennes; six consomment moins.de 
1,000 tonnes ; neuf de:1 à 10,000 ; onze de 10 à 100,000; 
cinq de 400,000 à 1,000,000 ; deux plus de 1,000,000 ; 
au total: 5,801,850 tonnes, dont 1,082,100 dans le Pas- 
de-Calais et 2,845,410 dans le département.du Nord. Sur 
ces 1,874,340 tonnes exportées du bassin de Valenciennes 
dans trente et. un .départements, 508,560 tonnes sont 
vendues dans le département de la Seine; elles valent 
95,428,000 fr. Ainsi, le bassin de Valenciennes, dit l’au- 
teur, expédie sur:Paris pour plus de 25,000,000 de.fr. de 
houille; d’où, au point de vue de nos intérêts, nécessité 
absolue de créer un grand canal direct allant à Paris, 
si .nous voulons conserver cet important débouché, 
menacé par la concurrence anglaise depuis le projet 
d’approfondissement de la Seine. L'Académie d'Arras, 

14 


— 210 — 


qui vient de mettre au concours l'étude des différents 
projets proposés pour relier les voies navigables du Pas- 
de-Calais, soit à la mer, soit au centre de la France, ne 
peut que s'associer à ce vœu. 

Le cinquième tableau donne la production comparée 
des concessions du Pas-de-Calais, de 1850 à 1876. Les 
différentes Compagnies y figurent avec leurs dates de 
concessions et leur étendue kilométrique; des courbes 
font suivre le mouvement de l'exploitation, année par 
année: chaque concession est marquée d’une couleur 
différente. et c’est merveille de voir ces traits variés 
s’entremèler sans que jamais aucune confusion en résulte 
et que la facilité des recherches en soit retardée. 

Le sixième et dernier tableau montre, au moyen de 
surfaces proportionnelles, la production totale des conces- 
sions depuis l’origine jusqu'à l’année 1876. Ces surfaces 
sont des cercles (1} concentriques. Lens vient au premier 
rang, représentant le cinquième de la production totale 
et le chiffre de 7,147,632 lonnes ; puis au deuxième et 
au troisième rang, Nœux et Courrières; ensuite au 
quatrième, Bully; au cinquième el au sixième, Bruay et 
Marles; enfin, dans l’ordre suivant: Dourges, Ferfay, 
Carvin, Liévin, Meurchin, Vendin, Hardinghem, Fléchi- 
nelle, Ostricourt et Auchy, Douvrin et Cauchy-à-la-Tour. 

Deux autres courbes très-ingénieuses sont jointes à ce 
tableau : celle de la production dans la concession de 
Lens, combinée avec celle du développement de la popu- 
Jation. 

‘Le rédacteur du travail pense, dit-il, avoir fait une 


(1) Echelle : le diamètre en millimètres — + nombre de tonnes, 


— 9211 — 


toute petite œuvre, nous pensons qu’il a fait une belle et 
bonne œuvre, et nous nous joignons à lui pour demander 
que ces tableaux, qui parlent si bien aux veux, soient 
introduits dans l’enseignement professionnel, afin de 
donner aux jeunes Artésiens une juste idée de la plus 
importante industrie de leur pays. 

En résumé, le travail envoyé au concours, se distingue 
par un incontestable mérite, mais n’a traité qu’un des 
côtés de la question. Aussi votre Commission, appelée à 
se prononcer, a-t-elle jugé que, tout en adressant ses 
félicitations à l’auteur. elle ne pouvait cependant vous 
demander pour lui la plus haute récompense, et vous 
at-elle proposé de lui décerner une médaille d’or de la 
valeur de deux cents francs. 


LES RÉALISTES 


par 


E. LECESNE 


Membre résidant. 


Un singe avait ouvert atelier de peintufe. 
Les singes quelquefois 
Peignent de leurs dix doigts : 

Chardin les a montrés en pareille posture. 
Notre singe, palette en main, 
Brossait et barbouillait sans fin. 

Avec son bonnet grec, bien campé sur l'oreille, 
Et sa longue barbe au menton, 

Il croyait, sans prétention, 

Des artistes du temps devenir la merveille. 
Mais hélas! le sort inhumain 
Lui faisait un autre destin. 

Au lieu de figurer au Temple de Mémoire, 
Il obtenait pour tout succès, 

De se produire, non sans gloire, 
Dans le salon des refusés. 

Quant aux produits de sa fabrique, 
Hôtel Drouot, ils se vendaient 
Quelques écus, qui s’égaraient, 


— 213 — 


Lorsque l’on. adjugeait de vieux fonds. de boutique. 
Mais, pour sa consolation, 

Il traitait carrément, en secouant sa nuque, 
Le jury de sale perruque, 

Et l'amateur de polisson. 

Près du logis du singe un canard demeurait, 
Il faisait métier de sa plume. 

Dans les journaux il écrivait, 

Et même de ses vers remplissait un volume. 

Malgré ses pieds fourchus et sa voix de chaudron, 
Il avait aussi la lubie 
D’être une nature accomplie. 

Ses confrères l’avaient surnommé le plongeon : 
C'étaient méchants propos et dictés par la haine ; 
Cependant, par manque de veine, 

Ses livres, toujours au rabais, 

Ne se vendaient qu'aux bords des quais, 
Et dans les journaux, par espace, 

Il ne trouvait qu’une humble place : 

Enfin, il pataugeait, pataugeait, pataugeait. 
Mais, pour faire un trio parfait, 

Au même toit prit domicile 
Un corbeau cherchant un asile. 

C'était un musicien tout palpitant d’espoir, 

Qui jouait, sur une épinette, 

Ses thèmes du matin au soir. 

Il pensait de sa serinette 

Tirer les plus heureux accents ; 
Mais, en attendant, son ramage, 
Quoique faisant un grand tapage, 

Ne lui avait ouvert que les cafés chantants. 
Un jour, qu’en fumant leur cigare 
À l’estaminet, les voisins 


— 214 — 


Se plaignaient du sort trop avare, 
Et se racontaient leurs chagrins, 

Il leur vint une idée aussi grande que belle. 

Pourquoi ne pas poursuivre une route nouvelle ? 
Assez longtemps l’esprit humain 
À demeuré dans le pétrin. 

Il nous faut le tirer de son triste esclavage, 

Et le faire aborder sur un autre rivage. 

Est-il besoin de tant d’apprêt, 
Pour désigner le moindre objet ? 

De maîtres décrépits en suivant les paroles, 

Dans un tas de détours se perdent les écoles : 
Nous allons changer tout cela, 

Et Dieu sait ce qu’il en sera. 

Point de ménagements dans nos expressions ! 
Nous retracerons sans figure, | 
Ainsi qu’on la voit, la Nature: 

Nous voulons appeler les choses par leurs noms! 

C'est cela, dit le singe, à présent, dans mes toiles, 
Je ferai tomber tous les voiles. 

J'aurai des hommes aüx bons poings 
Avec des femmes à tous crins. 
J'entends fonder le réalisme 

Et même l’impressionisme ! 

Et moi, dit le canard, je pourrai donc enfin 

Démontrer, en vers comme en prose, 
Que tout n’est pas couleur de rose, 
Et que le beau c’est le vilain : 

Je me plairai dans la canaille, 
Dans les taudis, dans la ripaille, 
Dans les propos de crocheteurs, 

À son tour, le corbeau sent bouillir ses ardeurs : 

Désormais à bas l’harmonie, 


— 915 — 


Dit-il, et plus de mélodie ! 
Cela n’est bon que pour les sots. 
Mes notes ne seront que de bruyants échos. 
Je lancerai, tout d’une haleine, 
Des sons forgés à la douzaine : 
Voilà, pour la bien définir, 
La musique de lavenir ! 
Et chacun aussitôt d'entrer dans la carrière, 
Annonçant, d’un ton résolu, 
Que devant tous les yeux va jaillir la lumière, 
Et que le nouveau monde est enfin apparu. 
Mais que vit-on sortir de tant de häbleries ? 
En peinture des singeries, 
Dans les lettres des assommoirs, 
En musique des endormoirs. 
Il est vrai, qu'après tout, les trois malins compères 
Firent d'assez bonnes affaires : 
Avec le réalisme ils avaient inventé 
Le négoce des arts, dans sa réalité. 


R APPORT 


UN PUIET HORS foncours 


LA LÉGENDE DE L'ÉGLISE DE SAINT-MICHEL 


par 
M. RICOUART 
Membre résidant. 


RSS ————— 


MESSIEURS, 


La Commission que vous avez désignée pour étudier la 
pièce hors concours, intitulée: La Légende de l’église de 
Saint-Michel, m'a chargé de vous rendre compte de son 
examen et de vous présenter les observations auxquelles 
ce travail a donné lieu. 

La Légende de l'église de Saint-Michel est écrite en 
patois de Saint-Pol et suivie d’un glossaire explicatif des 
mots et des locutions usités dans le pays de Ternois. Elle 
est en vers assez savamment imités des vieilles cadences 
du moyen-âge, et celle recherche dans la forme nous 
avertit, dès l'entrée en matière, que l’auteur, si modeste 
qu’il puisse se faire dans sa lettre d'envoi, a pénétré par 
l'étude, plus qu'il ne semble le dire, dans les secrets de 
la langue d’autrefois. 

Le sujet de la légende, déjà connu par les travaux de 


= 917 — 


M. Nicolas Lambert, qui fut un infätigable chercheur 
parmi les premiers pionniérs de l’histoire locale, est fort 
simple d'action, comme vous pourrez en juger par une 
courte analyse. 

Les habitants du village de Saint-Michel, ne possédant 
qu’une église, ou plutôt une humble chapelle, cachée 
dans les taillis de la forêt, où l’on ne pouvait arriver 
qu'en gravissant une pente escarpée, forment le projet 
de construire dans les terrains du Marais, avec l’aide et 
l'argent dû châlelain de Saint-Martin, un asile pour la 
statue miraculeuse de la Vierge vénérée dans là chapelle. 
Les matériaux de l'édifice sont à peine déposés sur 
l'emplacement choisi, qu’ils se trouvent transportés, en 
. une seule nuit, autour de l’ancien sanctuaire, dans l’ordre 
où l'architecte les avait rangés. Les ouvriers s’entêtent. 
Les pierres et le mortiér sont rarnenés dans la vallée et le 
maçon joue énergiquement de la truelle. Efforts inutiles! 
La nuit suivante, tout s'envole derechef vers le sommet 
de la colline. El, cette fois, les veilleurs chargés de faire 
le guet voient, à n'en pas douter, saint Michel, armé de 
son glaive, conduire toute une légion d’anges travail- 
leurs. Les yeux s'ouvrent, et, avec leur aide, les intelli- 
gences. Rien n’est plus évident ; la Vierge ne veut point 
abandonner sa demeute chérie, et c’est là-haut qu'ik faut 
lui bâtir un temple digne d’elle. Tel est le froid résumé 
de célté pièce de vers, qui n’est pas dépourvue de verve 
el d’entrain, ni d'un cerlain feu poétique que le patois, 
par son peu de souplesse, empêche d'émetlre ses rayons. 
Nous voudrions vous en faire apprécier l’ensemble en 
vous en citant un passage. Il faudrait, pour cela, selon 
le désir exprimé par l'auleur, vous le lire avec cet accent 


— 218 — 


qui lui communiquerait « comme une saveur locale, un 
parfum de terroir, » sans lequel toute littérature patoise 
perd une partie de sa valeur. Essayons néanmoins. 


El jour s’foet bétot vèpe. Chincq homm’ bien resolùs 
Point eunne buque epeutès et n’étint point peuriùs 
Ward’nté chés fondations, déchidès à veiller 
Et pis tout inlèv’'mint ed tous leus forch’ impècher. 
Mais dins l'nuit, 
A minuit, 
Ein éclair, tout d’ein cop, comme eune fauchile ed fu, 
Cope chés neuèes d’bistincuin et vient raser leus yus. 
Ech” tônerre buque et claque ! Nous gins épavaudès 
Et d’terreur tout glachés, voettent chés muralles soulvès 
Monter in l’air et l’vallée travercher 
Pour s’in aller s’placher 
Tout à l’intour d’chell’ viell’ capelle 
Dù qu'’in les avoet truvèes l’velle. 
Als étoètent leumineusses; même chés gardiens crur’t vir 
In tét’ d’eun’ bell’ troup’ d’anch’ saint Michel l’sé conduire, 
Armè d’eune epè d’fu ! Et tout cho d’ein clin d’œulle, 
Et pis cha s’o detâäint cor pu vit’ qu’el’ fureulle. 


Mais tout en reconnaissant l'originalité de l’œuvre, 
votre Commission a pensé que ce n'élail pas cette poésie, 
si l’on veut bien lui accorder ce nom, qui devait attirer 
vos regards ; un lravail bien autrement sérieux, à son 
avis, c’est le glossaire explicatif qui la complète. 

Vous avez mis au concours, depuis plusieurs années, 
un glossaire du patois artésien, comprenant, autant que 
possible, des étymologies et des concordances avec les 
pays limitrophes et avec les langues étrangères. Vous 
n'aviez pas été heureux jusqu'ici et vous n'aviez pas 
même déterminé un effort de nos compatriotes compé- 


| 219 — 


tents. On pouvait craindre que cette question eùt le 
même sort que l'explication des noms de lieux du dépar- 
tement, grande tâche, du reste, dont l’étendue a fait 
reculer les plus vaillants. Mais voici que votre appel a 
suscité un travailleur sérieux, habile à manier les dialectes 
de nos contrées. Les chartes et chroniques du moyen-âge 
lui sont familières. Ces mots du vieil Artois qu’il entend 
de la bouche des paysans et des bourgeois de Saint-Pol, 
il les a lus dans Froissart, dans Monstrelet, dans les 
poésies d’Adam de la Halle, le bossu d'Arras, et dans les 
documents recueillis par les philologues les plus érudits. 
Son travail répand ce parfum si cher au bibliophile, celte 
odeur de poussière sacrée qui voltige dans le rayon de 
soleil sous les sombres arceaux des bibliothèques. Il v 
aurait bien à critiquer : mais faire la critique d’un glos- 
saire! Vous n’attendez certainement pas, Messieurs, que 
je vous le donne par le menu, ni que je vous fatigue des 
observations de détail, qui accompagnent, en guise de 
commentaires, le rapport de votre Commission. Mais 
nous ne vous cachons pas quelle a été l'impression que 
nous avons ressentie à la lecture. Disons, avant tout, que 
nous n’avons eu à juger que d’un essai. L'œuvre est 
enfermée dans des limites trop restreintes pour être con 
sidérée par l’Académie comme autre chose qu'un pre- 
mier pas vers des résultats plus complets. En outre, 
l’auteur, sans aucun doute, a savamment étudié le patois 
de Saint-Pol ; mais l’a-t-il parlé lui-même, comme sem- 
blent le faire supposer les deux vers qu'il a pris pour 
épigraphe ? A-t-il bien gravé dans sa mémoire ce langage 
accentué, aigu, plus musical que le picard, plus précipité 
que le rouchi? Ou bien, une longue absence l’a-l-elle 


— 220 — 


tenu éloigné dé l’Artois; ne laissant résonner: à son 
oreille que les dialectes analogues, tous marqués d’un: 
caractère différent. C'est, en effet, le vieux français: qui 
lui fournit les éléments nécessaires pour expliquer 
l’artésien-picard, tandis que c’est ce dialecte, déformé par 
le temps, qui devrait servir à l’éclairer sur la signification: 
et la prononciation de la langue des trouvères. Nous 
avons devant nous; noû pas un paysan, mais un érudit. 
Et pourtant, d’un autre côté, quand il nous décrit les 
délicieuses soliludes des bois et les paysages pittoresques 
de Saint-Michel, quand il énumère ces villages aimés du: 
Saint-Polois, et « semés pour le plaisir des yeux » le 
long de la charmante vallée de la Ternoisé, on se per- 
. Suade qu’il a gardé pieusement dans son cœur l’meffa- 
çable amour du pays natal; je m’assure qu'il redit avec 
passion ce qu’autrefois Jadin, reconnaissant de l'hospita- 
lité Saint-Poloise, écrivait, dans une spirituelle épitre 
à M"° Mennessier-Nodier (dont vous connaissez tous, 
Messieurs, les poétiques sonnets) : « Le jardin que vous 
habitez est le plus joli coin du monde! » Quoi qu’il en 
soit de là nationalité de l’auteur, il vient d’acquérir par 
son travail le droit de cité dans la patrie de Loerius, ou 
des titres certains à la sympathie des Saint-Polois et des 
amis de la science philologique. 

Ne cessons point, Messieurs, d'encourager par nos 
appels pérsévérants et nos exemples de tous les instants, 
ces étutés attrayantes el arides tout à la fois, qui jettent 
un jouf plus brillant dans les obscurités de notre langue 
et de notre histoire locale. Faisons centrer dans les con- 
victiôns dés hommes de travail et de rechérches, cet 
aphiorisme si vaillant dans £a paradoxale affirmation : 


— 221 — 


« Rien n'est fait quand il reste quelque chose à faire. » 
Disons à l’auteur de l'essai que nous avons sous les yeux: 
« La route vous'est ouverte vers des champs: plus vastes 
et vierges encore du sillon. Vous venez de faire preuve 
de savoir et de tenacité dans l’entreprise. Vous nous avez 
laissé deviner la lampe de l'étude brûlant avec persévé- 
rance dans le retrait propice à la méditation. Du fond de 
ce sanctuaire du silence et de la pensée, envoyez-nous 
encore quelques fruits de vos loisirs, complétez votre 
glossaire, et que l’Académie d'Arras, heureuse d'activer 
* votre zèle, marque par des récompenses les étapes 
annuelles de votre marche en avant. » 

Votre Commission, Messieurs, vous propose de décer- 
ner une médaille de vermeil, à titre d'encouragement, à 
l’auteur du travail hors concours, portant pour épi- 
graphe : | 

Et sous le frais ombrage 


Dont Saint-Michel s’enveloppe orgueilleux, 
Je crois encor courir comme au jeune âge. 


LAURÉATS DES CONCOURS 


HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. 


Grande médaille d’or : 
M. Ad. de CARDEVACQUE, à Arras. 
Pour son travail sur les Places d'Arras. 


a 
PCIENCES. 


Médaille d’or : 
M. Ducxaussoy, à Arras. 
Pour son travail sur l'Industrie houillère du Pas-de-Calais. 


MEMOIRE HORS (ONCOURS, 


Médaille de vermeil : 
M. E. Epmonp, à Saint-Pol. 


Pour son travail sur le Patois. 


BEAUx- ARTS. 


Prix de Fondation d’un Membre de l’Académie : 
Louis Noez (de St-Omer), statuaire à Paris. 


SUJETS MIS AU CONCOURS 


POUR 1880. 


HISTOIRE, ARCHÉOLOGIE, TOPOGRAPHIE. 


Faire l’histoire de la fabrication des Dentelles à Arras: 
décrire les Dentelles d’Arras et les apprécier au point de 
vue de l'art. 


Histoire d’une Ville, d’une Localité importante ou d’une 
Abbaye du département du Pas-de-Calais. 

Histoire d’une Société ou d’une Institution locale ayan 
rendu des services au pays. 


a ne 


ARRAS /Ciîté]. — Au temps de Louis XI la Cité se trouvait, 
ainsi que le dit expressément Robert Gaguin, distante d’en- 
viron cent pas de la Ville et sise sur un lieu plus élevé. Une 
porte et un fragment de l’enceinte de cette époque existent 
encore aujourd’hui. On constate de plus derrière les maisons 
des rues Terrée-de-Cité, d'Amiens et de la Paix une surélé- 


— 2924 — 


vation de terrain prononcée, régulière, et qui paraît dénoter 
un ouvrage de l’homme. Rechercher la nature de ce déni- 
vellement, le décrire, le relever, dire s’il accuse les limites 
de la Cité au temps de Louis XI, ou ces mêmes limites à 
l’époque Gauloise ou Gallo-Romaine. Voir si une surélévation 
analogue ne se reproduit pas derrière les maisons de la rue 
du Vent-de-Bise, et indiquer si c’est à un système de défense 
que doit se rattacher le monticule existant dans l’enclos de 
l'ancien Hôtel-Dieu. | 


ARRAS /Ville). — Il existe en terres-pleins un pan de 
mur, et peut-être en substructions, des vestiges très-visibles 
et encore considérables du Castrum dans les enclos de 
Saint-Vaast, de l’ancien monastère des Récollets, de la 
Prison et de l'hôtel du Châtelain, et de la Cour-le-Comte; 
rechercher les vestiges, les relever, les décrire, déterminer 
à leur aide les limites précises du Castrum et constater ce 
qui reste aujourd’hui de cette forteresse romaine. 


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LITTÉRATURE. 


Une pièce de 200 vers, au moins, sur un sujet laissé ap 
choix des concurrents. | 

Eloge historique d’un personnage célèbre du département 
du Pas-de-Calais, artiste, poète, littérateur, historien ou ju- 
riste. 


‘BEAUX-ARTS. 


Histoire. de l’art.ou de. l’une de.ses branches dans l’Artois. 
Biographies. d'artistes artésiens. 


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